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Thomas Flichy de la Neuville : Quel avenir pour la Turquie ?

Manifestations pro et anti-régime à Téhéran
 
 
par Thomas Flichy de la Neuville
 
Turquie. Recep Erdogan a gagné, comme prévu, les élections présidentielles en Turquie avec 52,5 % des votants et une majorité législative. Il peut librement user de tous les pouvoirs pour gouverner comme il l’entend. L’histoire turque continue…Dans quelle direction ? 
 
 
 
59f0754f488c7b0d1d8b4568.jpgLa réélection du président Erdogan ne saurait nous surprendre : la tendance politique générale observée depuis quelques année est celle du renforcement de régimes autoritaires avec différentes variantes, par exemple, celle du bonapartisme technocratique sur les terres mêmes du libéralisme.

De ce point de vue, les Mémoires d’outre-tombe méritent relecture, tant il est vrai qu’elles décrivent cette mutation avec force : « Voyageur solitaire, je méditais il y a quelques jours sur les ruines des empires détruits. Et je vois s’élever un nouvel empire¹ ». Le regard de l’empereur était alors terrifiant : « Un moucheron qui volait sans son ordre était à ses yeux un insecte révolté² ». Napoléon fut pourtant défait par un régime plus ouvert que le sien, celui de la Russie. Dans ce duel, Bonaparte fut leurré par Alexandre. Lorsqu’il demanda son alliance le 21 mars 1812 en requérant de lui 100 000 soldats turcs, il lui offrit la Valachie et la Moldavie. Mais les Russes l’avaient devancé et leur traité fut signé le 28 mai 1812³.

Versement géopolitique

C’est donc Châteaubriand qui nous offre la clef des événements qui ont immédiatement suivi l’échec du coup d’État du 15 et 16 juillet 2016. La Turquie hésitait alors entre une improbable intégration européenne, la construction d’un nouvel empire turc oriental grâce à l’immense aire de civilisation dont elle dispose jusqu’à la Mongolie et un néo-ottomanisme méridional orienté vers la Syrie puis l’Egypte. Rien de tout ceci ne s’est produit. Car après l’échec du coup d’État, la Russie a retourné ce pays – comme elle l’avait fait en 1812 – au profit d’une alliance continentale avec la Chine et l’Iran.

C’est ainsi que le nouvel empire mongol s’est reconstitué. Ce renversement géopolitique a été facilité par le fait qu’Iran et Turquie avaient multiplié leurs échanges économiques au cours de la dernière décennie, et ce malgré leurs dissensions géopolitiques. Quelles en seront les conséquences à moyen terme ? En janvier 2030, les frontières de l’Union européenne atteindront les frontières de la Biélorussie et de l’Ukraine. Cette nouvelle extension, qui précipitera encore l’affaiblissement européen, profitera à la Turquie. Ce pays cueillera en effet tous les fruits de son refus d’intégration dans le marché européen en proposant désormais un modèle alternatif et concurrent avec une Union turcique, réunion des États turcophones dans un marché commun assez souple s’étendant de la Méditerranée aux frontières de la Chine et de la Russie.

Forces et faiblesses

Dégagée des pressions de Washington qui lui intimait de rejoindre l’UE, Ankara rêvera de reconstituer l’un de ces grands empires mythiques issus des steppes d’Asie centrale. Mais au-delà du projet chimérique, la Turquie sera devenue un nouvel atelier du monde⁴, un géant démographique (90 millions d’habitants en 2040⁵) et une puissance militaire régionale⁶. Celle-ci lancera un appel à sa diaspora instruite d’Europe afin qu’elle revienne investir au pays. Les Turcs de l’étranger seront alors exhortés à ne pas oublier leurs racines culturelles et linguistiques, alors même que la mère patrie souffrira de vieillissement démographique⁷.

Malgré l’essor de sa production, la Turquie ne deviendra pas pour autant la nouvelle Californie de l’Asie. En effet, l’innovation y sera de plus en plus bridée par les autorités religieuses désormais associées au pouvoir. Rompant avec l’héritage kémaliste, l’alphabet turc ottoman sera désormais conjointement enseigné avec les caractères latins pour permettre une meilleure compréhension des très riches héritages arabo-persans, ainsi que des gloires impériales. Ce retour aux sources, qui rejette l’occidentalisation imposée par Atatürk et profondément ancrée dans les mentalités de la jeunesse stambouliote, déterminera certains à quitter la Turquie : ils iront rejoindre des pays comme l’Allemagne ou même Israël où leurs compétences se trouveront employées au profit des industries de pointe.   ■  

 

1. François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1849, p. 29

2. François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1849, p. 406

3. François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1849, p. 161

4. Taux de croissance de la Turquie en 2010 :
9,2 %, 2011 : 8,8 %,
2012 : 2,2 %.
Il s’agit du 17e pays le plus riche en 2013. Son PNB a été multiplié par trois entre 2003-2013.

5. Horizons stratégiques, ministère de la Défense, chapitre I, p. 39, mars 2013, mis en ligne le 5 août 2013.
www.defense.gouv.fr/das/reflexion-strategique/prospective-de-defense/articles-prospective/horizons-strategiques

6. Le Monde vu en 2030 par la CIA, éd. des Équateurs, 2013, p. 28.Horizons stratégiques, ministère de la Défense, chapitre I, p. 39, mars 2013, mis en ligne le 5 août 2013.
www.defense.gouv.fr/das/reflexion-strategique/prospective-de-defense/articles-prospective/horizons-strategiques

7. Le Monde vu en 2030 par la CIA, éd. des Équateurs, 2013, p. 97

 

Thomas Flichy de la Neuville

Enseigne à Saint-Cyr. 

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