Le legs d'Action française (II/X) / Maurras, humaniste et poète ?
(Conférence de Gérard Leclerc, donnée au Camp Maxime Réal Del Sarte - 2019)
Je vous disais tout à l’heure que j’avais une certaine crainte, car qui trop embrasse… risque d’être complètement débordé par son sujet… C’est pourquoi j’ai choisi un certain nombre de séquences, je ne suis pas sûr d’avoir le temps de les reprendre toutes. Mais, bon…, commençons par les origines.
A l’origine, il y a donc un étonnant personnage qui s’appelle Charles Maurras. Mon père avait coutume de dire que c’était « un homme qui faisait honneur à l’homme ». Effectivement, c’était une personnalité tout à fait singulière : par sa seule volonté, il va ranimer une part essentielle du legs historique de la France. L’idée monarchique était en train de s’effacer, de disparaître, et cette fin paraissait alors définitive, et il va parvenir à la restaurer. Il aura fallu ce petit bonhomme tout à fait unique pour en rétablir l’idée.
Pour comprendre son épaisseur réelle, essayons de rentrer un peu dans sa personnalité. Je lui attribuerai un certain nombre de qualificatifs. Je dirai d’abord que Charles Maurras est un humaniste ; pas au sens niais et habituel du terme, tel que le Parti radical s’en réclame, ni au sens du XVIIIe siècle et des Lumières, mais au sens du XVIe siècle : un homme des humanités. Un homme d’une culture profonde, un homme qui a bénéficié de cet enseignement, de cette culture générale qui aujourd’hui est presque complètement perdue. Un homme formé au latin, au grec, et à la pensée grecque, et à la littérature latine, un homme étonnant que nous connaissons mieux depuis que notre ami Axel Tisserand a édité sa correspondance avec son professeur, son maître, l’abbé Jean-Baptiste Penon, qui deviendra Mgr Penon.
Pédagogue exceptionnel, Penon a formé Maurras à ce que l’on appelle les humanités, les humanités classiques. Il l’a formé à la littérature française, mais d’abord au latin et au grec. Maurras avait ainsi une connaissance du latin et du grec que les générations suivantes n’ont pas connues. C’est mon cas… J’ai fait du latin et du grec, mais j’étais un peu honteux devant mes prédécesseurs, parce que nous n’avions pas cette connaissance précise qui nous permettait de lire et interpréter un texte de Virgile ou de Platon.
Maurras est donc d’abord un formidable humaniste. Un jour, je visitais sa maison du chemin de Paradis, à Martigues, j’y étais avec un éminent professeur de littérature de Rennes qui nous expliquait :« Voyez cette bibliothèque ! Vous ne pouvez pas comprendre Maurras sans cette bibliothèque… », sans cette formidable culture qu’il a emmagasinée dès l’adolescence et qui explique la puissance et la profondeur de son esprit. Lorsque je parle de Maurras, je parle toujours de cet aspect-là : si on n’a pas présente à l’esprit cette culture humaniste, difficile à imaginer aujourd’hui, il est incompréhensible, on ne peut entrer dans la profondeur de son esprit. Les premiers textes qu’il a écrits – je pense au Chemin de Paradis et à Anthinéa – ne s’expliquent que par cette culture. Ils sont emplis du suc de ces connaissances premières. Et aussi de l’exceptionnelle pénétration de son œil de critique littéraire, car c’est comme critique littéraire que Maurras s’affirme d’abord dans le journalisme. Il sera le premier à saluer, en 1896, Les Plaisirs et les jours, le premier livre d’un jeune écrivain juif inconnu, Marcel Proust, qui lui en sera reconnaissant toute sa vie.
Un humaniste, donc, mais aussi un penseur. Il ne se contente pas d’emmagasiner tout le legs de la pensée, d’être une sorte de super-historien des idées, c’est aussi quelqu’un qui pense par lui-même. C’est en pensant par lui-même qu’il remet en cause et dépasse le conformisme et les préjugés les mieux établis de son époque. C’est une des choses qui m’impressionnent le plus chez Maurras, cette magnifique autonomie, cette absolue indépendance d’esprit qui lui permet de comprendre son temps en le dépassant, en le surmontant.
Et Maurras est encore – et cela tout au long de son existence – un poète. Ce qui contredit l’image que l’on se fait souvent de lui d’une espèce de rationaliste desséché… Notre cher Bernanos disait que « Maurras couchait avec la raison », ce qui d’un certain point de vue, était vrai, mais il ne faut pas oublier l’immense part de sensibilité poétique qu’il y a chez lui. La grande poétesse Anna de Noailles l’avait bien saisi qui disait qu’on ne pouvait pas comprendre Maurras sans ressentir sa sensibilité frémissante, et sans pressentir qu’un profond secret l’habitait.