"A la grande mémoire de Jacques Bainville".....
Jean de La Varende a dédié ainsi le chapitre VIII de son magnifique "Les manants du Roi" (L'enterrement civil - 1927) :
"A la grande mémoire de Jacques Bainville.
Cette cérémonie fut; et bien d'autres semblables Qu'ici en demeure la forte émotion, et la faible trace. L.V."
Le roman a été publié en 1938, soit deux ans après la mort de Bainville; il relate, dans ce chapitre VIII qui lui est dédié, l'enterrement civil d'une vieille personne "qui avait tenu à rester fidèle"... à l'Action française, à qui l'Eglise catholique refusait les sacrements, depuis le 8 mars 1927 (après avoir mis à l'index le journal et quelques livres de Charles Maurras, le 29 décembre 1926).
Comment ne pas voir que la "forte émotion" dont parle La Varende s'applique aussi à Bainville, qui ne put avoir ses obsèques religieuses dans sa paroisse de Sainte Clotilde, et dont la dépouille, avant son départ pour le cimetière de Marigny, dans la manche, resta dans la cour de l'immeuble de la rue de Bellechasse, où il mourut.
Pourtant, il était de notoriété publique que Bainville souhaitait des obsèques religieuses, comme l'affirme Henry Bordeaux :
"...Je me souvenais avec précision qu'aux funérailles de Paul Bourget, Jacques Bainville m'avait dit :
"Je souhaite que les miennes soient ainsi, mais avec moins de musique." Comment n'aurais-je pas vu là un voeu d'obsèques religieuses ?..."
Extraits du chapitre VIII, L'enterrement civil :
"Galart relisait cette lettre du comte de Brillot : "On refuse les obsèque religieuses à Mme de Coeurville : nos amis tiennent à faire tout ce qui est possible; nous nous réunissons à Parcilly, mercredi, vers 10 heures : voulez-vous être des nôtres ?"
Mme de Coeurville ?... Il connaissait; mais qui donc était-ce ? Parcilly ? Oui, derrière Evreux... Il vit se dégager confusément, d'une pénombre chargée de meubles, une vieille figure un peu bouffie; très poudrée; de jolis yeux clairs... Et cette pauvre vieille avait tenu à rester fidèle ?... Bien sûr, qu'il allait s'y rendre ! lui apporter un hommage dernier....
...Le grave baron d'Heneval... expliquait posément, sincèrement, la mentalité de l'évêque : "Sa Grandeur avait jadis soutenu le mouvement condamné, ébloui par le courage, le dévouement, la décison des ligueurs. C'étaient eux qui l'avaient fait sortir, avec la procession, à Conches, malgré les menaces de la municipalité rouge. La condamnation touchait particulièrement le prélat. Il souffrait, et craignant de ne pas assez obéir, il dépassait peut-être la tendance imposée"...
...Les ligueurs n'étaient point tristes; ils semblaient animés d'un peu de griserie même... Galart, qui vivait presque reclus, loin des bavardages, écoutait, regardait avec étonnement. Il s'attendait à une violence, une douleur, soeurs des siennes; et vainement il cherchait de la rancune. Tous ces gens se trouvaient chassés d'une religion dont les commandements et les prières avaient formé leurs âmes; d'une religion qu'ils soutenaient depuis toujours; pour laquelle leurs pères avaient risqué leur vie. Fils de Chouans et de zouaves pontificaux, ils ne paraissaient pas affectés d'une disgrâce si ostracisante, et si complète. Galart, cherchant à comparer leur sérénité, en vint aux premiers chrétiens sous la persécution : une joie de souffrir dans la certitude d'une récompense éternelle; dans une effusion qui les rapprochait tous..."