La révolution copernicienne de l'enseignement, par Jean-François Mattéi (II/V)
Introduction
« N’avons-nous donc pas loisir, Socrate ? »
Platon, Théétète, 172 c
Toutes les enquêtes du ministère de l’Éducation nationale depuis cinquante ans vont dans le même sens : l’école républicaine française ne joue plus le rôle formateur qu’elle avait autrefois et l’écart se creuse entre les meilleurs éléments, qui suivent la voie royale des Grandes Écoles, et la masse des élèves, bientôt des étudiants, qui échouent à maîtriser les connaissances fondamentales avant de connaître de nouveaux échecs dans la vie sociale.
Prenons un exemple officiel. Le document du Haut Conseil de l’Évaluation de l’École, Éléments pour un diagnostic de l’École, devait constituer en 2003 la première étape d’un grand débat politique susceptible de réformer la loi d’orientation scolaire de 1989 (1). On sait qu’il n’en a rien été et que les tentatives de réforme des derniers ministres de l’Éducation nationale, qu’il s’agisse de François Bayrou, de Claude Allègre, de Jack Lang, de Luc Ferry, de François Fillon, de Gilles de Robien, ou, depuis mai 2007, de Xavier Darcos, se sont heurtées à de telles résistances syndicales et sociales qu’elles ont été retirées sans délai.
On ne peut ignorer la conclusion désabusée du diagnostic du Haut Conseil, conclusion partagée par tous les acteurs du monde pédagogique : « L’école n’a pas réussi à corriger les inégalités, mais les a amplifiées ». Les commentaires de la presse mettent régulièrement l’accent sur cette réponse négative qui, par rapport à l’interrogation sous-jacente, paraît sans appel. Il faut cependant noter que ce constat décourageant n’a de signification qu’à la condition de postuler que la mission première de l’école est bien de corriger les inégalités sociales.
C’est là pourtant une hypothèse que les théoriciens majeurs de la pédagogie, de Platon à Comenius, et de Montaigne et Rousseau à Kant ou Pestalozzi, n’avaient à aucun moment envisagée. Ces derniers ne voyaient en effet dans l’école, nullement un lieu de correction sociale, mais un lieu de formation humaine. Quelle qu’en soit la forme, l’inégalité n’était pas au premier rang de leurs propos. À leurs yeux, l’école devait assurer une fin différente, et bien plus élevée, que la fonction sociale à laquelle on est aujourd’hui tenté de la réduire.
Cette objection est à l’évidence sans portée. Le critère justifiant une méthode pédagogique, comme la conception éducative qui la fonde, est la réussite par rapport à des objectifs préalablement définis. La pédagogie française, depuis le plan Langevin-Wallon de 1946-1947, a voulu adapter « la structure de l’enseignement » à « la structure sociale » en prenant appui sur un « principe de justice » initial. Il revient à offrir à tous les élèves les connaissances élémentaires – les « fondamentaux » du discours officiel – permettant à terme « le perfectionnement du citoyen et du travailleur ».
Comment comprendre ce divorce avéré entre la générosité sociale des intentions pédagogiques affichées et la misère intellectuelle des résultats scolaires obtenus ?
NOTES
2 - H. Arendt, la Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, « Idées », 1972, p. 229 et p. 236. Cf. page 237 : « Pour quelles raisons a-t-on pu, pendant des années, parler et agir en contradiction si flagrante avec le bon sens ? ».
3 - H. Arendt, la Crise de la culture, op. cit., p. 224.
Commentaires
Les causes d'une telle situation ont été maintes fois énoncées. Elles se nomment "les sept plaies du collège unique", qui sont autant de principes du "pédagogiquement correct", à savoir: 1) L'égalité de l'aptitude de tous les enfants. 2) La nocivité par nature de toute sélection. 3) L'obligation pour l'apprentissage de s'inscrire dans le cadre du principe de plaisir. 4) La nécessité de proscrire toute contrainte de la démarche pédagogique. 5) Le "projet personnel" de l'élève comme seul déterminant de son orientation. 6) Le caractère mauvais par nature de tout ce qui est ancien. 7) La stigmatisation comme réactionnaires, facistes, ou racistes, et donc leur rejet, de tous ceux qui mettent en cause ces postulats ou ne respectent pas ces "impératifs catégoriques".