La Cour des Comptes est-elle "de gauche" ?.... Ou : quelques réflexions sur une vénérable institution...
Si tel était le cas, elle aurait tort, évidemment. Tout comme elle aurait tort, de la même façon, si elle agissait en sorte de recevoir le reproche inverse, celui d'être "de droite". Mais de quoi s'agit-il, et d'où vient cet émoi dans la presse, au sujet d'une Institution théoriquement en retrait des fureurs du quotidien ?....
Commençons par le commencement, car on va voir qu'un petit rappel et une petite mise au point ne seront pas inutiles, in fine...
C'est Saint Louis qui se trouve, directement, aux origines de cette Chambre des Comptes, qu'il crée par une ordonannce de 1256, il y a donc bien longtemps déjà, en ces siècles lointains où Ces rois qui ont fait la France (1) dotaient notre pays, l'un après l'autre, et avec une belle régularité, pourrait-on dire, des "bases de l'Etat moderne", comme le dit Jean-Christian Petitfils ("Les rois de France ont tout inventé, ou presque, de ce que nous sommes"...). Au même moment où il crée la justice à la française (notamment avec la présomption d'innocence et l'indépendance de la justice face aux puissants), le roi veut que, chaque année, les "mayeurs et prud'hommes" établissent chaque année des comptes à lui adresser....
Sage idée, bonne réforme, que la Révolution interrompra et détruira, avant de la re-créer sous une autre forme (ce qui ne trompe personne... ), ce qui nous amène à notre actuelle Cour des Comptes (2). Voilà pour le très bref rappel historique....
Or, aujourd'hui, cet organisme est sur la sellette. Fureur de Claude Guéant, d'un côté, fureur aussi de Christian Estrosi (on l'a entendu sur France info...). Et fureur de beaucoup d'autres encore : "Quelque soixante-dix députés UMP et Nouveau Centre ont écrit jeudi soir au premier président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, pour "condamner" une politisation de cette institution, après la publication d'un rapport critique sur la gestion des forces de sécurité. Ils affirment que ce rapport comporte "un nombre important d'inexactitudes, de raccourcis hâtifs, d'erreurs d'analyse, d'oublis et d'appréciations", qui amène à "s'interroger sur son objectivité" (source : RTL.fr).
En réalité, cette affaire n'est pas anecdotique, et ne manque pas d'intérêt. Il ne s'agit pas de beaucoup de bruit pour rien, mais de quelque chose, au contraire, qui nous ramène au fond des problèmes, et même à l'essentiel, et qui comporte en cela une bonne leçon politique pour nos concitoyens.
D'abord, cette affaire met en évidence la naïveté de ceux qui pensent - peut-être sincèrement... - qu'un président élu peut jouer au Roi, avec leur idée d'ouverture. Ce n'est pas une mauvaise chose, en soi, que l'ouverture - et, même, la cohabitation : Pierre Boutang s'en amuse dans sa conférence sur le Prince chrétien.... Mais ce que peut faire un Roi, dont la source du pouvoir est autre, peut-il être fait dans le cadre d'un pouvoir élu par une fraction des gens contre l'autre ?
On a bien vu que, passés les premiers mois du tout beau tout nouveau, et dès les premières difficultés sérieuses, les premières personnalités d'ouverture de l'actuel pouvoir sont passées à la trappe : leur action avait-elle été si positive et si importante ? C'est encore une autre question....
En jugeant habile de nommer Didier Migault à la Cour des Comptes, et donc en voulant continuer à jouer à l'Arbitre détaché des contingeances, et qui les surplombe - pour reprendre le mot de de Gaulle - Sarkozy n'aura finalement réussi qu'à se mettre à lui-même des bâtons (supplémentaires) dans les roues. Il apprend ou vérifie, mais à ses dépens, que ce n'est pas tout de vouloir, encore faut-il pouvoir.
De plus, au-delà des illusions des personnes, cet épisode de la Cour des Comptes montre bien une difficulté : comme il est délicat de fonctionner sereinement et naturellement, dans notre Système où tout est basé sur les élections politiciennes, pour des organismes indépendants - comme, ici, la Cour des Comptes - et qui n'ont théoriquement en vue que le Bien commun. Là où tout l'espace est occupé et rempli par les partis, et l'esprit partisan qui va avec.
Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà : ce qui est peut-être possible ou jouable, dans le cadre d'une royauté, ne l'est pas forcément dans le cadre d'une république, surtout idéologique, comme la nôtre....
(1) : pour reprendre le titre de la Une du Point (du 16 décembre 2010), et l'essentiel de l'excellent dossier de 18 pages qui l'explicite.....
(2) : Laquelle souffre - soit dit en passant... - de devoir simplement se contenter de dénoncer et mettre au jour les erreurs et abus en tous genres. Lorsqu'elle travaillait avec un souverain permanent, disposant du temps long, c'était une chose; aujourd'hui, sans pouvoir de poursuivre, et devant signaler et transmettre les dossiers aux autorités politiques, qui, elles, changent et tournent régulièrement, c'en est une autre.....