G 20, Discours et réalités, l'analyse politque d'Hilaire de Crémiers
(Article paru dans Politique magazine n° 94, de mars 2011)
G 20, Discours et réalités
Il est bien de songer à l’ordre international. Mais encore faut-il en avoir les moyens et le premier d’entre eux : un État solidement installé dans la durée et l’efficacité.
Les réunions d’ouverture du G20 entre ministres des Finances et banquiers centraux se sont tenues à Paris le vendredi 18 et le samedi 19 février. L’apparence était à la concertation ; mais l’apparence seulement. Les Chinois, selon une habitude qu’ils ont acquise de sommet en sommet, étaient les maîtres et ils l’ont fait savoir, comme les fois précédentes, à leur façon : ils ont refusé tout accommodement. Ainsi, selon leur exigence, les réserves de change et même les taux de change ne feront pas partie des indicateurs d’une gouvernance économique mondiale. C’est la rendre ainsi impossible ! Même refus sur la question des limites dans les balances courantes. Peu importe que ce soit une cause essentielle des déséquilibres. Autrement dit les Chinois sont et demeurent maîtres de leur monnaie, de leurs réserves de change, les plus importantes du monde – 2840 milliards de dollars –, de leur politique économique. Le ministre des Finances chinois, Xie Xuren, soutenu par le turc, a clairement signifié qu’imaginer les choses autrement, c’était rêver. D’ailleurs le FMI et la banque mondiale doivent maintenant compter avec la Chine.
Lors d’une réunion à la Banque de France, Ben Bernanke, le patron de la Fed, la Banque centrale américaine, a donné comme d’habitude une leçon de vertu au monde, en s’opposant à son homologue chinois, Zhou Xiaochuan, sans l’affronter directement : les déséquilibres économiques, dit-il, et, en particulier, ceux des balances dus à des excédents commerciaux, n’étaient que la conséquence des tricheries de la sous-évaluation monétaire. Cela visait les Chinois ; mais c’était omettre de dire que les États- Unis, quant à eux, poursuivent invariablement leur propre politique d’émission monétaire et de rachat des bons du Trésor, donc de multiplication du dollar. Telle est la seule façon pour eux d’envisager une relance à bon marché de leur économie par l’afflux de liquidités, au prétexte qu’ils ne connaîtraient pas d’inflation réelle – c’est « l’assouplissement quantitatif » ! – alors que l’endettement fédéral atteint désormais le plafond légal de 14290 milliards de dollars qu’il faudra franchir – ça se jouera début mars –, en dépit de l’opposition conservatrice, pour assurer les paiements courants ; et cela sans se soucier de faire payer au monde entier les conséquences d’un tel laxisme. 1480 milliards de dollars de dettes, rien que pour l’année 2011… La politique du dollar n’est conçue que pour l’Amérique… jusqu’au risque du krach obligataire… Les pays émergents, en particulier le Brésil et l’Inde, sont décidés à sauver leur indépendance monétaire ; leurs ministres des Finances respectifs, Guido Mantega et Pranab Mukherjee, se sont opposés à tout contrôle strict international pour mieux conserver leurs propres contrôles nationaux. Singulièrement le Brésil, attaché à maintenir sa croissance face à la spéculation et au jeu des capitaux mouvants qui font monter sa monnaie… alors que le FMI ne songe qu’à supprimer le contrôle des changes ! Le Japon qui bat tous les records des dettes d’État, essaye de se tirer de ses difficultés, essentiellement internes, tout en se voyant surpassé par la Chine qui lui ravit le rang de deuxième économie mondiale.
Une europe en implosion
Et l’Europe ? Christine Lagarde avec cette intelligence ductile qui la caractérise, a réussi à faire croire qu’elle existait. C’est qu’elle y croit elle-même. Il est vrai qu’il faut bien croire pour espérer et goûter ainsi la force d’attraction d’un bien à embrasser !
Cependant l’Europe n’est pas du tout en ordre de marche. Cela s’est fortement senti avant, pendant et après la rencontre. Il faut dire que les dettes souveraines y sont écrasantes ; les intérêts y sont divergents. Le système bancaire, intriqué de toutes sortes de crédits irrécouvrables et d’actifs dits toxiques, n’est, en dépit de quelques chiffres mirobolants mais essentiellement conjoncturels, qu’une machine à risques d’une extrême fragilité, comme le savent et l’écrivent tous les spécialistes, et dont le cas de l’Irlande et du Portugal n’offre qu’une pâle idée. Qui peut douter que le cas espagnol n’y ajoute bientôt un violent éclat ? Les taux d’emprunt de ces pays, comme ceux de la Grèce, sont dorénavant intenables, obligeant à un recours au Fonds d’aide européen, le FESF, même si la BCE, de son côté, prend le relais. Jusqu’où ? Sait-on que sur ces dettes souveraines les banques françaises sont exposées pour 485 milliards d’euros, les allemands pour 465… Et la BCE maintenant ?
Tout repose sur un accord franco-allemand qui ne marchera que tant que l’Allemagne le voudra bien. C’est donc elle qui décide parce qu’elle a réussi à faire de sa politique économique la seule qui soit véritablement « crédible » dans le magma européen : le fameux modèle allemand ! C’est Angela Merkel qui ainsi a consenti à sauver la Grèce et l’Irlande ; et la raison en est tout simplement l’intérêt direct des banques allemandes. En accordant des prêts européens, l’Allemagne garantit ses propres créances.
Elle n’est pas la seule…
Cependant le modèle allemand a ses limites et ses fragilités.
L’euro a jusqu’ici servi l’Allemagne. Mais aujourd’hui beaucoup d’Allemands sont sceptiques sur l’avenir de la zone euro.
Angela Merkel est en train de perdre les élections. Tous ces jours derniers, y compris pendant la rencontre de Paris, son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, a rappelé que l’Europe ne pourrait exister que selon les critères allemands.
Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, a pendant tout son mandat mené une politique allemande de rigueur monétaire ; sauf que depuis plus d’un an il a été obligé, à l’encontre des traités européens, de se relâcher sur ses principes pour sauver la zone euro en ne cessant d’acheter des obligations d’État, plus que douteuses, et aussi dernièrement en consentant des prêts d’urgence à des établissements irlandais sur le point de fermer en contrepartie d’actifs… dont nul ne connaît la valeur.
Eh bien, voici un fait significatif : il était prévu qu’Axel Weber, président de la Bundesbank, devait lui succéder à l’automne à la tête de la BCE. L’homme a refusé et, pour confirmer son refus, démissionné. La raison ? Il désapprouve la nouvelle politique de la BCE, il veut avoir sa liberté de parole ! Il ne croit plus à l’euro ; il pense d’abord à l’Allemagne… Qui sera dupe encore ? Il suffit de lire le dernier rapport du FMI : l’avenir est aux investisseurs chinois ; la zone euro est au bord de l’implosion.
Le discours et la réalité
Voilà le climat dans lequel le G20 s’est déroulé. Certes une nuit de travail a permis de mettre au point quelques critères communs économiques et financiers sur les déficits, sur les dettes et sur l’épargne. Mais il y a loin de cette banale réalité au discours pompeux sur le nouvel ordre mondial. Le forum de Davos a été l’illustration d’un pareil écart. Ni Barack Obama ni Hu Jintao ne s’y sont déplacés. Nicolas Sarkozy y a fait un brillant discours ; les financiers et les entrepreneurs du monde ont répondu par des phrases sans fioritures.
Lors de l’ouverture de la présidence française du G20, le président français a souhaité que soit pris en considération un intérêt général du monde sur trois grands points : les monnaies, la régulation financière, les matières premières dont les prix deviennent exorbitants… Intention louable, en effet. La banque mondiale s’inquiète d’une crise violente qui se prépare sur les denrées alimentaires… Rien n’est fait ou si peu.
Le Marquis de La Tour du Pin et toute l’école sociale catholique dont bon nombre de membres étaient royalistes, ont développé des idées sur les mêmes thèmes à la fin du XIXe siècle. Ils dénonçaient la spéculation et ses opérations insensées sur les matières premières. Qui se souvient encore de La Tour du Pin ?
Sarkozy en a-t-il même entendu parler ? Ce catholique royaliste n’était ni libéral, ni socialiste ; seulement, il savait que pour obtenir un certain ordre et un ordre humain, il fallait d’abord des institutions humaines, dignes de ce nom, donc qui soient indépendantes, spirituellement libres, fortes d’une vertu enracinée dans l’histoire, animées d’un esprit de suite… Bref, le contraire des institutions actuelles qui sont celles du bavardage, de l’argent, de la démagogie, de l’ambition et de la carrière.
Qu’en sera-t-il de cette présidence française du G20 en avril lors de la prochaine réunion de Washington et en novembre lors du sommet des chefs d’État à Cannes ? Supposons que la crise mondiale s’aggrave, que les crises sociales se déclenchent, que le prix du pétrole frappe les économies… Mais non, chers lecteurs, vous le savez bien : le seul point important est de savoir si Nicolas Sarkozy, si DSK, si Martine Aubry, si Villepin, si Royal, si Borloo, si Morin, si Hulot, si Mélenchon, si Éva Joly, si Besancenot… Au fait, qu’est-ce qui se passerait si l’État s’effondrait ? ■