Un accord historique, vraiment ?, par François Reloujac*
Le 11 janvier dernier, le Medef et trois syndicats représentatifs du personnel (CFDT, CFTC et CFE-CGC) ont signé un accord qualifié d’ « historique ». En introduisant une certaine flexibilité sur le marché du travail, cet accord devrait permettre de faire baisser le taux de chômage grâce à une relance de la croissance. Mais ce texte long et complexe portera-t-il les fruits que l’on attend de lui ?
Enfin « un dialogue social apaisé », pouvait se féliciter le chef de l’état, qui a fait de « l’inversion de la courbe du chômage » sa priorité absolue. Certes, le Medef a cédé sur des points qui paraissaient jusqu’à présent non négociables. Mais il a obtenu en échange davantage de « flexibilité » pour adapter les effectifs et la durée du travail aux conditions de la conjoncture. De ce point de vue, les syndicats représentatifs du personnel ont beaucoup lâché. C’est d’ailleurs ce qui explique que ni la CGT ni FO n’ont accepté de signer l’accord. Et, si le monde politico-économique en a immédiatement salué l’aspect « audacieux », l’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie, a toutefois émis une réserve dans ce concert de louanges. Cet accord débouchera-t-il sur la création d’emplois nouveaux ? « La flexibilité pour les entreprises n’est pas la seule donnée du problème », a-t-il expliqué dans Le Figaro du 14 janvier. Il a parfaitement raison !
Les négociateurs du Medef...
Car l’une des causes fondamentales – même si elles sont nombreuses – du sous-emploi chronique dont souffrent les pays occidentaux, est rarement analysée. Si l’histoire nous apprend en effet que, jusqu’au xxe siècle, les hommes travaillaient pour gagner leur vie et celle de leur famille, ceux d’aujourd’hui ne font que « chercher du travail » ! Différence de taille : les lois sociales sont ainsi faites qu’il est particulièrement difficile de commencer à travailler en développant simplement ses propres aptitudes et d’être payé en vendant le fruit de son travail. Quiconque veut se mettre à son compte doit ainsi commencer par payer des charges sociales et des impôts et taxes de toute nature qui lui interdisent toute progressive montée en puissance. Pour travailler et vivre de son travail, il est donc presque indispensable d’entrer dans une structure préexistante. Sous le gouvernement précédent, une mesure, à proprement parler révolutionnaire, avait été mise en place : le statut d’auto-entrepreneur qui remettait à l’endroit la relation entre la rémunération du travail et les charges sociales. L’auto-entrepreneur commençait par être payé avant de supporter des charges. Le seul reproche que l’on pouvait faire à cette réforme était de n’avoir pas généralisé ce statut et d’avoir laissé subsister comme régime de droit commun le système fiscal et social frappant les entrepreneurs individuels qui se trouvent dès lors soumis à la concurrence « déloyale » des auto-entrepreneurs !
L’inversion de la relation entre croissance et chômage
De fait, le travail n’est plus aujourd’hui l’aboutissement d’une volonté individuelle de mettre ses talents au service de la société, mais résulte de la rencontre d’un demandeur d’emploi avec une proposition émanant d’une entreprise déjà installée. On a ainsi inversé la relation entre la croissance et l’emploi. Ce n’est plus le travail accompli qui permet la croissance de la production, c’est l’augmentation des indices de production qui pousse les entreprises à embaucher de nouveaux salariés. L’imagination créatrice et la confiance dans l’avenir ont cédé la place aux statistiques ! De plus, la relation ainsi inversée introduit une inertie considérable dans le système puisque la création d’un emploi ne résulte plus d’une simple volonté individuelle d’une personne physique mais de la « pente des courbes » qui, elle, résulte de la somme de toutes les volontés des personnes morales et des administrations.
Or, pour que ces volontés convergent vers la création d’emplois nouveaux, il faut que ces personnes morales puissent espérer une amélioration de leurs résultats qui ne découle pas seulement et immédiatement de ces emplois nouveaux. Il faut que la production nouvelle soit vendable – alors qu’auparavant elle ne l’était pas –, c’est-à-dire qu’il faut modifier les conditions de cette production. Et comme le marché du travail est terriblement réglementé, cette modification ne peut résulter que de la loi.
...et la réaction de la CGT !
Un accord qui est inapplicable sans une loi nouvelle
C’est bien pourquoi personne ne peut se risquer à dire quel sera le résultat réel de l’accord signé. Pour être applicable, il doit d’abord être transposé dans la loi. Or les vingt-huit mesures contenues dans l’accord, bien que se voulant équilibrées, sont très complexes et difficilement transposables en termes juridiques. De plus, des syndicats comme la CGT et FO, qui peuvent compter sur de nombreux appuis parmi les parlementaires qui soutiennent l’action du gouvernement, ont refusé d’approuver certaines d’entre elles. Le secrétaire général de la CGT a d’ores et déjà « exigé » du Premier ministre que l’accord signé le 11 janvier ne soit pas intégralement retranscrit dans le futur projet de loi qui sera examiné au printemps. Bernard Thibault a mis en garde : « Nous allons avoir des séances de travail très concrètes avec le ministère du Travail pour regarder le texte dans le détail », ajoutant que « le Premier ministre ne peut pas ignorer l’opinion de la première organisation de salariés. »
Dans un contexte économique difficile, où, après le groupe PSA, c’est Renault qui annonce de nombreuses suppressions d’emploi, où, après avoir été mis en redressement judiciaire, le groupe volailler Doux se heurte à la décision unilatérale de la Commission européenne de diviser par deux les subventions octroyées pour l’exportation, le gouvernement peut-il se fâcher avec une partie de son électorat ? Faut-il dès lors considérer que le Président a déjà perdu son pari sur l’emploi ? Non, car il n’a pas dit qu’il ferait baisser le nombre des chômeurs ; il a simplement promis qu’il inverserait la « courbe du chômage ». Mais de quelle courbe s’agit-il ? Celle du nombre des demandeurs d’emploi ou celle de l’accélération permanente de la croissance du nombre des chômeurs ? En fait, la question que l’on devrait se poser n’est pas celle de savoir comment permettre aux entreprises – et aux administrations – de créer plus d’emplois mais celle de savoir comment permettre à un plus grand nombre de Français de travailler et de vivre de la vente des fruits de leur travail. Le combat pour l’emploi ne saurait se limiter à la bataille du salariat !
* Analyse économique parue dans le n° 115 de Politique magazine, Février 2013.