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Institutions : A la recherche du politique perdu, par Frédéric Rouvillois

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Sans rien connaître à la médecine, chacun sait que l'homme de l'art qui se trouve devant un grand blessé a le choix entre deux options : les cautères, pommades et onguents qui calmeront un peu sa douleur et lui permettront de mourir plus doucement ; ou l'opération lourde, incertaine, risquée, mais qui peut lui sauver la vie.

Il en va de même dans l'ordre politique. En ce qui concerne la France, on pourrait certes énumérer les nombreuses réformes « faisables », susceptibles d'améliorer le système à la marge - et de lui procurer l'apparence d'une rémission : l'amélioration de la composition du Conseil constitutionnel, la suppression du cumul des mandats, l'introduction de la proportionnelle ou l'abolition de l'article 89-3 qui permet au Congrès de réviser la constitution à tout bout de champ. Autant de réformes techniquement réalisables, sans doute bienvenues - mais strictement capillaires. Dérisoires, au regard de la crise du politique et des menaces qui pèsent sur l'existence même de la France.

L'état : une dispendieuse fiction

Depuis les débuts de son histoire, celle-ci est à la fois un État et une société, qui ne se confondent pas mais marchent côte à côte, l'état ayant contribué à façonner la société, à la faire vivre et durer, cette dernière, de son côté, ayant toujours participé, selon des modalités variables, au fonctionnement de l'État - au point que son consentement constitue l'un des critères de sa légitimité. Or, tout cela part à vau-l'eau.

L'État renonce, morceau par morceau, à sa propre souveraineté, acceptant de se fondre dans un ensemble fédéral au sein duquel sa nature étatique ne sera plus que virtuelle. Sur un autre plan, il laisse se disloquer les structures mises en place avec la Ve république - ces institutions qui lui avaient permis de tenir son rang pendant plus d'un demi-siècle, et d'échapper à un déclin qui, au vu des républiques précédentes, semblait pourtant fatal. Quant à la société, elle ne sait plus où elle en est ni où elle va - emportée par les turbulences de la mondialisation, brisée par l'horreur économique, secouée jusqu'aux tréfonds par des réformes sociétales qui, au nom du Progrès, achèvent de saper ses fondements et de défaire son identité.

Une société qui ne sait plus ce qu'elle veut - mais qui a le sentiment de n'avoir plus son mot à dire sur les affaires qui la concernent car ceux qui décident sont ailleurs, et que l'état, qui la protégeait depuis des siècles, qui se battait pour elle et tentait d'assurer le bien commun, n'est plus qu'une dispendieuse fiction. Un « machin » qui ne sert plus à grand-chose, sinon à accélérer l'implosion générale, tout en coûtant de plus en plus cher.

Un monarque incarnant la continuité

Si on laisse de côté - pour l'instant - la question du prétendant et de la réalisation concrète, le fait est que l'idée se défend bien. Confier à un roi, héréditaire et donc indépendant des partis, le rôle de garantir l'essentiel, de défendre ce qui s'inscrit dans la durée et qu'on ne saurait donc laisser au hasard de majorités de rencontre, semble relever du simple bon sens. L'histoire, tout comme les expériences contemporaines, confirment que le monarque a intérêt à maintenir cet essentiel, et qu'il a la capacité d'y œuvrer, n'étant borné ni par la durée de son mandat, ni par ses promesses aux électeurs. C'est ainsi notamment qu'il peut envisager des réformes en profondeur - lesquelles, par définition, ne sauraient être que progressives et s'étaler sur de longues années, à l'inverse de la régionalisation-minute décidée sur un coin de table par le président Hollande et une poignée de conseillers.

Il va de soi qu'un tel monarque ne serait pas omnipotent. S'occupant de l'essentiel, il laisserait le soin de la politique quotidienne à un premier ministre et à un gouvernement représentant, avec le parlement qui les a investis, la part démocratique du système. Le monarque incarne la durée, la continuité, l'union des différentes composantes de la nation et l'identité de celle-ci. À ce titre, il répond à ce besoin de repères que l'on ressent avec une particulière netteté en ces temps de mutation et d'incertitude. Car le monarque n'est pas seulement le chef de l'État, il est aussi celui de la Maison France, de la grande famille que constitue la nation, de même qu'il est le chef de sa famille à lui. C'est à travers sa personne, et sa famille, que, par en haut, l'État et la société se trouvent reliés - un lien qui se reproduit en bas, à travers les élections, mais sans bénéficier de cette pérennité. Sans bénéficier non plus de la personnalisation propre à l'État monarchique et qui, au fond, change tout : car l'État n'est pas symbolisé par une abstraction mais incarné par une personne de chair et d'os, que l'on sait par cœur, qu'on a vu grandir et dont on connaît les parents et les grands-parents. La forme royale offre ainsi une familiarité qui permet tout à la fois de rassurer et d'impliquer les citoyens - à rebours de l'indifférence que suscitent d'ordinaire les symboles froids et abstraits.

Dans ce cadre, la démocratie acquiert elle aussi une signification particulière et peut se voir attribuer une densité accrue. Dès lors qu'il existe un référent stable et intangible, on peut en effet prendre le risque de la démocratie, et notamment, des changements fréquents qu'elle entraîne. Mieux, on peut, en revitalisant des procédures aujourd'hui neutralisées par la classe politique - référendum, pétition, initiative législative, mandat impératif... - réamorcer l'intérêt de la société pour son état, pour elle-même et pour son propre devenir. On peut faire en sorte que revive en elle le désir d'être souveraine et libre. En combinant monarchie et démocratie, on peut recoudre, et tenter de retrouver le politique perdu.

 

Voir Politique magazine

 

Commentaires

  • La France fait partie d’une civilisation dont toute l’identité réside dans le fait de ne plus en avoir — qui tient son identité même du refus d’en avoir une — et qui, après avoir fait le vide en elle-même, exporte aujourd’hui ce vide à l’échelle planétaire.
    Quoique indéniablement français, la France n’est pas le coin d’Europe où je me sent le plus chez moi — ce qui montre que les problèmes d’identité sont toujours un peu plus compliqués qu’on ne le croit.

  • Totalement d'accord avec l'excellent argumentaire de notre ami Rouvillois auquel je me permets d'ajouter que si le monarque incarne une indispensable et bienfaisante continuité,c'est parce qui'il est le chef d'une famille qui assure une continuité naturelle au-dessus des intérêts personnels ou partisans,comme cela a été le cas en France pendant huit siècles.
    Cette famille-là,c'est l'âme de la France.Le principe en est à la fois sage et commode,et digne de la fierté des Français.
    Ce que dit l'ami Thulé sur l'identité des Français est bien sûr à retenir aussi,et nous écarter aussi bien des tentations migratoires menaçantes pour notre identité française que des utopies d'alliances
    étrangères de nul intérêt-ou même dangereuses et incertaines- dans notre environnement actuel.
    (Par contre,je me permets également de récuser le terme de présentation de "deux options",car nous n'en avons qu'une à la vérité).

  • Patrick Hairet est simple et clair. J'aime bien.
    Thulé : intéressant. Je crois que la France fait partie de la civilisation européenne, suite des Grecs et des Romains, sans compter nos vieux Gaulois, Celtes, Germains, etc. Et aussi l'Eglise, les Églises. Alors Thiulé à raison : actuellement, l'Europe se veut sans identité. Mais d'abord c'est loin d'être vrai partout et je me demande si ça peut s'appeler une "civilisation". Si oui, en profondeur, je crois que ce n'est pas vraiment la nôtre. Et si Thulé se sent plus "chez lui" que dans le pays où il est né, où il travaille, vit, etc. je crois que c'est un problème individuel. Individualiste. Existentiel ! Pas politique.

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