Pour une contre-révolution européenne : une réflexion de Claude Bourrinet*
Nous souhaitons, nous aussi, bien-sûr, cette contre-révolution que Claude Bourrinet prône dans cette excellente chronique que Boulevard Voltaire vient de publier. Nous l'avons parfois appelée alter-révolution pour marquer qu'elle ne peut pas être un simple retour en arrière, mais une autre révolution, pour retrouver - ou restaurer - ce que Pierre Boutang nommait l'ordre légitime et profond. Ou encore une métamorphose selon le terme que Claude Bourrinet emploie ici (comme Edgar Morin ...) ou une metanoïa que Boutang préférait. Nous ne contesterons pas que celle-ci doive s'accomplir, si elle survient, à l'échelle européenne; peut-être, d'ailleurs, est-elle déjà commencée ... Nous pensons simplement qu'elle devra prendre corps au travers des peuples divers du Vieux-Continent et des Etats qui le composent et ont seuls, pourvu qu'ils le veuillent, que les peuples les y poussent, les moyens politiques de cette autre révolution. Nous ne méconnaissons pas non plus les risques de triomphe de cette barbarie intérieure (et collective) mondialisée dont parle Claude Bourrinet. Mais nous ne pensons pas qu'on doive pour autant la considérer comme inéluctable : nous voyons en effet se créer ou se recréer de par le monde quantité de pôles de résistance au déracinement et à l'aplatissement. Observons bien : les deux tendances coexistent et il n'est pas sûr, selon nous, que les racines de ce monde, dans la diversité de leurs modalités, voire de leurs oppositions, aient dit leur dernier mot. LFAR •
La philosophe Simone Weil, morte en 1943, en rappelant l’impérieux besoin d’enracinement, combattu de toutes leurs armes par tous les pouvoirs qui se sont succédé depuis l’avènement de ce que les historiens appellent la « période contemporaine », considérait comme nécessaire la suppression des partis, perçus comme des factions, des parasites prospérant sur un grand corps vivant. Les organisations politiciennes sont, en effet, des prismes par lesquels la réalité est déviée, déformée, trafiquée, pour servir à des causes qui n’ont rien à voir avec l’intérêt de la communauté. C’est là le résultat néfaste d’une « table rase » révolutionnaire, qui a arraché le peuple à ses racines millénaires, pour le faire entrer, volens nolens, dans la modernité individualiste, utilitariste, et amnésique. Encore au milieu du XIXe siècle, la plupart des Français parlaient encore leur langue régionale, avant d’user du français. Depuis, l’École républicaine, la presse, puis la télévision, enfin le « nomadisme », ont éradiqué les restes d’identités liées aux patries charnelles.
Cependant, le coup mortel fut donné par ce véritable génocide culturel que fut, après la guerre, l’exode rural. La « modernisation » accélérée du pays acheva de transformer la France en canton du monde. Le mondialisme pouvait y pondre ses œufs, sans gêne, comme un coucou. Le gaullisme ne fut qu’un vain sursaut, avant le saut. Les Français, « américanisés » à outrance, se ruèrent sur les gadgets et les mirages du nouvel ordre libéral global. Un nouveau communautarisme, comme le préconise Julien Rochedy, et comme l’excellent dernier numéro de la revue Éléments l’analyse, est sans doute la dernière solution, avant la disparition totale.
L’immigration massive a, au moins, eu cette vertu qu’elle nous mit devant notre propre vide existentiel. Si ces populations allogènes ne s’intégreront jamais à notre civilisation, elles nous obligèrent à nous regarder. Ne soyons pas stupides : le prétendu « Français de souche » n’est plus qu’un singe de ses maîtres anglo-saxons. Comme disaient les marxistes, sa « praxis », nonobstant ses incantations « nationales », le place de plain-pied dans l’univers postmoderne du « dernier homme », mû par des stimuli narcissiques, des simulacres empoisonnés, et des besoins grotesques.
La « contre-révolution » est aussi une révolution. Tenter de sortir du puits est quasi désespéré, mais invoquer les mânes des ancêtres, comme au Tibet on fait tourner les moulins à prière, est vide de sens, si la métamorphose de l’ectoplasme actuel en être de chair et de sang ne s’effectue pas jusque dans les tripes, jusque dans son cœur, jusque dans ses habitudes les plus intimes. Le reste n’est que littérature. •
* Claude Bourrinet - Professeur de Lettres