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George Steiner : « Donner à quelqu'un tout ce qu'il veut, c'est pour moi l'insulte suprême à la dignité humaine »

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« Notre système de capitalisme libéral nous dit qu'en aucun cas il ne se fait d'illusions sur nous, le mieux étant de nous donner ce que nous désirons. Et donner à quelqu'un tout ce qu'il veut, c'est pour moi l'insulte suprême à la dignité humaine. S'il n'y a vraiment pour alternative que l'Islam fondamentaliste, s'il n'y a plus pour alternative ce judaïsme perverti qu'était le communisme, nous nous trouvons devant un gouffre béant. Et ceci d'autant plus que nous vivons déjà dans une vacuité du monde. La drogue, le kitsch sont autant de vides si présents en nous que je ne vois en aucun cas une bénédiction sans ambages dans cette pseudo-libération mais au contraire une accusation contre nous-mêmes, une sorte d'autocritique que nous ne ferons jamais, alors qu'il nous incombe de refuser que la loi du marché devienne une loi pour l’homme. L'odeur de l'argent empeste chaque pays, la France, l'Allemagne occidentale, l'Angleterre. Le cri de l'argent et ses exigences dominent les universités, l’art, la production théâtrale et littéraire. Tout est dans le mot « rentabilité » : Cela est-il rentable, demande-t-on à chaque coin de rue. La réponse est négative. Aucune pensée, aucune poésie dignes de ce nom n’ont été rentables ne serait-ce qu'une seule fois. Au contraire, elles ont toujours basculé vers un déficit. Si sonne l'heure où l'on doit faire les comptes des profits et des pertes, pensons au notaire qui en anglais s'appelle bokkeeper, le gardien des livres. Ironie de l'Histoire, c'est l’inspecteur des finances qui fait les comptes, c'est lui le gardien des livres et force est de constater que le seul livre qui reste ouvert c'est celui des banques, que l'on examine bien plus que les versets bibliques. Il est au centre du Temple. (…) Je sais que Ie communisme a été une horreur et que ce qu'il en reste ne sont que vestiges absurdes d’une grande défaite. Quelques heures après la destruction du mur de Berlin, les Allemands de l’Est ont acheté des vidéos pornographiques ; une semaine plus tard, s'ouvraient à l’Est des sex-shops. Une semaine après, il faut le voir pour le croire ! Un libéral conséquent doit me répondre en ces termes : « Monsieur Steiner, c'est ce que veut l'humanité.» Et il aura raison. Quant à moi, je sais qu'avoir raison de telle sorte, c'est avoir tort. »  u 

 

George Steiner, Entretiens avec Ramin Jahanbegloo, Edition du Félin, Paris, 1992

 

 

Commentaires

  • Réflexion superbe. Et que je rapproche de que j'ai lu de Pierre Boutang. Steiner et Boutang étaient amis, je crois. Même horreur du communisme et même horreur de l'argent-roi et du Dieu Marché. Bravo. C

  • Pour ce philosophe on ne peut mesurer la tragédie des temps présents qu'a l'aune du souvenir de la haute culture européenne et notamment de son dialogue ininterrompu avec la pensée juive.
    De ses relations avec Pierre Boutang, George Steiner aime avant tout son courage physique, alors que lui même en est dépourvu et se dit couard.
    Il aime le militant de l'Action Française placardant des affiches incendiaires dans les rues de Paris et chargeant seul contre les ennemis qui lui barraient la retraite.
    Les débats avec l'auteur de "l'Ontologie du secret" déclare Steiner "comptent parmi les heures stellaires de ma vie".
    Dans sa pensée revient constamment le thème de la civilisation qui s'enfonce, comme Nietzsche l'avait prévu, dans "la nuit de la nuit".

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