LIVRES - HISTOIRE • Louis Manaranche : si elle ne connaît pas son histoire, la France est condamnée
Crédits photo: Martine ARCHAMBAULT/Le Figaro
ENTRETIEN - À l'occasion de la sortie de son livre « Retrouver l'histoire », Louis Manaranche a souligné pour FIGAROVOX l'importance de la transmission de notre héritage pour faire face à la crise.
Louis Manaranche est agrégé d'histoire et président du laboratoire d'idées Fonder demain. Son livre « Retrouver l'histoire » vient de paraître aux éditions du Cerf.
Dans de nombreuses écoles, la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo, n'a pas été respectée. Ces incidents ont mis en lumière une profonde crise de l'intégration. Celle-ci est-elle également selon vous une crise de l'histoire et de son enseignement ?
Certainement. Il y a, depuis désormais plusieurs décennies, un profond malaise dans la transmission de ce qui constitue le socle de notre culture commune. Face à des élèves d'origines diverses et issus d' univers à l'identité culturelle et religieuse forte, nous peinons à dire qui nous sommes et ce qui nous a faits ainsi.
Si l'histoire de ce pays et de cette civilisation n'est pas enseignée, nous ouvrons la voie non pas à un choc culturel mais à celui de l'inculture, pour reprendre l'expression de François-Xavier Bellamy, vectrice d'une identité refuge caricaturale. Dans cette configuration, la réaction immédiate est celle de la provocation, du défi à l'égard de la France et de ce qu'elle porte.
Quelles sont les causes profondes de cette crise ?
Elles sont multiples. D'un côté, on ne veut pas trop imposer l'histoire de France -et plus largement celle de la civilisation européenne- de crainte que ceux dont les histoires familiales sont autres ne s'en trouvent discriminés. Ainsi, les programmes incluent de plus en plus des excursions vers des univers lointains. Cela part d'un souci louable. Toutefois, en diluant ainsi l'enseignement d'une histoire commune, nous diluons aussi les motifs d'appartenance à une même nation, à une même culture. De l'autre, nous sommes volontiers honteux de notre histoire, qui contient évidemment des heures peu glorieuses. Il ne s'agit ni de les éluder, ni de les déplorer constamment, mais de donner la compréhension de l'histoire comme un tout, qui s'impose à nous. Les zones d'ombre d'une histoire familiale n'empêchent pas une identité assumée: il doit en aller de même pour l'histoire d'un pays.
Quel regard portez-vous sur les lois mémorielles? Confond-on mémoire et histoire ?
L'historien doit être le plus libre possible des contraintes extérieures pour mener sa recherche. C'est un principe fondamental. Il est toutefois inévitable qu'un discours mensonger, incitant à la haine raciale ou religieuse, justifiant ou atténuant tel ou tel crime contre l'humanité, ne puisse être produit sans conséquences légales. L'historien ne peut pas déroger à cette règle qui accompagne tout bon usage de la liberté d'expression. Une communauté, et a fortiori une nation, est légitime pour faire mémoire d'événements, de lieux et de périodes marquants. L'histoire peut irriguer cette mémoire, l'enrichir et la corriger. Elle ne peut, en revanche, en être la simple auxiliaire.
Dans votre livre vous renvoyez dos à dos l'école de la IIIe République et l'école des «pédagogistes» née de l'après 68. Mais l'histoire républicaine, si elle contenait une part de mythe, n'avait-elle pas au moins le mérite de transmettre un héritage et de créer un sentiment d'appartenance au même titre que l'anthropologie chrétienne ?
Ces deux écoles ne sont pas comparables. Malgré ces limites, la première n'a jamais perdu de vue l'objectif de la transmission! Simplement, là où l'histoire s'enseignait volontiers comme un roman national, on ne peut plus aujourd'hui s'adresser aux élèves de la même manière. La pluralité des sources d'information et des univers familiaux amène à enseigner une histoire qui n'élude pas les périodes compliquées. Elle doit évidemment garder une dimension chronologique et narrative, mais elle ne peut plus être lue comme fléchée d'avance. Le sentiment d'appartenance est d'autant plus fort qu'il s'appuie sur l'héritage entier, tel qu'il est, sans l'embellir ni le salir.
«On fait l'histoire avec une ambition, pas avec des vérités. Je veux donner aux Français des rêves qui les élèvent, plutôt que des vérités qui les abaissent» disait le général de Gaulle. Sans tomber dans l'«histoire officielle», une nation n'a-t-elle pas besoin de mythes pour se construire ?
Les mythes sont certainement, par leur valeur évocatrice et même poétique, d'une importance au moins égale à l'histoire académique. Mais ils doivent être entretenus précisément par l'univers du beau plus que par l'enseignement de l'histoire. Celle-ci donne la matière, mais c'est le génie des peuples, de ses artistes, de ses poètes, de ses musiciens, de ses architectes, qui en fait naître un mythe. L'école doit aussi transmettre ce riche héritage! L'histoire de la Résistance serait bien aride sans le chant des Partisans, sans le discours de Malraux au Panthéon, sans la puissance évocatrice des images du maquis du Vercors...
Les attentats contre Charlie Hebdo ont ré-ouvert le débat sur la laïcité à l'école. Quel regard portez-vous sur celle-ci ?
Elle est un facteur de paix et d'unité dans l'école de la République dans la mesure où elle ne nie pas le fait religieux. On a souvent cru, à tort, que la laïcité exigeait que l'on soit discret dans la transmission de notre patrimoine d'origine chrétienne. Vouloir transmettre des valeurs sans, avant tout et en premier lieu, faire comprendre le terreau historique, culturel et spirituel sur lequel elles ont émergé, en respectant évidemment la liberté de conscience, n'est pas digne de la mission de l'école. En outre, cette compréhension du fait religieux ne doit pas être reléguée au rang des souvenirs du passé. Il faudrait trouver une manière non-confessionnelle et respectueuse de tous de dire l'importance de la quête spirituelle et les réponses qu'y apportent les grandes religions présentes en France. Voir la laïcité comme l'expulsion du religieux hors de toute sphère publique est une caricature sans doute plus dangereuse que jamais.
En quoi l'Europe et la mondialisation modifient-elles notre manière d'appréhender l'histoire ?
On touche là le coeur de la démarche du livre. Il n'y est pas seulement question de la transmission académique de l'histoire mais aussi du rôle que celle-ci peut jouer face aux défis contemporains. En ce sens, ce livre a une dimension politique. L'Europe et la mondialisation nous posent la question d'une possible Cité sans frontières ni racines. Nous Français sommes particulièrement armés pour savoir que c'est une chimère, que l'universel ne va pas sans le très incarné, le local. Notre histoire offre des pistes pour penser ces articulations de manière décomplexée. Appartenant pleinement à tout Français, elle ne peut être excluante de quiconque et elle offre de nombreux critères de discernement. Sans réappropriation de notre héritage commun, avec ses perles méconnues, nous ne pourrons être capables de trouver notre place dans le cours de l'histoire. Retrouver l'histoire essaie de décliner et de développer cette idée ! •
Commentaires
Je ne suis pas une intellectuelle, une simple mère de famille, sans prétention. Je suis contente de lire ce que je pense depuis longtemps, l'histoire peut être un facteur d'unité.
Mes petits enfants et avant eux mes enfants adorent que je leur raconte l'histoire de la famille. C'est ce qui m'a amené à comprendre l'importance d'être enraciné.
Je vais de ce pas lire votre livre qui me semble poser les bonnes questions sans passion
Cela fait bien longtemps que l'on a de bonnes réponses à de mauvaises questions, que les enseignants qui pantouflent dans les ministères ont perdus le sens commun.