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  • Société • Mathieu Bock-Côté : la crèche et la nation

    Crèche de Noël, installée dans la mairie des XIIIe et XIVe arrondissements de Marseille en décembre 2014 

    Par Mathieu Bock-Côté
     
    Cette chronique - remarquable comme les précédentes - a été publiée dans Figarovox le mardi 8 novembre, un jour avant que le Conseil d'État ne rende sa décision relative à la place des crèches dans les bâtiments publics. Pour Mathieu Bock-Côté, si toutes les convictions sont égales devant la loi, toutes les traditions religieuses ne le sont pas devant la mémoire. Sa réflexion va, comme toujours à l'essentiel.  LFAR
     

    3222752275.jpgRares sont ceux, probablement, qui n'abordent pas avec une certaine perplexité la querelle entourant la place accordée ou non à la crèche dans les bâtiments publics. Non pas qu'elle soit sans intérêt : au contraire, cette querelle pose la question du rapport de la nation française avec le catholicisme, qui l'a marqué d'une profonde empreinte, et qui est encore agissant en elle, malgré la sacralisation de la laïcité républicaine. N'est-il pas légitime que l'identité historique d'une nation s'inscrive de différentes manières au cœur de ses institutions ? En fait, on se demande comment on peut voir dans la présence publique de ce symbole un scandale, à une époque où le catholicisme n'a plus rien de conquérant et semble surtout demander qu'on reconnaisse sa valeur patrimoniale. Faut-il vraiment s'offusquer de cette trace visible de la religion du pays dans ses institutions ? La crèche compromet-elle sérieusement la laïcité ? Qui s'imagine vraiment que le catholicisme français témoignerait ici d'un fantasme de la restauration ?

    Mais on le sait, la querelle de la crèche s'inscrit dans un contexte politique fort agité. En un mot, la France est aujourd'hui fragilisée comme jamais. L'immigration massive des dernières décennies a engendré une mutation identitaire majeure que seuls les gardiens de la révolution diversitaire diront heureuse. Spontanément, le pays, de mille manières, veut rappeler aux immigrés qu'ils ne rejoignent pas une page blanche non plus qu'un no man's land administratif. Il veut réaffirmer son identité trop longtemps occultée. La France n'est pas qu'une république laïque désirant incarner de manière exemplaire des principes universels. C'est aussi un vieux pays aux profondes racines chrétiennes. Si toutes les convictions sont égales devant la loi, toutes les traditions religieuses ne sont pas égales devant la mémoire. Il s'agit dès lors de rendre visible la marque chrétienne de l'identité française, pour rappeler aux immigrés dans quel monde ils arrivent et quel univers symbolique ils doivent accepter et intérioriser.

    Mais il faut probablement aller au-delà de ce désir de conserver la particularité historique du pays pour comprendre ce qui pousse plusieurs à se tourner vers la crèche, et peut-être inconsciemment, par-là, vers la croix. La seule référence à la république, aussi essentielle soit-elle, ne suffit manifestement plus à définir ce que les Français cherchent à sauver et à défendre. Et dès lors, s'ils cherchent à se définir autrement, ou du moins, s'ils cherchent une définition plus complète d'eux-mêmes, ils se tournent spontanément vers ce qui semble être leur plus ancienne tradition. Ou du moins, ils semblent croire que les références chrétiennes permettent de toucher la part la plus intime du pays ou ce qu'on aurait appelé autrefois ses origines. La crèche devient donc un symbole politique censé permettre à la nation de se connecter avec ses profondeurs intimes et de réactiver les strates les plus profondes de l'identité nationale. Il s'agit de se mobiliser en rappelant ce qu'on pourrait appeler la part sacrée de la patrie, enfouie sous la modernité.

    On aurait tort, toutefois, d'y voir un désir plus ou moins refoulé de confessionnalisation de la vie politique. D'ailleurs, sauf dans les marges les plus lointaines de la vie politique, on ne trouvera personne entretenant cette aspiration. On doit plutôt voir dans cette mémoire catholique politiquement revendiquée une manière de ressaisir une identité plus charnelle, plus substantielle, ne se laissant pas dissoudre dans les seuls paramètres de la modernité contractualiste. Le catholicisme, aussi universaliste soit-il dans ses prétentions, devient alors le symbole de ce qui est spécifiquement français, ou plus largement, puisque ce phénomène est présent aussi dans d'autres pays, de ce qui est spécifiquement occidental dans l'identité française. À tout le moins, il se présente comme une tradition permettant à la France d'assurer sa continuité historique et d'assumer son histoire longue.

    Ce catholicisme patrimonial, censé conduire aux strates profondes de l'identité nationale, n'est donc pas contradictoire, dans l'esprit public, avec la laïcité. On peut, à bon droit, et avec raison, distinguer le catholicisme comme religion culturelle et le catholicisme comme foi, et vouloir accorder ses droits au premier sans se plier aux convictions métaphysiques du second. Les croyants répondront que coupé de sa source, le premier est condamné à la sécheresse. Mais ce n'est pas à l'État à trancher dans cette querelle qui ne le concerne pas vraiment. On ne voit pas pourquoi on lui prêterait une compétence théologique et comment on pourrait empêcher un croyant de voir dans une crèche quelque chose de plus qu'un symbole patrimonial. Mais l'État, toutefois, exprime politiquement une nation historique aux sources identitaires nombreuses, et doit, dans une certaine mesure, s'alimenter à chacune d'entre elles, en sachant que d'une époque à une autre, toutes ne seront pas également sollicitées.

    Dans un monde où ce qu'on nomme plus ou moins adéquatement le choc des civilisations prend surtout le visage de l'islam conquérant, on comprend que chaque peuple revienne sur ce qu'il croit être sa propre tradition religieuse. Le paradoxe du monde occidental, aujourd'hui, est d'y revenir sans trop y croire, tout en sachant que ses racines chrétiennes le connectent à une part de l'existence qu'il ne peut renier sans s'appauvrir mais qu'il ne sait plus trop comment symboliser. Une chose est certaine: le politique, quoi qu'on en pense, est lié à une certaine idée de l'homme, ainsi qu'à une certaine idée de sacré. Il s'inscrit, autrement dit, dans une civilisation qui donne une réponse particulière aux grandes questions qui traversent l'âme humaine. Il n'est pas surprenant que l'esprit public, aujourd'hui, refuse de voir une contradiction entre la laïcité et les racines chrétiennes: elles représentent deux visages d'une même civilisation. 

    « La seule référence à la république, aussi essentielle soit-elle, ne suffit manifestement plus à définir ce que les Français cherchent à sauver et à défendre. »

    Mathieu Bock-Côté

    XVM7713ddbc-9f4e-11e6-abb9-e8c5dc8d0059-120x186.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf.

  • « Radicalisation » : la guerre des mots

           

  • École : Julliard ouvre les yeux et ouvre le feu !

     

    Un vibrant pamphlet de Jacques Julliard contre la dernière réforme scolaire et, au-delà, contre la désagrégation depuis quarante ans de l'école républicaine paraît. Et une brillantissime chronique d'Eric Zemmour, pour le Figaro, dans une sorte de dialogue avec Jacques Julliard, dialogue qui marque aussi l'estime que l'on doit à ce dernier. Même si l'on n'en partage pas toutes les options. Miracles d'un patriotisme renaissant, heureusement destructeur des vieux clivages.  LFAR

     

    ZemmourOK - Copie.jpgAu commencement était le journal. Un premier, puis un second article dans l'hebdomadaire Marianne, en pleine bataille contre la réforme des programmes scolaires engagées par Najat Valaud-Belkacem. Avec ses éditoriaux frémissants d'une colère légitime et talentueuse, Jacques Julliard fit partie de cette escouade de « pseudo-intellectuels » dénoncés par la ministre, qui chargèrent et sabrèrent avec la fureur et l'efficacité redoutable de la cavalerie de Murat à la bataille d'Eylau. Aussitôt lus dans l'hebdomadaire, aussitôt repérés par un éditeur à l'œil acéré ; aussitôt commandés, imprimés, publiés. Les deux éditos sont désormais précédés d'une longue et utile mise en perspective, mais ils n'en constituent pas moins le cœur battant du texte. À juste titre. Ils méritaient les honneurs d'une publication. Le coup d'éditeur n'est pas seulement cette fois simple ravaudage commercial. Le travail a été rapide, expédié mais pas bâclé ; le libelle de circonstance s'avère le produit d'une lente et profonde maturation.

    Julliard et ses alliés d'un jour - Bruckner, Finkielkraut, Ferry, Onfray, Debray, Nora, Gueniffey, etc. - viennent pour la plupart de la gauche ; le gouvernement socialiste a crié à la trahison ; la réponse revient comme un boomerang : avec cette réforme, c'est la gauche au pouvoir qui trahit l'idéal scolaire de la République. « Ce livre n'est pas partisan. Il ne se réclame ni de la gauche ni de la droite, mais du patriotisme. » Julliard est un faux naïf : pas partisan peut-être, mais éminemment politique. Le patriotisme, c'est l'enjeu, le clivage, la ligne de front aujourd'hui. Les deux camps ne sont pas ceux qu'on croit. Pas la droite contre la gauche (Luc Chatel, ministre de l'Éducation de Sarkozy, a d'abord approuvé la réforme ; et Alain Juppé ne propose pas autre chose que les socialistes dans son programme présidentiel), mais ceux qui croient encore à la France et ceux qui sont passés à autre chose. Ceux qui veulent encore utiliser l'école comme un moyen de transmettre l'héritage historique et culturel de nos pères et ceux qui, au contraire, se servent de l'école pour nettoyer les cerveaux des nouvelles générations et les transformer en citoyens du monde hors sol, sans racines ni passé. Julliard est dans le camp des premiers. « Il y aurait une identité de la Méditerranée, une identité de l'Europe, et il n'y aurait pas une identité de la France ? »

    Il se retrouve avec des gens qui furent longtemps ses adversaires ou même ses ennemis. Il partage avec eux une culture commune, une langue, un héritage, un désir de les transmettre. Une civilisation. Mais son catholicisme de gauche et son engagement européen ont fait qu'il a longtemps frayé avec les seconds. D'où ses déchirements intérieurs devant les cris d'orfraie de ses anciens amis. C'est le drame des périodes charnière où l'Histoire bascule. Julliard se retrouve dans la situation douloureuse de son maître Péguy, qui se détourna et se retourna contre son ami Jaurès, au moment où le danger allemand se précisait à la veille de la guerre de 1914. Julliard fait feu sur le quartier général de ses anciens amis devenus des ennemis qui détruisent la République au nom de la République. Il a compris qu'il est minuit moins le quart. Qu'il n'est plus temps de s'embarrasser de précautions progressistes ; que les progressistes affichés sont les fossoyeurs de l'école de la République, et que les vrais progressistes sont les prétendus réactionnaires.

    Alors, cap sur la réaction ! L'école d'avant Mai 68, seule issue pour sauver l'école ! Julliard, après d'autres, analyse le basculement de Mai 68, comme le moment décisif de l'alliance entre libéraux de droite et libertaires de gauche, pour dynamiter la vieille école: « La principale fonction sociale de l'école n'est plus désormais la diffusion du savoir mais la garderie des enfants et l'encadrement des adolescents. » Notre auteur s'élève contre les discours égalitaristes et libertaires qui dominent la gauche depuis quarante ans, avec des accents qui l'auraient fait passer, dans les années 1970, pour un scrogneugneu ringard: « Le but premier de l'éducation n'est pas d'égaliser, mais d'éduquer. » Et même seulement d'instruire, a-t-on envie d'ajouter. Les parents devraient se charger de la rude tâche d'éduquer leur progéniture. « Le maître n'est pas un moniteur, ni un animateur du Club Med. C'est un homme qui a la maîtrise du savoir qu'il enseigne, et qui doit être respecté pour cette raison même. »

    Julliard tire à vue sur tous les faiseurs de l'école moderne, tous ces pédagogistes qui font la pluie et le beau temps Rue de Grenelle, et qui tiennent les ministres - de droite ou de gauche - pour de simples « attachés de presse » de leurs chimères nihilistes: « Cette école de la bienveillance n'est en réalité qu'une école de la complaisance. » Il analyse pertinemment la lente désagrégation de l'école, d'abord vendue au « consumérisme » avant d'être livrée au communautarisme: « Ferment de mort pour la nation ; c'est un pistolet braqué au cœur de l'école. » Il pointe la lâcheté des responsables politiques : « La France a peur de sa jeunesse, voilà l'origine du mal. » Et les mille et un trucs de leurs marionnettistes: « Si l'école de ce pays - c'est là son mérite et son destin - n'était pas lourdement pénalisée à cause de la présence d'enfants d'immigrés non francophones qui souvent ignorent tout du français, son classement international remonterait singulièrement et rejoindrait sans doute l'exemplaire, la chimérique, la bienheureuse Finlande, à qui les pédagogistes un peu truqueurs attribuent des mérites qui ne sont en réalité que l'effet d'une grande homogénéité culturelle de départ. »

    Julliard a compris qu'il n'était plus temps de composer. Que la Rue de Grenelle était irréformable, car tenue solidement en main par les ennemis de l'école républicaine. « Raser la Rue de Grenelle », n'hésite-t-il plus à clamer, pour sauver l'Ecole. Mais n'est-ce pas déjà trop tard ? « Je le dis tout net : si je devais me convaincre que la gauche est, fut-ce à son corps défendant, l'agent de la marginalisation de notre littérature dans la France moderne, je n'hésiterais pas une seconde, ce n'est pas avec la littérature, ma patrie quotidienne, que je romprais, ce serait avec la gauche. » Il est temps, cher Jacques : rompez. 

    L'école est finie, Jacques Julliard. Flammarion. 127 pages, 12 €.

    L'escouade de «pseudo-intellectuels» dénoncés par la ministre

    Juppé ne propose pas autre chose que les socialistes dans son programme présidentiel

     

  • LIVRES • Sébastien Lapaque : les indignés, les anarchistes et les déconstructeurs

     

    Sébastien Lapaque a lu pour le Figaro le dernier essai de Renaud Garcia « Le désert de la critique ». Il y a trouvé une passionnante déconstruction de la passion déconstructrice contemporaine. Il en résulte une chronique brillante, non-conformiste et par certains côtés, dérangeante, sur laquelle on peut débattre. Et qui nous a beaucoup intéressés. LFAR

     

    Sébastien_Lapaque.jpgPourquoi la gauche, malgré ses prétentions critiques face à l'Histoire, se montre-t-elle aujourd'hui incapable de penser le monde? A cette question déplaisante pour les grandes têtes molles du gauchisme culturel, il conviendrait d'en associer une seconde afin d'être complet. Pourquoi la droite, malgré ses prétentions patrimoniales, se montre-t-elle incapable de conserver le monde ? Les « mystères de la gauche » dont a merveilleusement parlé le philosophe Jean-Claude Michéa dans un « précis de décomposition » d'un genre un peu particulier s'appréhendent à la seule condition d'envisager en miroir ceux de la droite. Là, ceux qui ne sont plus capables de rien comprendre ; ici, ceux qui ne veulent plus rien sauver — surtout ceux qui en ont le plus besoin, à savoir ceux qui n'ont rien : les pauvres et le peuple. C'est cependant à la seule gauche postmoderne que s'en prend le philosophe Renaud Garcia dans Le Désert de la critique, déconstruction et politique (Editions l'Echappée). Un livre qui fera date, soyons en sûr, comme ont fait date Orwell anarchist tory (1995), L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes (1999) et Impasse Adam Smith (2002) de Jean-Claude Michéa.

    Il n'a échappé à aucun de ceux qui prêtent un peu attention au mouvement des idées politiques dans la France contemporaine que c'était souvent parmi les héritiers du socialisme libertaire classique — celui de Pierre-Joseph Proudhon, de George Orwell et de Simone Weil — que se faisait entendre quelque chose de neuf. L'anarchisme, observe Renaud Garcia en préambule de son livre, est « l'un des seuls courants politiques contemporains connaissant, à gauche de l'éventail politique, une forme de renouveau depuis la chute du mur de Berlin ». Intellectuellement, c'est manifeste. Né en 1981, agrégé de philosophie, auteur d'une thèse sur le penseur russe Pierre Kropotkine, Renaud Garcia propose à ses lecteurs quelques clés essentielles pour comprendre l'impitoyable monde post-moderne tel qu'il va — et surtout tel qu'il ne va pas. Dans sa ligne de mire, la pensée de la déconstruction chère aux maîtres penseurs de la French theory, Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze. Sans le voir, ces sceptiques de grand style ont consolidé les mécanismes d'aliénation contemporains. A force de vouloir tout déconstruire, les lois, les textes, le monde et la vie, leurs épigones se sont interdit de comprendre quoi que ce soit au mouvement du capitalisme total. Si le langage est fasciste, si la raison est fasciste, si l'idée d'universel est fasciste, quelles armes reste-t-il à la critique pour dénoncer la marchandise fétichisée, l'emprise technologique, l'indécence endémique et la généralisation de l'ennui dans les démocraties marchés ?

    L'attitude relativiste des radicaux à l'œuvre dans des mouvements tels que Anonymous, Occupy Wall Street ou Podemos, leur goût pour la marge et les minorités, leur disposition à l'insurrection existentielle permanente, leur glissement théorique d'une critique de l'« exploitation » à une critique de la « domination » en fait aujourd'hui les idiots utiles d'un capitalisme qui n'a pas fini d'accomplir de grands bonds en avant. A trop dériver de l'un vers le multiple, ils sont devenus « un peu sourd(s) à la question sociale », comme l'avoue merveilleusement le délicieux Bernard-Henri Lévy, qui s'est lui-même essayé à déconstruire l'universel à coups de marteau à l'époque des Nouveaux Philosophes. Renaud Garcia démontre avec force et conviction à quel point l'insistance sur les « différences » — de genre, de sexe, de race — est une ruse du Capital pour pouvoir continuer à manœuvrer et grandir dans un contexte d'accumulation illimitée que plus personne ne remet en cause. Le philosophe qui a lu et médité Günther Anders, Christopher Lasch et Guy Debord se désole de voir le lit fleuve néolibéral parsemé d'idées anarchistes devenues folles. Car ceux qui parlent de « Grande Révolution culturelle libéral-libertaire » voient juste. Au tréfonds du capitalisme, trépide une puissance de destruction qui méduse les anarchistes 2.0. convertis aux idéaux de la révolte « ludique et festive ».

    Pour sortir des chemins qui ne mènent nulle part dans lesquels est engagée la génération perdue des Indignés, Renaud Garcia propose de faire retour à l'idée de relation concrète — comme les non-conformistes des années 30 ou les chrétiens Jacques Ellul et Bernard Charbonneau en leur temps. « Bien qu'il s'avère de plus en plus difficile à effectuer dans le contexte du gigantisme des sociétés contemporaines, le recentrage sur ce qu'il y a d'immédiatement commun entre l'autre et moi-même reste un choix simple et à la portée de nos capacités. » Une proposition généreuse dont on ne saurait trop louer le caractère rafraîchissant, d'un point de vue intellectuel mais également, osons l'écrire ici, d'un point de vue spirituel. Penseur rare, Renaud Garcia est un « angry young man » un peu plus lucide que la plupart des enragés qui campent à la gauche de la gauche. A le lire, à le suivre, à l'entendre, on comprend que seule la vérité, seule l'essence des choses, seule la réalité, seule l'idée que « l'homme est un être dont la nature ne se construit que par les liens avec ses semblables » sont révolutionnaires.

    Peu de choses, dites-vous ? C'est un monde.

    Le désert de la critique - Déconstruction et politique - Renaud Garcia - Editions de l'échappée - 220 pages - 15 euros

     

    Sébastien Lapaque

  • Réflexion de Gérard Leclerc d'un point de vue catholique : Marion Maréchal-Le Pen à la Sainte-Baume

     

    Gérard Leclerc a publié l'article qu'on va lire dans France catholique (éditorial du 31 août). Il s'y exprime donc d'un point de vue catholique mais non sans un vif souci politique au sens où nous nous plaçons ici. Souci, dit-il lui-même, qui a son origine dans la crise gravissime à laquelle nous avons à faire face, et où se joue le destin national. Même si nous faisons ici peu de confiance aux partis politiques quels qu'ils soient, ne serait-ce qu'à cause du système en soi-même pernicieux auquel ils sont comme mécaniquement liés, l'analyse de Gérard Leclerc nous paraît parfaitement juste et pertinente. Il a sans-doute aussi raison, nous semble-t-il, de conseiller qu'il soit tenu compte dans cette affaire (comme dans d'autres), de « la personnalité singulière de Marion Maréchal-Le Pen » dont il estime qu' « elle est sans doute une des mieux structurées intellectuellement et spirituellement dans son organisation ». Acceptons l'augure que les jeunes générations engagées dans l'action politique, lassées des tabous et des idéologies mortifères de leurs aînés, osent un jour, au delà de victoires électorales toujours incertaines, toujours éphémères et toujours remises en question, cette rupture avec le Système qui remettrait la France sur les chemins de son Histoire. Cette génération n'a à vrai dire plus grand chose à voir avec les postulats idéologiques qui encombrent, jusqu'ici, les cerveaux de la classe politico-médiatique. Ce ne leur sera peut-être pas tellement difficile, qu'ils soient d'ailleurs issus de la gauche ou de la droite, d'opérer la rupture décisive dont nous parlons.  LFAR   

     

    GERARD LECLERC.JPGL’invitation faite à Marion Maréchal-Le Pen, pour participer au colloque organisé par le diocèse de Fréjus-Toulon à la Sainte-Baume, a suscité beaucoup de réactions, certaines sans doute sincères, mais beaucoup surjouées. Comme s’il était insupportable d’ouvrir une discussion avec une dirigeante d’un parti définitivement ostra­cisé ! Décidément, on ne se départit pas aisément d’une sorte de réflexe inquisitorial qui consiste à frapper d’interdit moral et canonique l’adversaire politique ! Et ce sont ceux qui se targuent le plus d’ouverture à l’autre, quelles que soient ses différences, qui sont les plus implacables. À l’encontre du conformisme qui continue à sévir dans le catholicisme français, je n’hésiterai pas à affirmer que la venue de la jeune dirigeante à la Sainte-Baume s’inscrit dans un processus inévitable. Il est impossible désormais d’ignorer un secteur d’opinion qui regroupe au moins un quart de l’électorat français. L’attitude, qui consiste à imaginer qu’on pourrait l’entourer d’une sorte de cordon sanitaire isolant des millions d’intouchables, relève d’une étrange mentalité.

    Qu’on m’entende bien. L’inviter à un débat n’équivaut pas à avaliser les idées du partenaire. Il s’agit, bien au contraire, de les soumettre à examen à partir d’une rigoureuse éthique de discussion. C’est grâce à l’échange des arguments que peuvent s’établir des convictions raisonnables. Donner la parole à quelqu’un, ce n’est pas par avance lui donner quitus de son idéologie, c’est lui permettre de sortir de son cercle d’origine pour l’amener, sous le regard de l’autre, de préférence bienveillant, à une confrontation qui délivre de toute logique solipsiste. Par ailleurs, si la thématique de l’immigration est aujourd’hui cruciale dans le débat public, il est d’autant plus utile de la projeter dans une lumière qui tienne compte de son infinie complexité. La radicalité du Front national s’oppose de fait à l’incertitude évidente des autres formations politiques, souvent déconcertées par l’ampleur du défi.

    Il faut aussi tenir compte dans cette affaire de la personnalité singulière de Marion Maréchal-Le Pen. Son rapport à la foi et à l’Église se distingue par un attachement qui n’est sûrement pas superficiel. De ce point de vue, elle est sans doute une des mieux structurées intellectuellement et spirituellement dans son organisation. Le rejet d’une telle personnalité, à coup d’anathèmes, ne s’avèrerait pas seulement contre-productif, il serait désastreux à un moment où le catholicisme français doit faire face à une crise gravissime, où se décide le destin national. 

    Gérard Leclerc, France catholique

     

  • De la Monarchie de Louis XIV à la République de Monsieur Hollande

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

     

    arton8470-7b8cd.jpgUn jour, le soleil s’est couché et il ne s’est pas relevé… C’était le 1er septembre d’il y a trois siècles : et pourtant, comme il l’avait promis, sa mort physique marque aussi sa « sur-vie » politique, au-delà de son temps et pour la mémoire des siècles, par la reconnaissance que l’Etat est maître du pays, par son administration et son autorité, mais aussi à travers ses monuments, autant Versailles que ce que Napoléon qualifiera des « masses de granit », c’est-à-dire les grands principes qui fondent l’Etat moderne et son fonctionnement. Louis XIV, d’une phrase célèbre prononcée sur son lit de souffrance et de mort, déclare : « Messieurs, je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours », sorte d’explication de texte à la formule rituelle de la Monarchie française « Le roi est mort, vive le roi », qui, après le dernier soupir du monarque, fut prononcée comme une évidence « absolue » au balcon du palais royal. 

    Dans La Croix (samedi 29-dimanche 30 août 2015), Frédéric Mounier écrit joliment que « Louis XIV fait naître la France » pour expliquer qu’il met en place les structures d’un Etat qui, d’une manière ou d’une autre, sera renforcé au fil des règnes et des circonvolutions de l’histoire, sans doute bien au-delà et pas forcément dans le même esprit (au contraire de ce qu’affirme Tocqueville) que celui de son incarnation la plus emblématique, celle-là même qui fit déclarer au roi-soleil, post-mortem et « faussement », « l’Etat c’est moi » ! Mais il est des faux, et celui-ci est de Voltaire dans son « siècle de Louis XIV », qui révèlent mieux la vérité que cette dernière elle-même quand elle n’ose se mirer dans les glaces de son palais ou se parer de grands mots, atours parfois vains du prestige : humilité royale, sans doute, peu compréhensible en nos temps d’egolâtrie républicaine… Evidemment que c’était lui, l’Etat, et il a passé son temps et usé ses énergies à le faire comprendre à tous ceux, féodaux du service d’eux-mêmes, qui oubliaient qu’ils devaient plus à la France qu’elle ne leur devait. Mais Louis XIV n’était « que » l’Etat et son Etat n’était pas encore ce Moloch ou ce Minotaure qu’il devint avec la Révolution et l’Empire, et que Bertrand de Jouvenel a si bien décrit et compris dans son ouvrage « Du pouvoir » publié dans les années 1940. 

    Si l’Etat royal devint plus fort sous et par Louis XIV que jamais il ne l’avait été auparavant, il restait fondateur et non uniformisateur, ce que, à travers sa formule sur la France considérée comme « un agrégat inconstitué de peuples désunis », le Mirabeau de 1789 reconnaissait pour mieux s’en plaindre, tout comme le fameux abbé Grégoire qui ne trouvait pas de mots assez durs pour fustiger cette diversité qui, pourtant, fait aussi la réalité de la France. Avec Louis XIV, la Monarchie devenait fédératrice, elle ordonnait autant qu’elle unifiait symboliquement autour du roi, et de la pluralité foisonnante de la France, elle gardait le côté pluriel mais aiguisait l’épée politique : l’Etat se musclait, il ne s’engraissait pas vainement … 

    Trois siècles après la mort du monarque-Apollon, qu’est devenu cet Etat qui fut sien avant que d’être officiellement « nôtre » par la grâce de la démocratie ? Si le fondateur de la Cinquième République fut, avec quelque raison sans doute, souvent comparé à Louis XIV (en particulier par ses opposants) et caricaturé comme tel par le dessinateur Moisan dans Le Canard enchaîné (qui en fit quelques recueils à succès avec André Ribaud), ses successeurs récents n’en ont guère la stature et font penser à cette phrase terrible du général de Gaulle rapportant sa rencontre cordiale mais vaine avec l’ancien président de la République Albert Lebrun, celui de 1940 : « Au fond, comme chef de l’Etat, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un Etat ». Effectivement, entre les mains des perpétuels présidents-candidats, l’Etat semble laisser filer ses fonctions et ses responsabilités régaliennes pour ne plus être qu’un « Semble-Etat » selon la formule si expressive de Pierre Boutang … 

    C’est quand elle est la plus monarchique que la République a la possibilité d’être grande et efficace, comme une sorte d’hommage du vice à la vertu. Mais la Cinquième République, même en ses plus belles heures gaulliennes, n’est pas la Monarchie et elle vire plutôt à la monocratie quand le président en poste ne pense qu’à sa réélection ou à sa postérité personnelle quand c’est à celle de l’Etat et de la France qu’il faudrait penser et pour laquelle il faudrait agir… La comparaison entre le roi-soleil et l’actuel président fait sourire bien de nos contemporains, et ce n’est pas aux dépens du monarque versaillais… 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

     

  • LITTERATURE & ACTUALITE • Entre ici, Charles Péguy, par Eric Zemmour

     

    Deux textes de Péguy parmi les plus connus, pour évoquer la République entre mystique et politique, ressortent. Une réflexion iconoclaste qui n'a pas pris une ride. Eric Zemmour les a commentés pour Le Figaro.

     

    XVM6312673a-de1a-11e4-b137-20089febc440.jpgD'abord, il y a le style. Impétueux et tempétueux, un fleuve de montagne qui se déverse sans souci de ce qu'il charrie, formules en rafale, répétées autant de fois que nécessaire, sans respect de la bienséance littéraire. Et puis, il y a les mots, les mots employés à jet continu, les mots interdits aujourd'hui, banals hier : « race », « peuple » ou « famille française ». Comme un voyage dans le temps et dans l'espace. Les Cahiers de l'Herne ont eu la bonne idée de publier les textes parmi les plus connus de Charles Péguy. On y retrouve ses formules les plus célèbres, celles qui ont fait sa gloire, citées à tort et à travers : « Tout commence en mystique et finit en politique…» ; ou encore: « Pour la première fois dans l'histoire du monde l'argent est seul face à l'esprit ».

    Péguy nous parle d'un temps que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître. Entre l'affaire Dreyfus et 1914-1918 ; entre « la guerre des deux France » et l'union sacrée. Il a assumé celle-là et prophétisé celle-ci. Vécu intensément l'une et perdu la vie dans l'autre, mais dans les deux cas glorieusement. Il a fait le pont entre les deux. Ni sectaire, ni politicard, il a tendu la main à ses adversaires - les antidreyfusards - de la manière la plus élégante qui soit : « Il faut comparer les mystiques entre elles et les politiques entre elles. Il ne faut pas comparer une mystique à une politique ; ni une politique à une mystique… Nos adversaires parlaient le très respectable langage de la continuité, de la continuation temporelle du peuple et de la race, du salut temporel du peuple et de la race. »

    Il n'était pas monarchiste mais sa République était « notre royaume de France ». On pourrait croire que cent ans plus tard, l'extinction de la contestation antirépublicaine l'aurait réjoui ; à le lire, on comprend très vite que c'est la République d'aujourd'hui et les républicains de tous bords qui le désoleraient. Lui qui reprochait déjà à la IIIe République de s'abîmer dans la gestion d'un idéal falsifié, il supporterait encore moins le prêchi-prêcha de la  « culture de gouvernement » couvert des oripeaux des « valeurs républicains ». On a parfois l'impression qu'il se moque de notre Ve République quand il brocarde la IIIe : « la preuve que ça dure, la preuve que ça tient, c'est que ça dure déjà depuis quarante ans. Il y en a pour quarante siècles. C'est les premiers quarante ans qui sont les plus durs… Ils se trompent. Ces politiciens se trompent. Du haut de cette République, quarante siècles (d'avenir) ne les contemplent pas.»

    À son époque, la République exaltait la France et se croyait la mieux à même de la défendre contre ses ennemis ; aujourd'hui, la République a remplacé la France ; on dit la République parce qu'on a honte de dire la France ; on dit « valeurs de la République » parce qu'on refuse de rappeler les « valeurs » de la France. On dit République pour consacrer l'exact contraire de ce que fut la République. Péguy, c'est comme un rappel à l'ordre. Au vrai sens des mots. Avant le grand dévoiement. Grand reniement. Grand remplacement : « On prouve, on démontre aujourd'hui la République. Quand elle était vivante on ne la prouvait pas. On la vivait. Quand un régime se démontre, aisément, commodément, victorieusement, c'est qu'il est creux, c'est qu'il est par terre… Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement de sa déchristianisation. C'est ensemble, un même, un seul mouvement profond de démystification… C'est la même stérilité moderne.»

    Péguy dénonçait les modernes ; nous subissons le joug des post-modernes. Il ne connaissait pas sa chance ; nous reconnaissons bien nos maîtres : « Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n'en remontre pas, de ceux à qui on n'en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n'a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas dupes, des imbéciles. Comme nous. C'est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l'athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement: le monde de ceux qui n'ont pas de mystique.»

    Karl Marx avait annoncé que le capitalisme détruirait toutes les structures traditionnelles (aristocratie, église, nation, État, famille) pour plonger chacun d'entre nous dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». Péguy a bien compris que le socialisme finirait le travail, que ce couple moderniste, soi-disant antagoniste, en réalité complice car de concert progressiste, annihilerait les valeurs traditionnelles des classes populaires, sans lesquelles pourtant ni l'un ni l'autre n'auraient pu prospérer : « Le foyer se confondait encore très souvent avec l'atelier et l'honneur du foyer et l'honneur de l'atelier étaient le même honneur. C'était l'honneur du même lieu… respect des vieillards ; des parents, de la parenté. Un admirable respect des enfants. Naturellement un respect de la femme. Un respect de la famille, un respect du foyer… Un respect de l'outil et de la main, ce suprême outil… Et au fond ils se dégoûtent d'eux-mêmes, d'abîmer les outils. Mais voilà, des messieurs très bien, des savants, des bourgeois, leur ont expliqué que c'était ça le socialisme, et que c'était ça la révolution.»

    Le rapprochement de ces deux textes nous fait toucher du doigt ce qu'un Jean-Claude Michéa ne cesse de rappeler dans chacun de ses livres : l'affaire Dreyfus fut un basculement historique et idéologique. À partir de la défense légitime d'un innocent, les socialistes se sont ralliés à la défense exclusive de la « République » où ils n'ont plus cessé de privilégier l'épanouissement de l'individu, donnant ainsi au marché, au capitalisme - Péguy dit « l'argent » - l'arme absolue pour régner totalement sur la société. D'instinct, Péguy l'a compris. D'où le regard sévère qu'il porte sur les dreyfusards, le respect qu'il manifeste à ses adversaires, et la violence de son désespoir face à l'étiolement de la République. D'où son déchirement intérieur qui explique peut-être qu'il se soit jeté ainsi étourdiment au-devant des mitrailleuses allemandes dès les premiers jours de la guerre… 

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    Péguy, La mystique républicaine. L'Herne. 71 p., 7,50 €.

     

  • Alain de Benoist : « Avec la postmodernité, l’individualisme se mue en égocentrisme narcissique… »

    Les fameux selfies offrent le plus spectaculaire échantillon du narcissisme. Ici, à Vilnius (Lituanie), le 1er août. AFP PHOTO / PETRAS MALUKAS

    C'est un tableau très exact et très complet de la société et de l'homme postmodernes que brosse ici Alain de Benoist. Il en résulte que cette sorte de révolution liquide à laquelle nous sommes confrontés ou affrontés dépasse largement le strict terrain du politique et que pour l'inverser ou la supplanter, il faudra bien plus qu'une transformation institutionnelle ou politique. Sans-doute y faudra-t-il cette métanoïa éthique, anthropologique et, bien-sûr, politique que Pierre Boutang - et André Malraux - évoquaient en leur temps.  LFAR

     

    1530443371.jpgModernité… Tous les médias n’ont plus que ce mot à la bouche. Il faut être moderne, nous dit-on, « parce qu’on n’arrête pas le progrès ». Au fait, ça veut dire quoi, la « modernité » ?

    La modernité est une des catégories fondamentales de la sociologie historique et de la politologie contemporaines. Étudiée par une multitude d’auteurs, elle va très au-delà de ce qu’on appelle en général la modernisation (industrielle et postindustrielle). Elle trouve ses racines à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, et s’épanouit à partir du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle. Elle se caractérise par la montée des classes bourgeoises, qui imposent progressivement leurs valeurs au détriment des valeurs aristocratiques et des valeurs populaires, et par la naissance de l’individualisme.

    Sous l’influence de l’idéologie du progrès, rendue possible par l’essor des sciences et des techniques, s’affirme à l’époque moderne une confiance de principe dans les capacités de l’homme à gérer « rationnellement » son destin. Le passé et la tradition perdent dès lors leur légitimité, de même que les formes sociales d’appartenance traditionnelle et communautaire. L’hétéronomie par le passé est remplacée par l’hétéronomie par le futur, c’est-à-dire la croyance que demain sera nécessairement meilleur (les « lendemains qui chantent »). C’est l’époque où se déploient à la fois les philosophies du sujet et les grands systèmes historicistes, qui prétendent déceler un « sens de l’Histoire » assuré dont l’accomplissement mènerait le monde à son idéal. Sur le plan politique, le grand modèle est celui de l’État-nation, qui s’affirme au détriment des logiques féodale et impériale. Les frontières suffisent à garantir l’identité des collectivités, et servent de tremplin à des tentatives d’universalisation des valeurs occidentales, par le biais notamment de la colonisation. L’Église, de son côté, perd peu à peu le pouvoir de contrôle de la société globale qu’elle possédait autrefois.

    Mais cette modernité, on y est toujours ou on en est sortis ? Quid de la « postmodernité » ?

    La postmodernité ne s’oppose pas à la modernité, mais la dépasse tout en la prolongeant sur certains plans (on parle alors d’« ultra-modernité » ou encore d’« hypermodernité », au sens où l’on parle aussi d’hyperterrorisme, d’hyperpuissance, d’hypermarchés, etc.). Son avènement, à partir des années 1980, s’explique par le désenchantement du monde engendré par la désagrégation des « grands récits » historicistes, elle-même consécutive à l’effondrement des dogmes religieux et à l’échec des utopies révolutionnaires du XXe siècle.

    Dans le monde postmoderne, on assiste à une dissolution généralisée des repères traditionnels, qui entraîne une fragmentation, voire une atomisation de la société civile, en même temps qu’une fragilisation des identités individuelles et collectives, elle-même génératrice de comportements anxiogènes et de poussées de « phobies » paniques. L’individualisme se mue en égocentrisme narcissique, tandis que les rapports humains extra-familiaux se réduisent à la concurrence ou à la compétition régulée par le contrat juridique et l’échange marchand. L’hédonisme s’appuie sur la consommation de masse (on consomme d’abord pour se faire plaisir plutôt que pour rivaliser avec autrui) pour viser avant tout au bien-être et à l’épanouissement personnel. Les disciplines contraignantes et les normes prescriptives s’effondrent, l’autorité sous toutes ses formes est discréditée, et l’art s’émancipe des règles de l’esthétique. On assiste aussi à un éclatement des cadres temporels, qui se traduit par le culte du présent au détriment de toute volonté de transmettre. Sur le plan politique, la gouvernance se ramène de plus en plus à la gestion, l’État-nation est débordé par le haut (emprises planétaires) et par le bas (renaissance des communautés locales), et les frontières ne garantissent plus rien.

    La postmodernité correspond à ce monde « liquide » théorisé par Zygmunt Bauman, où tout ce qui était durable et solide semble se désagréger ou se liquéfier. C’est un monde de flux et de reflux, un monde de mouvances migratoires néo-nomades, caractérisé par le désinstitutionnalisation et la déterritorialisation des problématiques. Sous l’effet d’une logique économique qui a balayé tout idéal de permanence s’instaure le règne de l’éphémère et du transitoire, dans la production et la consommation des objets, tout comme dans les comportements, comme en témoignent la fin des engagements politiques de type sacerdotal, la désaffection des églises, des syndicats et des partis. La foi religieuse est privatisée, on se compose des croyances à la carte, et tous les modes de vie deviennent socialement légitimes. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme et la croyance au pouvoir régulateur du marché se conjuguent pour légitimer la promotion des droits et l’affirmation de la « liberté des choix », tandis que l’explosion de la logique du marché entraîne la commercialisation de tous les modes de vie. Deux mots anglo-saxons résument bien cette tendance générale : le « selfie » et le « zapping », autrement dit l’obsession de soi et la volatilité des comportements, qu’ils soient électoraux ou amoureux.

    Avec l’actuelle réforme de l’école, l’éternelle querelle entre les « Anciens » et les « Modernes » reprend du poil de la bête. L’enseignement du grec et du latin, c’est moderne, postmoderne ou archaïque ?

    Ce n’est rien de tout cela. Car le grec et le latin, tout comme ce qui est de l’ordre de la culture authentique, ne sont ni d’hier ni de demain, mais de toujours ! 

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    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier - Boulevard Voltaire

     

  • Avec Jacques Bainville, déconstruire le premier et le plus sordide des pseudo ”mythes fondateurs” de la Révolution et du

     

    2464260466.jpg"Les ridicules légendes de la Bastille", les "canailles... et les plus sinistres gredins... de mauvaises gens, des criminels capables de tout ", disait Bainville... Ridicules et tragiques légendes, oui, mais annonciatrices et créatrices de la Terreur.

    Il n'y a a jamais eu de "prise" de la Bastille, mais la perfidie d'une poignée d'émeutiers sanguinaires, brutes avinées, assassins et terroristes dans l'âme, lesquels, après avoir promis liberté et vie sauve aux quelques dizaines d'hommes présents dans le lieu n'eurent rien de plus pressé que de les massacrer, de couper leurs têtes et de les promener dans les rues au bout de piques ! Toutes proportions gardées, c'est un peu ce qu'a fait Yassin Salhi avec son patron, à Saint Quentin Fallavier : le décapiter et planter sa tête sur les grilles de l'usine !

    Pourquoi ce rapprochement avec Daech ? Tout simplement parce que, même s'il peut surprendre de prime abord, il n'est nullement hors de propos : comme Daech, qui fait commencer l'Histoire avec Mahomet et détruit tout ce qui précède, la Révolution, et notre actuel Système qui en est l'héritier et la "pratique" au quotidien, fait commencer la France en 1789; et la Révolution a  allègrement détruit entre le quart et le tiers du patrimoine français, crime contre la France mais aussi contre l'Art et l'Humanité, dont on sait qu'ils sont imprescriptibles...

    Et tout cela a commencé avec, et par, la pseudo "prise" de la Bastille, vocabulaire bidon employé pour masquer une horreur et une monstruosité, matrice de la Terreur, comme l'a fort bien montré François Furet, historien véritable et honnête, qui avait pourtant commencé sa trop courte carrière... à l'extrême extrême-gauche ! : Furet écrit que, dès cet épisode du 14 juillet 89, la Terreur est en gestation, "la culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la révolution française dès l'été 1789", et la prise de la Bastille inaugure "le spectacle de sang, qui va être inséparable de tous les grands épisodes révolutionnaires"...

    Certes, officiellement, c'est la Fête de la Fédération que l'on célèbre, le 14 juillet, mais l'ambigüité persiste : ce matin, à 7h15 (rubrique "Expliquez-nous", sur France info) Elise Delève l'a bien dit : c'est "la prise de la Bastille" que l'on célèbre. En voilà une, le jour où l'on créera la Légion des Ignares, qui devra être, directement, "Grand-Croix" ! Une ambigüité, donc, malsaine et savamment entretenue par le Système, qui persiste à parler des "valeurs républicaines", alors que Les valeurs républicaines, ça n'existe pas ! : ce court passage, c'est Denis Tillinac qui l'a écrit, mais Chantal Delsol, Eric Zemmour et bien d'autres - et de plus en plus d'autres... - le disent...

    Liberté ? Mais la France est étouffée dans un carcan de plus de 420.000 Lois et règlements, qui font que la fertilité du peuple est étouffée par la stérilité des "gouvernants" (?)...

    Egalité ? Mais l'augmentation des inégalités s'accroit à une vitesse vertigineuse, l'écart des salaires a atteint des records difficilement imaginables il y a seulement quelques décennies, et  - par la démolition de l'Ecole - le Savoir est maintenant réservé à une "élite" du fric, qui peut payer de vraies études à ses enfants, alors que la masse ne reçoit plus qu'un très léger vernis, très largement dévalorisé...

    Fraternité ? Mais comment parler de Fraternité dans un Système héritier de la Révolution qui a perpétré le premier Génocide des Temps modernes - le Génocide vendéen - et qui se dilue aujourd'hui dans le communautarisme ?...

    Les seules "valeurs républicaines" que nous rapporte ce monstrueux "14 juillet 1789", c'est la Terreur, le Totalitarisme, le Génocide...

    Voici le texte de Jacques Bainville (Journal, Tome III, note du 15 juillet 1929) :

    Supposons qu'on apprenne ce soir qu'une bande de communistes, grossie des éléments louches de la population, a donné l'assaut à la prison de la Santé, massacré le directeur et les gardiens, délivré les détenus politiques et les autres. Supposons que cette journée reste dépourvue de sanctions, que, loin de là, on la glorifie et que les pierres de la prison emportée d'assaut soient vendues sur les places publiques comme un joyeux souvenir. Que dirait-on ? Que se passerait-il ?

    D'abord les citoyens prudents commenceraient à penser qu'il ne serait pas maladroit de mettre en sûreté leurs personnes et leurs biens. Tel fut, après 1789, le principe de l'émigration. Mais peut-être y aurait-il aujourd'hui plus de français qu'en 1789 pour accuser l'imprévoyance et la faiblesse du gouvernement et pour les sommer de résister à l'émeute.

    TERREUR GUILLOTINE 1.jpgAujourd'hui le sens primitif du 14 juillet devenu fête nationale est un peu oublié et l'on danse parce que c'est le seul jour de l'année où des bals sont permis dans les rues. Mais reportons-nous au 14 juillet 1789 comme si nous en lisions le récit pour la première fois. Il nous apparaîtra qu'il s'agissait d'un très grave désordre, dont l'équivalent ne saurait être toléré sans péril pour la société, qui a conduit tout droit en effet à la Terreur et au règne de la guillotine, accompagnée des assignats. Et le gouvernement qui a laissé s'accomplir sans résister ces choses déplorables serait digne des plus durs reproches.

    Nous avons connu un vieux légitimiste qui disait, en manière de paradoxe, que Louis XVI était la seule victime de la Révolution dont le sort fût justifié. Quel avait donc été le tort de Louis XVI ? Quand on lit les Mémoires de Saint-Priest, on s'aperçoit que l'erreur du gouvernement de 1789 n' a pas été d'être tyrannique (il n'était même pas autoritaire) ni d'être hésitant, ni d'être fermé aux aspirations du siècle. Son erreur, énorme et funeste, a été de ne pas croire au mal. Elle a été de ne pas croire qu'il y eût de mauvaises gens, des criminels capables de tout le jour où ils ne rencontrent plus d'obstacle.

    Saint-Priest montre Louis XVI dans toutes les circonstances, et jusqu'au 10 août, ou peu s'en faut, convaincu que tout cela s'arrangerait et que ni les émeutiers de la Bastille ni les révolutionnaires n'étaient si méchants qu'on le disait, et d'ailleurs, au moins au début, bien peu de personnes le lui disaient. A la Convention, pendant son procès, Louis XVI répondait encore poliment, comme à des juges impartiaux et intègres. D'ailleurs on peut voir dans les Mémoires de Broussilof, qui viennent d'être présentés au public français par le général Niessel, que Nicolas II avait sur l'espèce humaine exactement les mêmes illusions, les mêmes illusions mortelles.

    Malheur aux peuples dont les chefs ne veulent pas savoir qu'il existe des canailles et restent incrédules quand on leur dit qu'il suffit d'un jour de faiblesse pour lâcher à travers un pays ses plus sinistres gredins !

  • DF : un parti d’extrême-droite qui siège à gauche, par Yves Morel*

     

    Partout en Europe - comme, d'ailleurs, en de nombreux autres points du monde - ce sont les identités, les peuples, les nations qui se renforcent.

    Les élections législatives danoises du 18 juin dernier ont vu une percée du parti populaire danois (Densk Folkeparti, DF) qui, avec 21,1 % des suffrages exprimés, enlève 37 sièges de députés, et devient le second parti du Danemark, derrière le parti social-démocrate et devant le parti conservateur libéral Venstre.

    Bien entendu, les médias et les milieux politiques européens, se sont émus de « la montée de l’extrême droite » dans ce petit pays nordique paisible et prospère. Qu’on se rassure, le Danemark ne deviendra pas un pays xénophobe fondé sur le culte des races nordiques, l’exaltation de l’épopée des Vikings, le paganisme scandinave ou un luthéranisme exclusif.

    Tout d’abord, le parti populaire danois, quoique constituant le groupe le plus important du Folketing (Parlement danois), a refusé de former le nouveau ministère, faute d’avoir trouvé un accord de législature avec les autres formations de droite. C’est donc Lars Løkke Rasmussen, déjà trois fois Premier ministre, qui, le 28 juin, a constitué le cabinet, très minoritaire, composé uniquement de membres du Venstre, qui, avec 19,5 % des suffrages, enregistre son plus mauvais score depuis sa fondation et ne dispose plus que de 34 sièges de députés, soit 1/3 de moins qu’auparavant. Ce ministère, privé de majorité d’entrée de jeu, ne durera guère et devra louvoyer constamment entre les divers groupes du Folkenting. Mais surtout, le Densk Folkeparti n’a rien d’un parti extrémiste.

    Un parti centriste

    En effet, il est, au Danemark, classé au centre, à droite du parti social-démocrate, mais à gauche du Venstre et des partis conservateurs. Au Folketing, ses députés siègent à gauche de ceux du Venstre. Il est intéressant de noter que, lors de la première législature à laquelle il ait participé (1998-2001), il a soutenu, sans y entrer, le ministère social-démocrate de Poul Nyrup Rasmussen. Puis, de 2001 à 2011, il a soutenu les cabinets conservateurs d’Anders Fogh Rasmussen (homonyme, mais non parent du précédent), toujours sans en faire partie. Depuis 2011, il a choisi la ligne de l’opposition à ces mêmes gouvernements.

    Né en octobre 1995 d’une scission au sein du Parti du Progrès (Fremskridtspartiet), formation militant pour l’abolition de l’impôt sur le revenu, la réduction du poids de l’administration et un strict contrôle migratoire, il combine le souci de la défense de l’identité danoise et celui de la préservation du système de protection sociale édifié au fil des décennies. Attaché à la démocratie parlementaire, il ne se réclame d’aucune idéologie. Il n’est ni raciste ni xénophobe. Sa fondatrice et première présidente, Pia Kiaersgaard, a passé le relais, en 2012, à Kristian Thulesen Dahl, âgé aujourd’hui de 46 ans, économiste, membre des conseils d’institutions aussi diverses que l’université d’Aalborg, de l’aéroport de Billung et de la Banque nationale danoise, conseiller à la Cour nationale des Impôts. Thulesen Dahl, notable, père de famille tranquille, réfléchi, pondéré, ne présente pas le profil d’un agitateur populiste, moins encore d’un aspirant au pouvoir personnel. Sans véritable charisme, il jouit d’une autorité naturelle qui en impose à ses partisans et le fait reconnaître comme un homme sérieux et fiable. Il n’est ni un Le Pen ni un Umberto Bossi ; et ses préoccupations sociales l’opposent à un Gianfranco Fini ou à un Silvio Berlusconi, ultra-libéraux.

    Défense du modèle social danois et de l’identité nationale et culturelle danoise

    Car le parti populaire entend défendre le système de protection sociale, auquel tiennent tous les Danois. Il a d’ailleurs récemment conclu un accord avec le parti socialiste populaire (situé à gauche du parti social-démocrate) pour réclamer une revalorisation substantielle de l’indemnité contre le chômage. Mais il entend remettre ce modèle sur les rails, autrement dit recentrer ses missions et ses moyens sur les Danois de préférence aux immigrés, et sur les fractions nécessiteuses de la population, oubliées ou négligées depuis deux décennies, telles les retraités à faible pension et les salariés aux revenus les plus modestes. Ces deux catégories de la population ont quelque peu pâti de la sollicitude compassionnelle politiquement correcte des pouvoirs publics à l’égard des chômeurs, des demandeurs de premier emploi, et surtout des immigrés, abusivement considérés comme relevant d’un devoir d’assistance incombant au pays d’accueil, apparenté à une obligation morale.

    Cette préférence paraît désormais d’autant plus inadmissible que nombre d’immigrés, et spécialement les musulmans, refusent le modèle d’intégration par assimilation, à la base de la politique danoise d’immigration. Ils cherchent à tirer tout le profit possible du modèle social danois sans consentir à aucun effort d’intégration, soucieux non seulement de conserver leur identité et leur mode de vie d’origine, mais encore de les promouvoir et de les imposer à la population par la prohibition de fait des habitudes de vie jugées par eux en contradiction avec leur religion. Ces musulmans-là, de plus en plus nombreux, ne se privent nullement de vilipender les mœurs, les coutumes, la langue, la patrie danoises, de faire l’éloge des pays islamistes, de demander pour eux la multiplication des lieux de culte, d’arborer des tenues vestimentaires caractéristiques du monde arabe. Sous leur pression, des crèches, garderies, cantines scolaires et hôpitaux ont éliminé des repas servis aux usagers tous les plats à base de chair de porc, notamment les pâtés, saucisses, boulettes et fricadelles, pourtant emblématiques de la cuisine danoise ; certains de ces services et établissements en sont arrivés à ne plus servir que de la viande hallal au public, lors même qu’il se compose d’une forte majorité de non-musulmans. Et, dans la foulée, ils ont accepté d’interdire les arbres de Noël. Pire : un groupe musulman semi-clandestin a tenté de créer à Copenhague des zones d’application de la charia contrôlées par une « police de la vertu ». Le même groupe a lancé des appels au meurtre des Danois et préconisé l’instauration d’un régime islamiste au Danemark.

    Cette situation a suscité chez les Danois une réaction de défense compréhensible qui excède largement le parti populaire et que les gouvernants ont prise en compte. En 2009-2010, Inger Støjberg, jeune ministre de l’Emploi du cabinet Rasmussen (libéral) a pris diverses mesures salutaires : réduction des aides sociales aux chômeurs immigrés de plus de 30 ans refusant l’apprentissage du danois, subordination de la gratuité des soins à une période probatoire de plusieurs années pour les immigrés, réduction, pour ces derniers, des congés maternité et des prêts aux étudiants. Le 10 juillet 2013, elle a justifié sa politique dans une tribune du journal Politiken.

    La percée du modéré parti populaire n’est rien d’autre que le signe fort de cette saine réaction nationale de défense. 

     

     - Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de Politique magazine et la Nouvelle Revue universelle.

     

  • Chine, la puissance inquiète ... Il n’y a pas que la Grèce, dans le monde…*

     

    Cet article - de Jean-Luc Gréau, dans Causeur - nous a vivement intéressés. Il ouvre notre regard et notre réflexion non seulement à l'existant mais aussi à des possibles futurs, fussent-ils inquiétants et en contradiction avec ce que, jusqu'à présent, il a été convenu de penser. Ainsi de la Chine, comme puissance, ou même hyperpuissance de demain. De façon naturellement inélectable. Il suffit de prolonger les courbes, n'est-ce pas ?  

    Mais ici, nous n'avons jamais cru à la théorie de la fin de l'Histoire, ni au primat de l'Economie, ni que la mondialisation, réalité d'aujourd'hui, soit nécessairement le fait devant donner forme au monde de demain, ni qu'elle doive supprimer les peuples, les nations, leurs rivalités et leurs différences, ni qu'elle doive apporter à tous égale prospérité, niveaux comparables de développement et la paix universelle. Peut-être même est-ce tout le contraire.

    Le grain de sable grec a grippé pour longtemps - peut-être définitivement - la machinerie européenne. Qu'en sera-t-il si, démentant le conformisme des prévisionnistes, le géant chinois devait entrer en crise ? Economiquement, on peut l'imaginer. Mais d'autres domaines qui y sont corrélés, devraient appeler l'attention. Par exemple le surarmement dans lequel se sont lancées les puissances asiatiques (Chine, Inde et aujourd'hui Japon). Nous ignorons si Jean-Luc Gréau nous suivrait dans de telles considérations extra-économiques. Qu'il veuille bien nous en excuser. En tout cas, son analyse - qui plus est fort bien écrite - nous a amenés à y réfléchir.  LFAR  

     

    « La Chine m’inquiète » disait la duchesse de Guermantes dans Du côté de chez Swann. Le propos, dérisoire mais divertissant, a fini par devenir vrai quand la Chine a atteint récemment le statut de premier producteur mondial aux côtés et au grand dam des Etats-Unis, après avoir trente cinq années durant élargi et renforcé sa capacité économique.

    En juin cependant, tandis que l’imbroglio grec faisait perdre leur latin aux Européens, les bourses de Shanghai et de Pékin ont offert le spectacle d’un krach qui n’était attendu par aucun des économistes spécialisés. L’effondrement des cotes, de plus d’un tiers en deux semaines, a touché toutes les valeurs et la peur s’est emparée des entreprises qui étaient cotées ou voulaient se faire introduire en bourse.

    Il y avait deux façons d’aborder l’évènement. La première consistait à prendre le mouvement comme une profonde correction survenant après cinq mois de folie qui avaient vu, depuis janvier, les cotes s’élever de 55% environ. Il aurait fallu alors attendre la stabilisation spontanée du marché revenu à plus de réalisme. La seconde consistait à s’alarmer des répercussions du mouvement qui ont eu lieu dans sa foulée : report de toutes les introductions en bourse, report de toutes les augmentations de capital, à commencer par celles envisagées par les entreprises surendettées pour renforcer leur solvabilité. C’est ainsi qu’ont réagi les autorités de Pékin.

    D’abord, en injectant de la monnaie directement vers les brokers à partir des guichets de la banque centrale, ensuite en faisant intervenir un organisme public de marché, le Chinese Finance Securities Corp, ensuite encore en mettant en action les banques commerciales d’Etat, pour un montant de plus de 200 milliards de dollars, enfin en interdisant toute vente durant six mois aux détenteurs d’au moins 5% des actions. Le caractère massif de l’intervention en dit long sur l’inquiétude du pouvoir de Pékin.

    Un mois après la baisse initiale, la perplexité s’est installée. Personne ne sait si la hausse de la cote obtenue grâce aux mesures publiques de soutien du marché va déboucher sur une stabilisation durable. Nous pouvons dire cependant que cette stabilisation sera considérée comme acquise si le mouvement d’introductions et d’augmentations de capital reprend.

    A la faveur de l’épisode, la Chine a cessé de produire l’image d’une puissance orgueilleuse, dominatrice et sûre d’elle-même. Paraphrasant la duchesse de Guermantes, on dira « La Chine s’inquiète ». Elle s’enracine sans doute dans le fait central du surendettement qui touche d’innombrables entreprises liées aux secteurs du logement et des infrastructures. Entre 2008 et 2014, l’endettement global des Chinois a rejoint des niveaux « occidentaux », passant de 140% à 250% du PIB. L’endettement nouveau s’est concentré dans les entreprises et les collectivités locales.

    L’énoncé du problème économique chinois est désormais le suivant : ou bien les autorités de Pékin parviennent à réduire graduellement la croissance, sans la casser, pour contenir la dette des entreprises ; ou bien ils acceptent une fuite en avant consistant à doper sans cesse l’économie du pays, pour repousser l’échéance d’un « crash landing » dont le krach boursier de juin n’aurait été qu’un signal précurseur.

    Il n’y a pas que la Grèce dans le monde, il y a aussi la Chine. 

     

    Jean-Luc Gréau - Causeur

    *Photo : Zhengyi Xie/REX Shutter/SIPA/Rex_Stocks_Soar_China_4900402B//1507101258

  • Les mérites du rapport de Malek Boutih sur la « génération radicale »

     

    Nous avons déjà évoqué (vendredi 10 juillet) les analyses de la radicalisation islamiste de Malek Bouth, en publiant le fort pertinent article que Pascal Bories leur a consacré dans Causeur. Un autre commentaire s'y ajoute aujourd'hui : celui de Chantal Delsol.

     

    Le point de vue de Chantal Delsol

     

    Chantal_Delsol.jpgL'ancien président de SOS-Racisme ne craint pas d'arriver aux mêmes conclusions que des observateurs classés à droite, d'où la hargne qu'il suscite dans sa famille politique, explique Chantal Delsol*.

    Le rapport Malek Boutih pose le problème des causes émotionnelles et sociales des phénomènes extrémistes : les fanatiques du djihadisme (on pourrait dire aussi bien: du nazisme et du communisme) sont-ils de véritables croyants, ou plutôt des gens mal à l'aise dans leur propre vie ? Nous savons bien que les sentiments et les émotions jouent un rôle dans les engagements. Pourtant, la frustration sociale, l'échec personnel peuvent-ils suffire à expliquer le succès de Daech dans les pays occidentaux ? Et peut-on nier qu'il s'agisse là d'un courant de pensée, même s'il nous apparaît incroyablement fruste et barbare ? Au début, quand Daech s'appelait al-Qaida, nos observateurs avaient tendance à voir dans ses adeptes des gens analphabètes frustrés de n'avoir pas fait d'études - tant est grand chez nous le préjugé selon lequel seul l'ignorant est intolérant. Mais on s'est aperçu que les poseurs de bombes et autres kamikazes étaient souvent des gens tout à fait évolués intellectuellement - ce que corrobore la grande maîtrise de la communication et de l'informatique dont ils font preuve. Et puis quelques-unes de nos certitudes sont encore tombées quand nous avons vu que les candidats au djihad peuvent partir avec bien peu de connaissances de l'islam, comme s'il ne s'agissait là que d'une occasion.

    Malek Boutih met en valeur autre chose encore que la rancœur personnelle d'un élève en échec, autre chose encore que le fanatisme religieux : la rupture avec la culture ambiante, le désaveu de la société républicaine à laquelle la foi ne s'attache plus. « Monsieur, j'ai écouté votre cours et l'ai appris soigneusement pour obtenir une bonne note, mais tout ce que vous avez dit était faux » : voici ce qu'entend, effaré, cet enseignant du secondaire dans un lycée difficile. Signe qu'une partie de la jeunesse a littéralement mis les voiles. Et, dès lors, tout est possible.

    De notre côté, la stupéfaction est totale : comment peut-on ne pas aimer d'amour pur la république et la démocratie, parangons de l'égalité et de la liberté, désirables sur toute la terre ? C'est que le jeune lycéen voit la réalité là où nous vivons sur la fiction. Il voit que le discours officiel - l'épanouissement et le bien-être pour tous - ne s'applique à aucun moment, et qu'il lui faut non seulement subir les portes fermées et la galère, mais en plus entendre toute la journée des discours flamboyants sur les bienfaits du système. En lieu et place de cette utopie inappliquée et tributaire du mensonge, on lui propose un bon vieux rêve qui ne risque pas l'affrontement au réel, et dans lequel il jouera au moins un vrai rôle, fût-il barbare. C'est l'occasion d'exister.

    Le rapport Boutih indique que les deux tiers des personnes impliquées dans les filières jihadistes ont moins de 25 ans. Naturellement, un chœur bien-pensant s'écrie : en disant cela, on discrimine la jeunesse ! (Sous-entendu : dissimulez cette vérité insupportable.) Pourtant, cela peut servir pour mieux comprendre, d'autant que ce ne serait pas la première fois. L'histoire montre que les terroristes révolutionnaires, ceux qui détruisaient le vieux monde avec allégresse et qui tuaient le mieux, étaient souvent des hommes jeunes. L'instauration de la première terreur d'État, dans la France de 1793, s'organise par la main de fanatiques qui ont à peine plus de 30 ans, voire moins. Au XIXe siècle en Russie, ces jeunes hommes en rupture de ban étaient les « hommes de trop » qui jetaient des bombes noires sur les calèches des ministres. Pour le XXe siècle, Stéphane Courtois dressait dans un de ses ouvrages une liste impressionnante, qui commence ainsi : Heydrich avait 35 ans au début de la guerre et Himmler, 39 ; le fondateur et premier chef du goulag, Matveï Berman, avait 28 ans ; le maître d'œuvre de la Grande Terreur, Nicolas Ejov, était âgé de 35 ans, etc. Le désespoir et l'utopie font bon ménage avec la barbarie, qui n'est autre qu'une abolition des limites, et réclame pour ses basses œuvres des êtres incomplets encore, qui n'ont pas dressé la carte du réel. Il faut être jeune et fou pour marcher sur une plage avec sous le bras la tête de son ennemi. Et nous savons que les vieux idéologues sont en réalité de vieux bébés.

    Comment manifester sa colère contre Malek Boutih et son enquête si peu conforme aux exigences républicaines ? En récusant sa méthode. Une partie de la presse s'indigne aussitôt de voir figurer parmi la trentaine de personnes interrogées l'éducateur Jean-Paul Ney (trop à droite pour pouvoir réclamer une quelconque légitimité à parler) ou encore Frigide Barjot, organisatrice il y a deux ans de la Manif pour tous (trop catholique pour avoir droit de cité). Boutih est-il assez naïf pour croire qu'il faut interroger tous ceux qui ont réfléchi au sujet ? N'a-t-il pas compris que certaines personnes sont satanisées et donc personae non gratae ? On a plutôt envie de croire qu'il a l'esprit libre à l'égard de son propre camp, ce qui le rend bien sympathique: on comprend qu'il cherche la vérité.

    Boutih, qui est à la fois socialiste et d'origine algérienne (double légitimité pour parler de ce sujet), dérange les préjugés et tabous de la gauche, et surtout déstabilise cette volonté permanente de la gauche de taire les vérités élémentaires. Si l'on veut qu'un rapport de ce genre soit à la solde d'un courant politique, au fond le rapport Boutih est fait pour un courant de droite, puisqu'il ose annoncer que la menace est réelle et importante, ce qui est peu prisé par son camp - d'où le mécontentement de ceux auxquels il s'adresse.

    Alors on l'accuse de généraliser. Tous les jeunes de banlieues « issus de la diversité », comme on a le droit de dire pudiquement, ne sont pas destinés au djihad ! Tous les jeunes interdits de boîtes de nuit ne finiront pas jihadistes ! Et ce n'est en aucun cas ce qu'il a dit. Il met en garde contre la montée importante, et préoccupante, du nouvel extrémisme dont nos gouvernants prétendent qu'il ne touche qu'une petite poignée. Il écrit que la barbarie est une offre intéressante quand on est jeune et qu'on déteste la société dans laquelle on vit - les jeunes ancêtres de Kouachi, qui il y a si peu de temps portaient tantôt un brassard à croix gammée et tantôt la casquette étoilée des komsomols, avaient compris cela. 

    * Membre de l'Institut.

    Chantal Delsol  - Le Figaro

  • Guy Mettan - « Russie : l’attitude des intellectuels français ? Une énorme déception »

     

    Entretien réalisé par Grégoire Arnould

    Homme politique et journaliste suisse – détenteur également de la nationalité russe-, Guy Mettan vient de publier aux éditions des Syrtes Russie-Occident, une guerre de mille ans. Une enquête sur la russophobie occidentale qui trouve sa source, selon l’auteur, dans l’action de Charlemagne et le schisme qui a suivi, deux siècles plus tard. Depuis, rien n’a changé et la Russie est toujours regardée par les Occidentaux d’un œil méfiant et suspectée des pires crimes, même lorsqu’elle est innocente.

    Dans quel contexte avez-vous écrit ce livre ?

     Je dispose de la double nationalité suisse et russe depuis quelques années, ce qui m’a rendu plus attentif à la manière dont la presse occidentale parlait de ce pays. Et comme mon domaine d’activité est précisément le journalisme, j’ai voulu écrire sur ce sujet. A savoir que mes confrères tordent la réalité russe ou la présentent systématiquement de manière biaisée. Cette façon de procéder n’est pas conforme aux standards journalistiques. Mon livre a vocation à rétablir certaines vérités.

    Cette manière de traiter la Russie est-elle équivalente en Suisse et en France ?

     En France, c’est pire ! La presse française ne remplit pas sa mission d’information. Elle cite toujours les mêmes sources, ne confronte jamais les opinions et, dans le cas de la Russie, ne donne jamais la parole à ceux qui défendent la position russe. Cela m’avait particulièrement marqué lors des JO de Sotchi. C’était un russian-bashing terrible alors que la Russie, qui avait payé de sa poche tous les investissements nécessaire à l’organisation de ces JO, n’avait rien à se reprocher ! Cela n’a pas empêché les Occidentaux de l’accuser de tous les maux de la terre : soi-disant déplacements de populations, soi-disant répression de militants LGBT. Puis la couverture médiatique occidentale et particulièrement française des récents événements en Ukraine m’ont tellement agacé que cela a fini par me convaincre de la nécessité d’écrire ce livre.

    L’objet de votre livre est de dénoncer cette russophobie ?

     Je suis parti de la situation actuelle et j’ai pris quatre exemples contemporains où, bien que la Russie ne soit absolument pas en cause, elle a été jugée coupable. D’abord, l’affaire du crash d’Uberlingen en 2002 où un avion russe Tupolev) et un Boeing de la compagnie DHL sont entrés en collision. On a accusé tout de suite le pilote russe d’être responsable de l’accident, arguant qu’il avait trop bu ou qu’il ne parlait pas anglais etc. Des accusations sans aucune analyse ! 48 heures après, l’enquête a démontré qu’il s’agissait d’une erreur des aiguilleurs du ciel suisse de Zurich. Même chose, en 2004, avec la tragédie de Beslan. 1 000 enfants sont alors pris en otage par des Tchétchènes. Qui est accusé ? Les Russes ! Imaginez si l’on avait accusé les Américains d’être responsables du 11 septembre… Autre illustration : la Géorgie en 2008. Toutes les enquêtes, même celles du Conseil de l’Europe, pourtant pas pro-russe, ont montré que ce sont les Géorgiens qui ont attaqué les premiers. Ce qui n’empêche pas les grands journaux nationaux, aujourd’hui encore, sous la plume de journalistes en principe qualifiés, d’expliquer que c’est un coup des Russes ! Un mensonge éhonté, une nouvelle fois.

    Comment expliquer cette mise en accusation permanente des Russes ?

     Une grande partie du livre est, justement, une enquête historique. Mon objectif était de chercher les causes de la russophobie dans l’histoire. Je suis remonté jusqu’à Charlemagne. C’est la première rivalité géopolitique entre l’Occident et le monde greco-oriental. Ensuite, la rupture s’est poursuivie sur le plan religieux avec le schisme de 1054 et la naissance du Saint Empire Romain Germanique. Après la chute de Constantinople, quand la Russie a repris à son compte l’héritage byzantin, les préjugés anti-grecs se sont transférés sur la Russie. Il faut attendre le XVIIIe siècle, sous Pierre Le Grand, pour entrevoir des moments de russophilie, avec notamment Voltaire ou Diderot… Mais dès la fin du siècle, une nouvelle forme de russophobie se développe en France avec Montesquieu… Elle s’est caractérisée par la rédaction d’un faux testament de Pierre Le Grand, que Napoléon a refait imprimer juste avant la campagne de Russie pour légitimer son intervention militaire. Il y était écrit que les Russes projetaient une invasion et une annexion de l’Europe.

    La Russie n’est-elle donc qu’un bouc-émissaire ?

     On reproche à la Russie son manque de démocratie… Pourtant, aujourd’hui comme hier, les Anglais ou les Américains ne se sont jamais interdits de s’allier avec les pires despotes de la planète ! Que l’on pense aux sultans de l’empire ottoman ou aux émirs d’Arabie Saoudite de nos jours. Faut-il rappeler qu’il y a eu cent décapitations chez les Saoudites au premier semestre 2015 ? Combien en Russie ? A-t-on entendu Obama s’indigner ? On a ainsi affaire à un double langage des Occidentaux, qui utilisent la démocratie comme un prétexte.

    Derrière ce double langage, faut-il y voir une peur du réveil russe ?

    Du point de vue géopolitique, les Russes sont les concurrents directs des Anglo-saxons pour la maîtrise du monde. D’où l’interventionnisme des Américains au sein de l’Union européenne pour déstabiliser la Russie. C’est écrit noir sur blanc chez Zbigniew Brzeziński, l’un des plus influents géopoliticiens américain : la Russie est un obstacle pour les ambitions américaines. Dès lors, les événements d’Ukraine apparaissent sous un jour différent ! Les stratèges américains n’ont pas beaucoup de scrupules.

    Et en France, pourquoi ce sentiment anti-russe ?

    C’est une énorme déception que de voir l’attitude des intellectuels français. De Gaulle avait compris que la force de la France reposait sur le maintien des équilibres entre l’Europe et les États-Unis en s’appuyant, si nécessaire, sur la Russie. En entrant dans l’Otan, elle a abdiqué toute autonomie et indépendance de pensée. Je suis frappé de voir à quel point ce pays, qui est le seul en Europe à pouvoir faire contrepoids à l’Allemagne, n’existe presque plus sur la scène internationale. Elle pourrait pourtant retrouver son influence en tendant intelligemment la main à la Russie. 

    Russie-Occident, une guerre de mille ans, de Guy Mettan, éditions des Syrtes, 472p., 20 euros. 

  • Livres • L’or du rien

        Tadashi Kawamata   

     

    L'imposture que constitue ce que l'on appelle avec complaisance l'art contemporain est aujourd'hui assez communément dénoncé. C'est ce que fait ici avec pertinence Laurent Dandrieu en commentaire d'un livre d’Aude de Kerros qui démontre comment le dit art contemporain est devenu une bulle spéculative. De l’art de faire des fortunes avec du vent.

     

    laurent%20dandrieu%203.jpgLes chiffres donnent le tournis : 58,4 millions de dollars pour un chien gonflable de Jeff Koons (Balloon Dog), 100 millions de dollars pour une tête de mort (certes incrustée de diamants) de Damien Hirst (For the Love of God), 70,5 millions de dollars acquittés le 11 novembre dernier, chez Sotheby’s à New York, pour des gribouillages sur tableau noir signés de Cy Twombly (Untitled). Selon le site Artprice, le chiffre d’affaires annuel du marché de l’art contemporain serait aujourd’hui de 1,7 milliard d’euros, soit une augmentation de 1 800 % en quinze ans !

    Dans l’essai qu’elle consacre au phénomène, Aude de Kerros montre qu’aujourd’hui, l’art contemporain (qu’elle désigne par l’acronyme AC, pour bien souligner que ce courant ultra-dominant ne saurait prétendre à représenter la totalité de l’art d’aujourd’hui) est essentiellement devenu un art financier, une bulle spéculative pour grandes fortunes avides de placements hautement rentables et quasiment sans risques. Si le titre de son livre, l’Imposture de l’art contemporain, pourrait laisser croire à une énième dénonciation du vide de ce nouvel art officiel, l’approche en est plus novatrice : démonter les processus par lesquels, d’avant-garde esthétique, il s’est mué en puissance économique dominatrice et monopolistique.

    Sous ses dehors d’art contestataire, censé poser sur le réel un regard déconstructeur en ne cessant de le “questionner” — sans jamais donner la moindre réponse, ce qui permet de continuer à poser indéfiniment les mêmes questions —, l’art contemporain est devenu une valeur refuge, d’autant plus commode qu’elle est incontrôlable : « C’est un produit qui échappe à bien des réglementations, aux taux de change, aux problèmes de douane, grâce aux zones franches. Il offre des possibilités à l’évasion fiscale et au blanchiment d’argent. […] Les délits d’initiés, les trusts et les ententes ne sont pas réprimés sur le marché de l’AC. » Indépendant par essence de la critique, puisque seul le regard de l’artiste est apte à décider ce qui est de l’art, l’AC s’est, depuis quelques années, émancipé de la tutelle des institutions (musées, pouvoirs publics) pour ne plus dépendre que du marché. Un marché qui est tout sauf transparent, puisque collectionneurs, galeristes, experts et grandes maisons de ventes aux enchères travaillent main dans la main, avec la bénédiction complice des grands musées instrumentalisés par le secteur privé, pour déterminer les cotes des artistes d’une manière on ne peut plus artificielle — mais très avantageuse pour toutes les parties concernées. Irrespectueux par essence, l’art contemporain s’est d’ailleurs toujours montré très déférent vis-à-vis de la puissance de l’argent : « On peut se foutre de la gueule de l’art, mais pas de la gueule du marché », déclare ainsi Damien Hirst, qui parle d’or.

    Devenu marginal sur le marché de l’art, où il ne pèse guère ni artistiquement ni financièrement, Paris s’est vu attribuer un autre rôle : celui d’une place de prestige, assignée à la légitimation de l’AC. Versailles, le Louvre, l’hôtel de la Monnaie, en ouvrant leurs portes à Koons, Murakami ou McCarthy, leur confèrent par capillarité la dignité de la haute culture, une sorte de label de qualité symbolique incritiquable.

    Bien rodé, le système peut-il perdurer indéfiniment ? Depuis quelques années, le réveil de la pensée critique sur le sujet laisse deviner que le roi est de plus en plus nu. Quant à cette « titrisation du néant » que dénonce Jean Clair, cette manière de conférer des prix délirants à des objets qui artistiquement n’existent pas, elle semble condamnée à se dégonfler aussi sûrement que ces produits financiers dérivés qui ne reposaient sur rien de tangible et qui ont abouti à la crise des subprimes. À défaut de rester dans l’histoire de l’art autrement que comme symptôme de dégénérescence, peut-être Jeff Koons restera-t-il comme un prophète, pour avoir donné à ses oeuvres phares l’opportune apparence de baudruches. 

    Aude_de_Kerros.jpgL’Imposture de l’art contemporain, une utopie financière, d’Aude de Kerros, Eyrolles, 256 pages, 25 €.

    Laurent Dandrieu  [Valeurs actuelles]

  • Livres • Crime imaginaire et victimes réelles

     

    Entre blasphème, soldats d'Allah, charia et menace des kalachnikovs, une excellente chronique d'Éric Zemmour pour FigaroVox.

     

    Un an après Charlie, seule une plongée dans le passé du blasphème nous éclaire. Une histoire passionnante où religion et politique sont étroitement mêlées. Hier comme aujourd'hui.

    Le mot avait disparu du langage courant. Il évoquait des temps immémoriaux et obscurs, où le Moyen Âge et le chevalier de La Barre se mêlaient dans une grande confusion historique. Le blasphème nous semblait aussi désuet que la marine à voile mais sans susciter la même nostalgie pour la splendeur des équipages. Il y a un an, l'exécution de dessinateurs blasphémateurs au cri d'Allah akbar nous a ramenés dans un passé que l'on croyait révolu. Aussi efficace qu'une machine à remonter le temps, la kalachnikov des frères Kouachi ressuscitait un univers des «péchés de bouche» et des «serments outrageux» que Voltaire et la République des Jules avaient cru enterrer dans le linceul des «crimes imaginaires». Alors, pour mieux comprendre et combattre ce qui nous tombait dessus, autant plonger dans ce passé qui était fort bien passé. C'est ce que nous propose Jacques de Saint Victor, historien du droit bien connu des lecteurs du supplément littéraire du Figaro. Une plongée passionnante et instructive qui nous ramène aux sources juives du Dieu monothéiste, exclusif et jaloux, et de ces développements complexes en terre chrétienne.

    Notre auteur nous surprend en nous apprenant que, contrairement aux idées reçues, ce n'est pas tant l'Église qui réprima le blasphème que les rois ; le pape tempérait même les ardeurs répressives des rois: «C'est plutôt la politique que la religion qui a rendu la religion intolérante.» Les guerres de religion allaient donner une nouvelle vigueur à cette question, dans un temps où les protestants usaient du blasphème pour scandaliser les catholiques et où le protestantisme fut assimilé au blasphème par les catholiques. Pour sortir des guerres de religion, les politiques inventèrent la monarchie absolue. Que les Lumières et la Révolution remplacèrent par la nation. On n'avait plus besoin de Dieu et de la religion pour fonder la légitimité du pouvoir politique. «La France fut la première nation en Europe à abolir expressément le délit de blasphème en 1791… La première nation à dissocier aussi nettement le droit et la religion.» Les tentatives pour restaurer les anciens interdits (Restauration, second Empire) étaient vouées à l'échec et au ridicule. Mais le ridicule ne tue pas. Notre auteur s'en amuse ou s'en effraie. «Notons que notre exigence actuelle de “respect des religions” ou de “décence” puise sa source dans les plus obscures décisions de justice du second Empire, celles-là mêmes qui poursuivaient Proudhon, Baudelaire et Flaubert!» Nous vivons le temps des grands renversements d'alliance. Les progressistes ont des faiblesses pour le Moyen Âge. Les laïcards, des tendresses pour Allah. «La pénalisation du “discours de la haine” et le respect des convictions intimes étaient brandis par la droite ultracatholique de 1881 pour dénoncer le blasphème ; les voici repris aujourd'hui par les associations antiracistes.»

    À l'époque, c'est Clemenceau, anticlérical et anticolonialiste, qui lançait: «Dieu se défendra bien lui-même ; il n'a pas besoin pour cela de la Chambre des députés.» Aujourd'hui, c'est l'extrême gauche qui explique que la laïcité est un projet colonialiste et raciste, et que l'islam rigoriste n'est que «la rage des victimes de la mondialisation capitaliste».

    Jadis, l'État français combattait tout communautarisme et tout État dans l'État. Aujourd'hui, c'est l'État lui-même qui, avec la loi Pleven, «marque le début juridique du repli communautaire en France en institutionnalisant sans y prendre garde la logique identitaire». À l'ONU, sous la pression des pays musulmans, le conseil des droits de l'homme adopte une résolution en 2009 qui affirme la nécessité de poursuivre «toute forme de diffamation des religions» et le Vatican s'y oppose, voyant le danger pour les chrétiens dans les pays musulmans.

    Dans ce tohu-bohu historique et idéologique, notre auteur tente de raison garder. Il invoque les mânes modérés de Montesquieu ; refuse la confusion faite «entre respect des croyances et respect des sensibilités». Mais il paraît désarmé devant cette «singularité française: depuis le début des années 2000, la nation la plus laïque d'Europe va nourrir, en son sein, des exigences parmi les plus fondamentalistes du continent en matière de blasphème». Il diagnostique fort bien un retour à l'esprit des guerres de religion: «Le blasphème a fini par redevenir un “curseur identitaire” comme il l'avait été au XVIe siècle» ; mais il croit pouvoir établir une égalité entre les menaces venues de l'islam littéraliste et celles issues du christianisme fondamentaliste. Derrière celui-ci, il croit voir l'ombre de «l'ordre moral». Il continue à croire que «la société libérale laïque reste en définitive la seule réponse à ce délit de blasphème» ; mais il oublie que cette société libérale de la IIIe République respectait alors «la morale de nos pères» chère à Jules Ferry, et ne sacrifiait pas aux rites postmodernes de la théorie du genre et du mariage homosexuel. Il invoque avec raison le souvenir glorieux de Clermont-Tonnerre et sa fameuse phrase: «Il faut tout donner aux juifs en tant qu'individus, et rien en tant que nation», en omettant que les Israélites, en échange de leur émancipation religieuse, poursuivaient leur assimilation culturelle à une société chrétienne. Il craint que cette évocation vigoureuse et décomplexée de nos racines chrétiennes ne pousse au «choc des civilisations» en faisant mine de ne pas voir que le fameux choc a déjà fait couler le sang dans les rues de Paris. Il nous avait pourtant lui-même donné les clefs d'explication du retour tonitruant de cette question dans la France du XXIe siècle, en nous montrant que la répression du blasphème fut une des armes utilisées par le pouvoir royal pour affirmer son autorité et sa souveraineté.

    De même aujourd'hui, la répression du blasphème par des soldats d'Allah exprime la volonté d'affirmer sur notre sol, et nos populations, l'émergence d'un pouvoir islamique, fondé sur la charia et appuyé par la menace des kalachnikovs. Les islamo-gauchistes ont déjà choisi d'y faire allégeance. D'autres s'y refusent. Notre auteur, comme nous tous, devra se résoudre à choisir son camp. 

    Eric Zemmour 

    Blasphème de .Jacques de Saint Victor, Gallimard, 122p., 14 €

    Blasphème de .Jacques de Saint Victor, Gallimard, 122p., 14 €