En Français s'il vous plaît !
Aujourd'hui, dans l'excellente rubrique "Dire... , Ne pas dire..." du site de l'Académie française : un petit historique, à propos des anglicismes...
(chronique publiée les lundis, mercredis et vendredis; suggestions et commentaires de lecteurs bienvenus !...)
Anglicismes et autres emprunts (sommaire)
Il est excessif de parler d’une invasion de la langue française par les mots anglais. Les emprunts à l’anglais sont un phénomène ancien. Pour en donner quelques exemples :
— avant 1700 : ajourner, boulingrin, contredanse, gentleman, gentry, groom, lord, lord-maire, paquebot, yard, yeoman ;
— entre 1700 et 1800 : anesthésie, balbuzard, bas-bleu, gin, méthodisme, pickpocket, stick ;
— entre 1800 et 1850 : autobiographie, bifteck, cold-cream, job, mess, pickles, silicium, sinécure, speech, steamer ;
— entre 1850 et 1900 : base-ball, building, dribbleur, goal, lift, lunch, spinnaker, visualiser ;
— entre 1900 et 1920 : autocar, chewing-gum, crawl, vamp, vitamine ;
— entre 1920 et 1940 : break, bulldozer, chips, covalence, dévaluer, holding, ionosphère, mescaline, méson, oscar, show, technicolor ;
— entre 1940 et 1960 : baffle, diariste, jet, marketing, offshore, pergélisol, permafrost, pop, sexy, station service ;
— après 1960 : audit, codon, cutter, jogging, kart, patch, patchwork, permissif, pesticide.
Aux emprunts proprement dits, il convient d’ajouter les emprunts sémantiques (qui consistent à donner une nouvelle acception, anglaise en l’occurrence, à des mots français existants comme conventionnel ou négocier), les réintroductions de termes anciennement empruntés au français par l’anglais (comme chalenge, coach), et les calques (traductions terme à terme de l’anglais comme guerre froide, cols blancs et cols bleus, homme de la rue...).
Cette extension des emprunts à l’anglais, qui a connu une accélération depuis une cinquantaine d’années, tient au fait que l’anglais est aussi la langue de la première puissance économique, politique et militaire, et l’instrument de communication de larges domaines spécialisés des sciences et des techniques, de l’économie et des finances, du sport, etc. À cela s’ajoute que l’on concède généralement à l’anglais une concision expressive et imagée qui, si elle peut nuire parfois à la précision (surtout dans l’anglo-américain très pauvre qui sert ordinairement de langue internationale commune), s’accorde au rythme précipité de la vie moderne. Langue mondiale d’usage pratique, l’anglais (principalement l’anglo-américain) exerce une forte pression sur toutes les autres langues. Si Étiemble a popularisé, dans son livre Parlez-vous franglais ? paru en 1964, le terme qu’il avait créé en 1959, on rencontre à la même époque japlish « mélange de japonais et d’anglais », puis spanglish « espagnol et anglais », gerglish « allemand et anglais », russglish, chinglish, etc. Dans tous les pays, des inquiétudes se sont manifestées, parfois avec véhémence, des voix ont proclamé que la langue nationale était en danger. Qu’en est-il vraiment ?
Un Dictionnaire des anglicismes de 1990 en enregistre moins de 3000, dont près de la moitié sont d’ores et déjà vieillis. Les anglicismes d’usage, donc, représenteraient environ 2,5 % du vocabulaire courant qui comprend 60 000 mots. Un Dictionnaire des mots anglais du français de 1998, plus vaste, évalue les emprunts de l’anglais à 4 ou 5 % du lexique français courant. Si l’on considère les fréquences d’emploi de ces anglicismes, on constate que beaucoup appartiennent à des domaines spécialisés ou semi-spécialisés et sont donc assez peu fréquents dans la langue courante. Quant aux termes purement techniques d’origine anglaise en usage en France, leur pourcentage est du même ordre.
Dans l’édition en cours du Dictionnaire de l’Académie française, sur un total actuel de 38897 mots répertoriés, 686 sont d’origine anglaise (soit 1,76 %), dont 51 anglo-américains seulement. À titre de comparaisons, on trouve 753 mots d’origine italienne (soit 1,93 %), 253 mots venus de l’espagnol (0,65 %) et 224 de l’arabe (0,58 %). Pour affiner encore les statistiques, disons que 48 mots proviennent du russe, 87 du néerlandais, 41 du persan, 26 du japonais et 31 du tupi-guarani ! Sur l’ensemble des mots d’origine étrangère répertoriés dans le Dictionnaire de l’Académie, l’anglais ne représente donc que 25,18 % des importations, et est devancé par l’italien, qui vient en tête avec 27,42 %.
Il est en outre à noter que l’on ne considère ordinairement que le lexique pour parler d’une « invasion » de l’anglais. Mais il convient également de veiller à ce que ne soient touchés ni le système phonologique, ni la morphologie, ni la syntaxe, ce à quoi s’emploie l’Académie française. Ainsi suit-elle attentivement l’évolution de certains abus tels que la propension à multiplier les tournures passives, les constructions en apposition et les nominalisations.
Comment se comporter vis-à-vis des emprunts ? La question n’est pas neuve : au XVIe siècle, déjà, certains s’inquiétaient des italianismes — quelques centaines de mots italiens introduits en français.
Certains emprunts contribuent à la vie de la langue, quand le français n’a pas d’équivalent tout prêt ni les moyens d’en fabriquer un qui soit commode, quand ils répondent à un besoin, et quand leur sens est tout à fait clair. C’est ainsi que Nodier, cité par Littré, remarquait que « Confortable est un anglicisme très-intelligible et très-nécessaire à notre langue, où il n’a pas d’équivalent. »
D’autres sont nuisibles, quand ils sont dus à une recherche de la facilité qui ne fait qu’introduire la confusion : on emploie un anglicisme vague pour ne pas se donner la peine de chercher le terme français existant parmi plusieurs synonymes ou quasi-synonymes. C’est le cas, entre autres, de finaliser, performant, collaboratif, dédié à (dans le sens de « consacré à ») ou, pire encore, de cool, speed, fun, etc.
D’autres enfin sont inutiles ou évitables, comme la plupart de ceux qui relèvent d’une mode, ceux par exemple qui ont été introduits au XIXe siècle par les « snobs » et les « sportsmen » ou ceux qui, aujourd’hui, sont proposés par des personnes férues de « high tech » ou qui se veulent très « hype » : emprunts « de luxe » en quelque sorte, qui permettent de se distinguer, de paraître très au fait, alors que le français dispose déjà de termes équivalents. Ainsi feedback pour retour, speech pour discours, customiser pour personnaliser ou news pour informations. On remarquera qu’il en va heureusement de ces anglicismes comme de toutes les modes, et qu’ils n’ont parfois qu’une vie éphémère : plus personne ne dit speaker (à la radio), lift (pour ascenseur), ou starter, tea gown, etc., plus récemment des termes comme pitch ou soirées afterwork, un temps très en vogue, semblent passer de mode. De même, on ne dit plus computer mais ordinateur, software mais logiciel, et on opte pour la vidéo à la demande, l’accès sans fil à l’internet, le biocarburant, le voyagiste, le covoiturage, le monospace, la navette, le passe, etc. ; cette évolution a été permise grâce au travail de terminologie et de néologie mené par le dispositif de terminologie et de néologie auquel participe l’Académie française.
Il y a donc un tri à opérer. L’Académie française s’y consacre, par son Dictionnaire et ses mises en garde, et par le rôle qu’elle tient dans les commissions officielles de terminologie et de néologie des différents ministères et au sein de la Commission générale (voir l’article Terminologie). Elle contribue à la publication régulière d’équivalents français, répertoriés dans la base de données France Terme, accessible aux professionnels et au grand public.