Changé énormément, mais pourtant pas totalement...
De "Au temps de Judas", pages 64/65 :
"...Clemenceau a été un des meneurs de l'affaire Dreyfus, des plus acharnés, des plus butés, des plus nocifs, et cependant, vingt ans après, il nous a donné la victoire, en matant précisément la trahison à l'intérieur.
Sa longue vie laborieuse, semée de tant d'écueils et de tempêtes, lui a permis ce retournement glorieux, où apparaît quelque chose de providentiel.
Du coup il est devenu en haine à la plupart de ses alliés d'autrefois, qui n'aimaient pas la France et foulaient le drapeau.
Il a rompu violemment avec Georges Brandès, juif danois et germanophile, avec bien d'autres de ses plus anciennes relations.
Il a fait, à soixante-dix-sept ans, peau neuve.
Non qu'il ait rien abandonnné, du moins en apparence, de son vieil idéal républicain.
Mais le bleu de Vendée et même le conventionnel ont pris en lui carrément le dessus sur le parlementaire et le dreyfusard.
Il a été mû, à mon avis, par la grande pitié du pays de France, celle même qui emplit autrefois Jeanne la Lorraine, et peut aussi bien habiter l'âme candide d'une jeune bergère inspirée, que le vieux coeur d'un écrivain et orateur de souche paysanne, dénué de la peur de la mort.
C'est une grande force de Clemenceau de n'avoir jamais redouté la Camarde, et aussi d'avoir préservé, à sa manière brusque et incisive, une certaine simplicité directe de vision et d'action, grâce à laquelle il est allé, de juillet 1917 à novembre 1918, droit au but.
Il était dans la cuisine politique : le voilà dans la grande histoire, avec un laurier immortel.
Car celui qui nous a rendu l'Alsace et la Lorrraine sera éternellement béni des enfants du pays de France, surtout quand il a osé prendre le pouvoir dans les conditions terribles, désespérées, que lui avaient faites ses prédécesseurs, les lamentables Viviani, Briand, Ribot et Painlevé..."
Illustration : Monuments aux morts de Carpentras : Allégorie de la Victoire, qui tient une couronne de laurier dans la main droite et un rameau dans l'autre main, par Henri-Charles Raybaud .