Maurras à l'imprimerie...
Dans son "Maurras et notre temps", Henri Massis dit, à un moment, de Bainville et de Daudet, qu'ils "étaient de vie régulière".
C'est-à-dire que, leur après-midi de travail terminé, ils rentraient, tout simplement, chez eux, en famille...
Rien de tel pour Maurras, célibataire : son rythme de travail était radicalement différent, et s'apparentait d'avantage à celui d'un "oiseau de nuit", comme le montre Daudet, dans cette fin du chapitre VI de son "Vers le Roi", pages 201/202/203 :
"...Maurras en use aussi, à sa façon (de la répétition, ndlr), qui est de varier les sujets, au cours d'un même article, et de servir chaque matin, en plusieurs paragraphes, un menu politique presque complet...
Maurras travaillant toute la nuit et passant presque toute la nuit à l'imprimerie (ce qui est phénoménal et unique dans les annales de la presse !), l'Action française est le seul journal dont les nouvelles soient contrôlées.
Chez la plupart de nos confrères, ces nouvelles, transmises par les agences, sont insérées en vrac, par le secrétaire de rédaction, sous la rubrique "Dernière heure", et c'est au lecteur à se débrouiller dans leur énoncé blafard, absurde, contradictoire ou confus.
Rien de tel chez nous : l'oeil de Maurras, servi par une mémoire effarante, a vite fait de relever l'erreur de fait et de la corriger, l'interprétation tendancieuse et de la barrer.
On n'imagine pas l'utilité de cette surveillance, surtout dans les moments graves ou critiques.
L'Action française n'est pas seulement un quotidien. Elle est aussi une ligue et un organisme d'action. Elle a des ramifications innombrables dans tous les milieux et dans toutes les provinces. D'où la nécessité, pour elle, d'insérer les communiqués de ses amis et les comptes rendus de ses manifestations, de ses réunions, des mille formes de son activité politique.
Aussi arrive-t-il fréquemment qu'entre onze heures du soir et minuit, une heure du matin, il faille faire de la place à un évènement, à un incident qui nous sont propres, bien que d'un intérêt général, et sur lesquels nous sommes les seuls à avoir des détails exacts.
Que de fois furent ainsi rédigés des papiers hâtifs, de bulletins de succès royalistes obtenus ici et là sur les républicains, cependant que de nombreux manifestants, chauds encore de leur bonne besogne, s'épongeaient dans un coin de l'imprimerie !
Pujo, chef de l'action et sortant d'en prendre, déclarait qu'il lui fallait une colonne et demie, au grand désespoir du secrétaire de rédaction, obligé de faire sauter un papier important.
Mais vous connaissez bien Pujo; quand il a une idée en tête, il s'y tient et heureusement; attendu que l'idée qu'il a foncièrement, dans sa tête dure et clairvoyante de Rouergat, est le rétablissement de la monarchie. Alors, zou, il n'y a qu'à lui accorder la place qu'il demande, et vivement, dût-on, pour cela, supprimer le feuilleton. Notez que cette suppression est une faute grave.
Maurras revoit plusieurs fois ses épreuves. En mettant bout à bout ses corrections, on obtient ce qu'il appelle "le ténia", un ruban de plusieurs mètres d'imprimé.
Je ne change rien à mon texte, trop heureux de n'avoir plus à y penser. Ceci compense cela et prouve que la nature et la providence nous avaient destinés là-dessus à collaborer.
Mon écriture est presqu'aussi peu lisible, ou difficilement lisible que la sienne. ce qui fait que notre vieil ami et collaborateur Bartoli a bien du mal à nous corriger.
J'ai un certain goût pour les coquilles, toujours pittoresques.
Une des plus belles, demeurée célèbre chez nous, est celle qui fit insérer, dans un article de Maurras, bien en vue et en italiques, comme une citation latine importante, ces deux mots mystérieux : "Nacus compum".
Maurras avait écrit : "Chacun comprend" !"