La France et l’Europe à la croisée des chemins : le statut post-Brexit des langues officielles des institutions sera fatidique, par Albert Salon.
L’Action française est solidaire du Haut Conseil de la langue française et de la Francophonie (HCLFF) dans son combat contre le maintien de la langue anglaise comme premier et bien souvent seul mode linguistique de communication au sein de l’Union Européenne, surtout après le Brexit. Il va de soi, que conformément aux vœux des constructeurs de l’UE dès le début, cette langue risque d’être maintenue en première place par signe d’inféodation, non pas au royaume d’outre-Manche, mais à l’empire d’outre Atlantique. (Ndlr).
Le Haut Conseil de la Langue française et de la Francophonie (HCLFF) peut marquer très prochainement son entrée en scène par une première action jugée de toute première importance : une lettre adressée au Président de la République, aux parlementaires et aux media, pour le prier d’écarter le danger imminent de voir les institutions de l’UE adopter, en dépit (ou à cause !) du Brexit, l’anglais comme seule langue officielle de fait. (*)
La construction européenne hésite encore aujourd’hui entre deux conceptions opposées : la continentale qui a une longue tradition, et l’atlantique plus récente. Toujours, la question linguistique a été le fléau de la balance. Le Traité de Rome de 1957 a été suivi en automne 1958 du règlement européen n° 1 qui réglait le statut des langues officielles et de travail. Il fut adapté au fil de l’élargissement de la CEE puis de l’UE.
La gestation et les débuts de l’UE ont été marqués par une sorte d’équilibre entre la conception des États-Unis post-Plan Marshall et une conception continentale européenne, française pour l’essentiel. Jean Monnet, Maurice Schumann et Walter Hallstein, en bonne partie guidés et financés par Washington et la CIA, ont défendu la première conception. Le résultat fut un compromis assez satisfaisant pour que le Général arrivé au pouvoir en juin 1958 pût l’entériner et le poursuivre : une Europe des nations, mais dont chacune restait – même la France – liée aux États-Unis. Mais le français dominait de fait à Bruxelles.
Lorsque le Président français et le Chancelier Adenauer signèrent le traité franco-allemand de janvier 1963, sa portée, très continentale et théoriquement considérable, fut vite réduite par la dépendance stratégique de l’Allemagne à l’égard des États-Unis, qui se traduisit par le sérieux coup de frein mis par le Parlement de Bonn. Entre autres conséquences, le français ne put jamais être choisi en première langue au même titre que l’anglais dans les écoles des Länder. La première puissance économique du continent devenait bilingue allemand-anglais, avec un fort effet d’entraînement sur ses voisins au nord et à l’est.
Après le départ du Général, l’admission de la Grande Bretagne, puis des autres États européens, se traduisit, la plupart du temps sans véritable résistance des gouvernements français, par une inexorable montée en puissance de l’anglais dans les institutions. Jusqu’à réduire considérablement, ces dernières décennies, l’utilisation des autres langues officielles et même de travail (allemand et français), et à imposer aux administrations des pays membres de travailler sur des documents de Bruxelles non traduits, et d’y répondre uniquement en anglais. Le fléau a penché dangereusement du côté d’une langue unique de fait : l’anglo-américain.
Le Brexit devait logiquement conduire, sinon à rayer l’anglais de la liste des officielles, du moins (du fait de l’Irlande qui l’avait déclarée au même titre que le gaëlique) à mettre fin à son rôle hégémonique. Ainsi M. Junker, par exemple, avait-il marqué son hostilité au Brexit en s’exprimant davantage en français et en allemand. Feu de paille…
Car un fort mouvement gagne actuellement la plupart des dirigeants européens, et meut d’excessifs fédéralistes, surtout français, en faveur du maintien de l’anglais, de droit, ou plutôt de fait pour éviter de toucher au règlement n°1, ce qui exigerait débats et vote à l’unanimité en Conseil européen. Un consensus semble s’installer pour ne pas prendre de décision épineuse et tout simplement continuer à utiliser l’anglo-américain comme « langue commune », de fait. En invoquant à l’occasion l’habitude bien prise, la commodité, les économies de traducteurs et interprètes, et surtout l’argument nouveau, plutôt osé, selon lequel l’anglais post-Brexit serait devenu, à Bruxelles, une sorte de langue neutre, un volapük commode et inoffensif, comme s’il n’était pas la langue dominante et hégémonique, surtout sur le continent européen.
La pratique très récente, à Bruxelles, va d’ailleurs dans ce sens, en faits accomplis. Ainsi, la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, pourtant à la fois allemande et bonne francophone, n’y parle plus guère qu’anglais. L’Europe devient atlantique, au moins de langue. Il faut ramener le fléau au centre.
En traite une lettre ouverte adressée le 22 octobre 2019 au Président de la République, signée par 25 de nos associations, mais qui fut soigneusement occultée par les grands media.
C’est en effet d’abord de la France qu’est attendue partout l’opposition à cette « langue commune », réduisant à une les trois « de travail » du règlement n°1.
Si nous voulons être à la hauteur de cet enjeu français, européen et civilisationnel, et éviter au Président de la République une forfaiture par glissement sur une pente atlantiste, nous vous proposons de lui demander collectivement qu’au nom de la France, il informeofficiellement le Conseil de l’UE de la décision de la France de tenir, pour sa part, compte du Brexit, en :
- ne souffrant plus que ses administrations soient contraintes de travailler sur des documents de l’UE non traduits, et d’y répondre uniquement en anglais ;
- demandant que le Conseil réaffirme sa volonté de respecter l’esprit et les dispositions du règlement n°1, et fixe lui-même le statut post-Brexit des langues officielles et de travail en Conseil des Chefs d’État.
Albert Salon.
(*) CommuniquédePresse18septembre2020
Le Haut Conseil de la Langue française et de la Francophonie (HCLFF), créé le 18 juin 2020 à Paris, a adressé le 14 septembre à Monsieur le Président de la République française une lettre ouverte collective de ses cent personnalités membres, dont la liste est jointe, au sujet de la place post-Brexit du français et des autres langues officielles et de travail de l’Union européenne. Il lui demande solennellement d’informer officiellement le Conseil de l’UE de la décision de la France de tenir, pour sa part, compte du départ du Royaume-Uni, en :
- ne souffrant plus que ses administrations soient contraintes de travailler sur des documents de l’UE non traduits, et d’y répondre uniquement en anglais ;
- demandant que le Conseil revienne à l’esprit du règlement linguistique n°1 de 1958 modifié, et fixe lui-même le statut post-Brexit des langues officielles et de travail en Conseil des Chefs d’État, qui doit se prononcer à l’unanimité.
Avenir de la Langue française, 34bis, rue Picpus,75012, avenirlf@laposte.net et 23 autres associations.
Source : https://www.actionfrancaise.net/