Ferry (II) : colonialisme "raciste" et chute....
(Illustration : la conquête du Tonkin, gravure d'époque).
Voici maintenant le passage - un peu plus long... - qui concerne le Ferry "colonialiste et raciste". Avant de le lre, il est bon de se souvenir de ce propos fameux de Ferry:
"Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures." (Jules Ferry, devant l’Assemblée nationale, le 28 juillet 1885).
De La Troisième République, Chapitre IV, Jules Grévy et Gambetta, pages 108 à 113 :
"...Le souvenir du différend qui, en 1870, avait séparé les républicains portait ces esprits politiques à une autre conséquence. Ils restaient animés contre les partisans de la revanche d'une défiance que n'avait pas éteinte la mort de Gambetta. Rien ne leur semblait plus dangereux que de laissr les yeux des Français fixés sur la trouée des Vosges. D'autre part, ils sentaient dans le pays une fibre froissée, le désir d'effacer l'humiliation de la défaite et de retrouver un peu de gloire. "A défaut de revanche directe, dit Freycinet, la France voulait au moins déployer ses armes, montrer qu'elles avaient conservé leur force." L'idée de reconquérir l'Alsace et la Lorraine était insensée. Sur les autres continents le champ était libre. L'Afrique, l'Asie offraient à la fierté nationale, au besoin de mouvement, à l'activité militaire un emploi qui semblait sans danger. La conquête d'un empire colonial fut une idée de gouvernement.
Il ne serait pourtant pas vrai de dire que ce fut une idée préméditée et sortie d'un calcul réfléchi. Après coup seulement "l'expansion coloniale" devint un système. Les occasions ne furent pas provoquées. Elles se présentaient; on les saisit. Déjà, en Tunisie, l'intervention avait été déterminée par les circonstances. Ce furent elles encore qui engagèrent Ferry dans l'affaire du Tonkin.
Les commencements passèrent inaperçus. Bien qu'elle fût en République, la France n'était pas consultée. On se mit à conquérir de vastes territoires, à fonder des colonies et des protectorats, comme on fera la guerre et la paix, les alliances et els traités, sans demander l'avis du peuple, sans même engager devant les Chambres d'autre discussion que celle des crédits. Principio facto a Fabio. Des soldats audacieux, des créateurs de génie renouvelèrent les fastes de l'histoire coloniale. Ce fut un des soutiens moraux de la nation étonnée de voir naître d'elle tant d'énergies. Ainsi s'est fondé un vaste empire et il ne s'agit plus que de le garder. On continuait en grand les régimes monarchiques, appliqués, depuis Charles X et le débarquement d'Alger, à refaire el domaine d'outre-mer dont il ne restait plus que de faibles vestiges à la chute de Napoléon 1er. L'oeuvre appartient à la Troisième République. Il ne serait pas faux de dire qu'elle n'appartient pas à la démocratie. Mise aux voix, jamais elle n'eût été entreprise. En 1882, la question de savoir si la France devait intervenir en Egypte de compte à demi avec l'Angleterre avait été résolue par la négative sous la pression de l'opinion publique traduite par Clémenceau. La réponse eût été la même pour la Tunisie, le Tonkin et le reste sans l'initiative du gouvernement qui fut possible parce que la France n'était pas en démocratie intégrale. Ici la Constitution de 1875 servait encore en laissant au pouvoir exécutif assez d'indépendance et même de secret pour lui permettre de suivre quelques desseins.
A la vérité, personne ne se doutait des développements qu'allait prendre une opération destinée à répri la piraterie dans le delta d'un fleuve asiatique. "Il n'est pas permis de songer à une conquête du Tonkin qui ne présenterait certes pas de grandes difficultés mais qui serait absolument stérile." Ainsi, et se trompant d'ailleurs deux fois, parlait Challemel-Lacour, ministre des Affaires étrangères, un jour qu'il déposait une demande de crédits. Les dépenses et les envois de troupes se succédèrent. Un malaise se répandit. Au mécontentement de ceux qui voyaient avec regret la France disperser ses forces hors d'Europe, loin de la frontière ouverte, se joignait l'inquiétude de la population sédentaire et timide. Ces expéditions en terres inconnues apparaissaient comme des aventures coûteuses, de nouveaux Mexique. Harcelé de questions, distant, gourmé, hautain dans ses réponses, Jules Ferry devenait suspect. Ce fut pis lorsque, pour le Tonkin, on se trouva en guerre avec la Chine. A la nouvelle du désastre de Lang-Son l'indignation déborda. La panique n'avait pas été plus grande après Waterloo, dit un témoin. Tout semblait perdu. Ferry était déjà renversé lorsqu'on apprit que les premières nouvelles avaient éxagéré la gravité de ce revers et que les négociations engagées avec la Chine avaient abouti à des préliminaires de paix. C'est en ces singulières circonstances que la France entra en possession du Tonkin et reçut le protectorat de l'Annam. Mais le coup était porté. Le nom de Lang-Son ne s'effaça pas. Des jours critiques s'ouvarient pour le régime républicain. La diversion des colonies lui devenait funeste en le vouant avec Jules Ferry à l'orage de l'impopularité.
Cependant, si l'on analyse les sentimenst qui firent abhorrer le "tonkinois", on découvre la raison pour laquelle la République devait échapper au péril. A la séance du 30 mars 1885, qui donc avait lancé l'apostrophe fameuse sous laquelle Ferry succomba ? "Nous ne voulons plus discuter avec vous les grands intérêts de la patrie. Nous ne vous connaissons plus, nous ne voulons plus vous connaître..." Cette voix était celle de Georges Clémenceau qui, jadis, avait repoussé le traité de Francfort, la cession de l'Alsace et de la Lorraine, qui, à Bordeaux, ne supportait même pas le contact des ratificateurs. Comme alors, il dénonçait l'abandon des droits de la patrie, le reniement des choses sacrées. Ce qui parlait par sa bouche c'était la revanche, bien qu'il ajoutât : "La Républqiue c'est la paix." Cependant ceux qui s'associaient à cette brûlante philippique et au vote qui renversait Ferry étaient en partie des conservateurs et des ruraux comme ceux de l'Assemblée nationale. La France paysanne ne voulait pas plus de guerre au Tonkin qu'ailleurs. Le malentendu était là.
Ferry, après sa chute, dut sortir de la Chambre par une porte dérobée pour échapper aux colères. Paris huait et, dans la rue, maltraita un jour l'homme qui oubliait les provinces perdues et que la voix de Clémenceau accusait de haute trahison. Quant aux villages, ils regardaient Ferry comme un homme dangereux qui gaspillait les millions et sacrifait des soldats pour des aventures. Couvert d'opprobre, son nom était haï partout. On ne s'accordait pas sur les raisons qui faisaient de lui un réprouvé et, de là, pour le régime, le salut devait venir. Mais Ferry avait froissé tous les sentiments à la fois. Pour les catholiques, il était le Dioclétien en redingote, le persécuteur aux formes glacées, l'Antéchrist de l'article 7 et des décrets qui jetait à la rue les servantes de Dieu. Pour les patriotes, il commettait une autre sorte d'impiété lorsqu'il substituait le Tonkin et Madagascar à l'Alsace et à la Lorraine. Il alarmait enfin l'homme des champs quand il disait que la France devait répandre au loin "ses moeurs, sa langue, ses armes, son drapeau, son génie".....