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L’insaisissable Édouard Philippe, par Philippe Bilger.

Parce que plus on croit connaître l’ancien Premier ministre, plus il nous échappe. À peine a-t-on dessiné les grandes tendances de sa personnalité à partir de ce qu’il a accompli, de ce qu’il écrit, de ce qu’il dit et de ce qu’il montre qu’il nous confronte à des lignes de fuite. À la fois familier, proche mais insaisissable. 

1.jpgPassionnant à cause de cela, même : il y aura toujours, dans son être, place pour un inconnu que nous nous acharnerons en vain à débusquer.

Il est absurde d’insérer Édouard Philippe dans les catégories ordinaires. Il a quitté Alain Juppé parce que ce dernier a lui-même quitté ses soutiens à force de roide maladresse. Mais si Édouard Philippe a rejoint , il n’est pas pour cela un vulgaire transfuge ; il n’a pas, par exemple, le cynisme joyeux et ironique d’un Gérald Darmanin. La meilleure preuve en est que certains n’hésiteraient pas à le faire revenir dans sa originelle.

Léger reproche : Édouard Philippe a tort de traiter avec trop de condescendance LR. Cette attitude tranche avec ce qu’il est. On n’est pas obligé de traiter mal ce qu’on a quitté pour se justifier de l’avoir fait !

Un trait de son caractère m’a frappé. Ce sens de l’amitié qu’il a poussé jusqu’à repêcher Gilles Boyer, à l’installer à ses côtés à Matignon, à le laisser souvent s’exprimer à sa place et à cosigner un livre avec lui : Impressions et lignes claires, que je suis impatient de découvrir. Cette fidélité active ne laisse pas de me surprendre de la part d’un homme qui sait pourtant ce qu’il vaut mais éprouve apparemment le besoin de partager ce qu’il offrirait si bien tout seul.

Cette constance mérite d’être retenue bien au-delà de cette relation si proche : difficile de ne pas l’intégrer dans l’interrogation sur son futur. Quand Édouard Philippe affirme qu’il ne damera jamais le pion à Emmanuel si celui-ci est candidat pour 2022, on ne peut évidemment que le croire.

Un mystère occupe les esprits curieux de la chose publique et de l’avenir d’Édouard Philippe, maire du Havre. Rien n’est plus simpliste que de l’attaquer brutalement, comme Christian Jacob déclarant : « Édouard Philippe, c’est la caricature de l’incapacité à faire des réformes » (Carl Meeus, Figaro Magazine).

Derrière l’animosité, comment tout de même ne pas s’interroger sur l’aura incontestable d’Édouard Philippe – et qui dure : elle n’a rien à voir avec le culte des absents inactifs puisque lui n’est ni l’un ni l’autre – et, à rebours, sur le passif de décisions qu’il a prises et qui ont gravement affecté le mandat présidentiel : Notre-Dame-des-Landes, la taxe carbone révoltant les , la limitation à 80 km/h et sa dureté quantitative sur le projet de loi sur les retraites. Sans paradoxe, si Emmanuel Macron n’a pas « fait » Édouard Philippe, Édouard Philippe l’a un temps « défait » ! Mais qui lui en tient rigueur ?

Ce contraste entre une opinion qui le plébiscite et une analyse froide qui ne le surestime pas fait apparaître qu’il a noué avec les Français un lien singulier lors de ses remarquables prestations sur la gestion du Covid-19, à la fois claires, modestes et pédagogiques ; et ce n’est pas le sympathique qui dira le contraire au regard des siennes plus confuses !

Il serait superficiel de voir en Édouard Philippe un homme dont le succès et la notoriété ne seraient advenus que grâce au président de la qui l’aurait, en quelque sorte, sorti de l’ombre. Cette perception que des députés de LREM cultivent est erronée et manque d’intuition psychologique. Ils appréhendent mal ce qu’il y a d’unique dans cette intelligence limpide, dans cette ironie de pudeur et de protection et dans cette affirmation de soi aussi éclatante qu’elle est élégante.

Édouard Philippe n’a jamais voulu adhérer à LREM. Ce n’est pas anodin.

Par ailleurs, à l’égard d’Emmanuel Macron, comme Premier ministre il n’est jamais tombé dans une inconditionnalité qui aurait fait disparaître son libre arbitre. Déférence soit, discrétion à l’extérieur, mais rien qui ressemble à une courtisanerie de mauvais aloi. Il ne s’est jamais égaré dans un pouvoir fusionnel. Lui à sa place, à la fois fier, indépendant et loyal. Dans la Ve République, il n’est pas si fréquent d’avoir eu un Premier ministre permettant aux citoyens, s’ils ne désiraient pas le couple en gros, de le choisir au détail.

La preuve la plus éclatante de cette autonomie est qu’Édouard Philippe a insisté – la clarification lui semblait nécessaire – pour faire savoir que c’est lui qui avait décidé de quitter sa fonction de Premier ministre et non pas le Président qui l’aurait incité à le faire. Cette précision manifeste que, dans cette personnalité, il y a de l’orgueil et qu’elle n’a pas vocation, pour son honneur, à s’effacer en complaisant au chef de l’État.

D’autant plus que celui-ci, dans le passé, n’a guère été élégant quand il a laissé entendre qu’Édouard Philippe était frileux à cause des menaces de judiciarisation concernant son action contre l’épidémie de Covid-19. J’avais tout particulièrement apprécié, dans un monde politique qui crache sur les procédures judiciaires, mélangeant ignorance et manque de civisme, la réaction calme et digne d’Édouard Philippe quand il avait appris la perquisition havraise le concernant – légale, mais à une heure totalement indécente.

Emmanuel Macron se représentant en 2022, Édouard Philippe sera là où il aura décidé d’être. Il a déclaré qu’il n’avait « pas renoncé à la vie politique et qu’il aimait être aux manettes » (Le Point). Même s’il lui est arrivé, comme maire du Havre, de formuler quelques critiques sur l’action de son successeur, je n’imagine pas qu’il se départe, lors de la future , d’un soutien critique à celui qui l’a nommé Premier ministre en 2017.

Mais gare à ceux qui pourraient être tentés de prendre Édouard Philippe pour un homme, un politique, une personnalité tout d’une pièce ! Au contraire, plus je l’écoute, plus je cherche à le comprendre, plus je bute…

 

Philippe Bilger

Magistrat honoraire
Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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