L'aventure France en feuilleton : Aujourd'hui (166), L'Empire français en 1945...
Il ne s'agit pas, ici, de traiter du débat sur la nécessité, l'intérêt ou le droit, d'avoir des Empires.
Il s'agit simplement - sans porter de jugement de valeur sur la chose en elle-même - de regarder l'Histoire, et de constater un fait historique, qui s'est passé, qu'on le veuille ou non; que cela plaise ou non; qu'on le regrette ou qu'on s'en réjouisse...
En Europe, les cinq grands pays "navigateurs et explorateurs" ont, chacun, eu leur Empire outre-mer (sans même parler des puissances maritimes, comme Gênes ou Venise, dont les "empires" étaient d'une autre nature) : la Hollande, la Grande -Bretagne, la France, l'Espagne, le Portugal.
Des Empires tous différents les uns des autres et tous gérés de façons différentes : il est clair que les Anglais - en bons anglo-saxons qu'ils sont, logiquement - n'ont jamais porté sur leurs colonies le même regard (et, probablement, les mêmes illusions...) que les latins de France, d'Espagne et du Portugal...
Ces quelques réflexions générales ayant été posées, et pour s'en tenir à la France, cette carte montre l'Empire français tel qu'il fut à son apogée, et juste avant sa fin.
En réalité, c'est à partir de François premier qu'un premier effort d'envergure fut fait en France pour s'étendre "outre-mer".
On connaît le mot du roi, qui, réagissant à la Bulle papale d'Alexandre VI, partageant les terres du Nouveau Monde entre l'Espagne et le Portugal, demandait plaisamment à ce qu'on lui montre la clause du testament d'Adam qui le priverait d'une partie du monde à découvrir...
Mais tous les rois n'eurent pas, loin s'en faut, cette réelle envie de "projeter la France" au loin : Michel Mourre a parlé avec justesse du bon sens paysan des Capétiens (le mot s'étendant ici à l'ensemble des dynasties, Valois et Bourbons compris) qui ont, dans l'ensemble, toujours préféré la morale de la fable de La Fontaine, "Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras"; et qui se sont dans leur très grande majorité, toujours plus préoccupé d'arrondir leur pré carré que de conquérir d'immenses étendues lointaines...
Bainville a ainsi justifié Louis XV qui, dans l'épuisante opposition que nous suscitaient les Anglais, a préféré abandonner le lointain Canada et l'Inde lointaine pour mieux réunir, mais définitivement, la Lorraine et la Corse, c'est-à-dire poursuivre l'achèvement du territoire métropolitain : il le fit par raison, et il eut raison, même si ce ne fut pas sans tristesse...
La nécessité de construire la France, qui n'était pas achevée alors - et qui ne l'est toujours pas aujourd'hui... - n'est pas la seule explication de ce dilemme colonial pour la France : en réalité, le peuple français n'a jamais souhaité quitter en masse la "douce France" pour s'expatrier dans des contrées lointaines; nous avons eu de grands navigateurs, de grands explorateurs, de grands marins, mais jamais de grands mouvement d'exode massif de population, comparables à ceux que connurent l'Espagne ou l'Angleterre : il est plus facile d'abandonner des conditions d'existence quand elles sont plus rudes (ce qui est le cas de l'Angleterre) ou quand l'attrait du gain immédiat est plus fort (ce qui fut le cas pour l'Espagne à la Renaissance) que lorsqu'on vit dans un pays "Wie Gott im Frankreich", c'est-à-dire "heureux comme Dieu en France..."... comme disent nos voisins allemands.
Ainsi s'explique que, bien que découverts par nous, les immenses territoires de l'Amérique du nord (Louisiane et autres...), restés sans peuplement "français" massif, ne pouvaient, à la longue, être conservés, là où des populations anglo-saxonnes nombreuses se développaient, au contraire...
Après trois à quatre siècles d'hésitations et de balbutiements - durant lesquels les épisodes glorieux ne manquèrent pas - il y eut pourtant, finalement, un Empire français, et il fut étendu.
C'est que, entre temps, la Révolution avait eu lieu, et la IIIème république s'était installée. La France était vaincue en Europe, et sur son sol même, par la perte d'une guerre de 23 ans déclenchée par la seule folie révolutionnaire; elle était bloquée dans son extension logique et séculaire vers le Rhin après les deux invasions ("deux invasion pour l'oncle, une pour le neveu : voilà une famille qui a coûté cher à la France" disait plaisamment Bainville, parlant des deux Napoléon...).
À cette France-là, vaincue et blessée, la Troisième République naissante offrit une sorte de dérivatif, pour canaliser ses énergies, satisfaire ses rêves de gloire, et tempérer ses désirs de revanche sur l'Allemagne : voilà, même si cela peut apparaître cynique, l'origine vraie de l'Empire que nous montre cette carte, au moment où il va, du reste, disparaître...
Et disparaître dans des conditions tragiques et néfastes pour tous, peuples autochtones et français résidant sur place...
Un mot, pour conclure, sur le prétendu "pillage colonial" dont se serait rendue coupable la France dans son Empire, ce qui est bien l’un des plus injustes propos jamais dit ou écrit sur l’œuvre de la France outre-mer. Si, comme toute chose humaine, l’œuvre de la France n’est évidemment pas exempte d’erreurs, de fautes, d’injustices ou de violence, l’action pacificatrice et civilisatrice qu’ont mené les Français, du Canada au Viet-Nam en passant par le Liban et, bien sûr, l’Afrique – qu’il s’agisse de l’Afrique noire ou de l’Afrique du Nord – est bien d’avantage digne d'éloges que de reproches…
Ces quelques lignes d’Henri Nérac, parues dans La Nouvelle Revue d’Histoire (Hors-série, automne 2010) l’expliquent clairement :
"…Après 1945, la France, qui sortait ruinée du conflit et qui avait à reconstruire 7.000 ponts, 150 gares principales, 80% du réseau de navigation fluviale, 50% du parc automobile etc… lança dans son Empire et donc à fonds perdus pour elle une fantastique politique de développement et de mise en valeur qui se fit largement au dépens de la métropole elle-même.
De 1945 à 1948, l’Etat français investit ainsi Outre-mer 1.7OO milliards de francs ; dont 800 en Afrique noire, 60% de ces investissements allant à la création d’infrastructures de transports.
En 1955 et en 1958, alors que les indépendances étaient programmées, la France réalisa pour 180 milliards et pour 200 milliards de francs d’investissement, soit le chiffre effarant de 22% de toutes les dépenses françaises sur fonds publics…
L’Empire boulet n’était même pas un fournisseur de matières premières agricoles ou minières à bon compte pour la métropole puisque nous savons que cette dernière a toujours payé les productions impériales, qu’elle avait pourtant subventionnées, environ 25% des cours mondiaux…
L’Empire, erreur économique majeure, risquait de conduira la France à l’asphyxie et au déclin; c’est pourquoi la décolonisation était devenue aussi urgente que vitale.
Mais en partant la France léguait à ses colonies africaines : 50.000 kilomètres de routes bitumées, 215.000 de pistes toutes saisons, 18.000 kilomètres de voies ferrées, 63 ports, 196 aérodromes, 2.000 dispensaires équipés, 6.000 maternités, 220 hôpitaux dans lesquels les soins et les médicaments étaient gratuits. En 1960, 3,8 millions d’enfants étaient scolarisés en Afrique noire, 16.000 écoles primaires et 350 écoles secondaires, collèges ou lycées, fonctionnaient.
En 1960 toujours, 28.000 enseignants français, soit le huitième de tout le corps enseignant national, exerçaient sur le continent africain. Nous sommes loin du prétendu "pillage colonial"…"
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