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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

Les Hohenzollern, "Capétiens" de l'Allemagne...

Les Hohenzollern, "Capétiens" de l'Allemagne...

Du Chapitre III, "La France entre la Prusse et l'Autriche" (pages 120 à 128) :

"...La tâche de la politique est de résoudre des difficultés sans cesse renaissantes. Elle est aussi de les prévoir et de ne pas se laisser prendre au dépourvu. C'est ainsi que la développement de la Prusse vint renouveler l'aspect du problème allemand et donner à la politique française de nouveaux soucis.

On eût bien surpris les contemporains de Henri IV ou de Richelieu si on leur eût désigné comme l'ancêtre de futurs empereurs d'Allemagne ce marquis de Brandebourg, très gueux, qui régnait sur de pauvres sablières et qui, selon l'usage de tant d'autres princes allemands, vivait sous la protection de la France dont il mendiait les subsides. Le marquis, devenu Electeur, n'était pas encore un grand personnage. Voltaire remarque qu'aux congrès de Westphalie les ambassadeurs de France prenaient le pas sur lui et ne l'appelaient pas autrement que « Monsieur ». Et Voltaire d'ajouter : « Ce Monsieur était Frédéric-Guillaume Ier, bisaïeul du roi de Prusse Frédéric. » Grand sujet d'étonnement, en effet, que cette ascension si rapide. Les Hohenzollern ont brûlé les étapes comme aucune autre famille ne l'a jamais fait. Dans une Allemagne dont la division était garantie par un système d'équilibre où la France, d'abord, l'Autriche ensuite, et les cours secondaires après elles, trouvaient également leur compte, dans cette Allemagne pulvérisée, comment un Etat, et un seul, l'Etat prussien, a-t-il réussi à grandir, à s'élever au-dessus des autres maisons électorales ou princières, à tenir tête à deux grandes puissances, enfin à représenter l'esprit allemand, le patriotisme allemand, à réaliser même, en dernier lieu, à son profit, cette unité allemande contre laquelle une politique séculaire avait accumulé les obstacles ? Ce n'était pas en elles-mêmes que les possessions des Hohenzollern avaient un si bel avenir. Prusse et Brandebourg, ni l'une ni l'autre de ces provinces n'a de configuration propre, de limites inscrites par la nature. Rien n'indique, comme pour d'autres pays, qu'il y ait là place pour un Etat, moins encore pour une nation. Le royaume des Hohenzollern aurait pu être taillé un peu plus au nord ou un peu plus au sud. Ses destinées eussent été pareilles et pareille aussi l'oeuvre à exécuter par cette dynastie. Tout était à faire dans ces pays neufs, que la nature a peu favorisés et qui sont arrivés tard à la civilisation. Tout y fut créé en effet de la main des hommes : même la population, composée de réfugiés venus de toutes parts et qui évincèrent peu à peu les premiers habitants, d'origine slave ; la Prusse, c'est Borussia, « presque Russie ». Elle a été traitée par ses maîtres comme une colonie, dans le sens exact du mot, une colonie qui a vécu et grandi par le labeur d'une dynastie.

Droysen, dans l'introduction de son Histoire de la politique prussienne, observe que l'Etat brandebourgeois-prussien ne s'appuie par aucune nécessité naturelle ni sur le territoire qu'il embrasse ni sur la communauté des millions d'êtres qu'il a fini par rassembler. Cet Etat a toujours été un « royaume de lisières », comme Voltaire le définissait. Et pourtant, ainsi que le remarque encore Droysen, l'histoire de Prusse « montre dans sa croissance une continuité, dans son orientation une fixité et un caractère historique tels qu'on ne les trouve à ce degré que dans les Etats les mieux constitués, les plus riches de vie naturelle ». Cette continuité, cette fixité sont le fruit d'un labeur héréditaire : les Hohenzollern ont imité les Capétiens, créateurs de l'unité française, et les tsars « rassembleurs de la terre russe ». Mais leur oeuvre, dès l'origine, a quelque chose de forcé, d'artificiel, qui se retrouve amplifié, poussé aux proportions du monstrueux, dans l'Empire allemand d'aujourd'hui. « L'union entre le pays et la dynastie, dit encore Droysen, ne résulta ni de l'hérédité, ni de l'élection, ni de la conquête, ni d'un mouvement de défense et de salut à la suite d'une révolution : cette union de la Prusse et de la dynastie fut accomplie en exécution d'une pensée politique. » En effet, la Prusse et la grandeur prussienne ont été engendrées par la pensée politique d'une dynastie. L'histoire de la Prusse s'identifie avec celle des Hohenzollern. Et c'est l'histoire d'une famille qui a persévéré dans le même effort, qui a administré ses Etats comme son propre patrimoine. Les Hohenzollern se sont comportés dans les moindres détails comme ces paysans qui font valoir leur bien, qui l'ar-rondissent, qui s'enrichissent et s'élèvent à force de prévoyance et d'économie. Avant de penser à la mission allemande de la Prusse et d'aspirer à 1'Empire, les Hohenzollern ont surveillé en bons pères de famille, en soigneux et modestes propriétaires, l'exploitation et le défrichement du pays. Avant de devenir électeurs, ducs, rois en Prusse, empereurs en Allemagne, ils ont gravi les premiers degrés de la fortune par la pratique de l'économie paysanne et la thésaurisation.

Leurs débuts ne s'enfoncent pas dans la nuit des temps. Ils remontent à une époque relativement récente (XVe siècle). Ils ont été dégagés de toute légende, et ce qu'on en voit montre que la croyance commune quant à l'origine des monarchies s'égare singulièrement. Ce n'est, en effet, ni par l'illustration de la naissance, ni par l'épée, ni même par l'esprit d'entreprise que les Hohenzollern ont réussi. Ils font mentir le vers célèbre : « Le premier qui fut roi fut un soldat heureux. » Le fondateur de leur maison ne fut pas même un spéculateur heureux : ce fut un petit fonctionnaire de Nuremberg qui avait la passion d'amasser et qui plaçait bien son argent. Mirabeau, dans son livre de la Monarchie prussienne, a été frappé de cette circonstance : « Frédéric de Hohenzollern, a-t-il écrit, avait le bon esprit qui s'est perpétué dans sa maison de tenir de l'argent en réserve. » C'est par ces moyens, si réalistes qu'ils en sont terre à terre, mais appliqués à une matière sans cesse accrue et dans des proportions toujours plus vastes, que les Hohenzollern en sont venus à organiser toute l'Allemagne comme une seule entreprise, comprenant une caserne et une ferme d'abord, une usine ensuite. Celui qui, le premier de sa race, prit le titre de roi, profitait des réserves en soldats et en florins accumulées par le Grand Electeur, comme Frédéric II devait profiter des économies du roi-sergent.

Si l'électeur de Hanovre inquiétait Louis XIV mourant parce qu'il était roi en Angleterre, l'électeur de Brandebourg lui était suspect parce qu'il s'était fait roi en Prusse. Il avait fallu des circonstances extraordinaires pour que les Hohenzollern pussent s'élever à la dignité royale. Ils n'avaient pas laissé échapper une seule des occasions qui s'étaient présentées. Le Grand Electeur avait commencé par affranchir son duché prussien de la suzeraineté polonaise. Il savait déjà comment traiter la pauvre République de Pologne. Membre du Saint-Empire par le Brandebourg, il était indépendant et maître chez lui en Prusse. Et si, dans le Saint-Empire, nul ne pouvait être roi, cette interdiction n'existait pas pour la Prusse, extérieure à l'Empire. Frédéric s'y couronna lui-même à Koenigsberg le 18 janvier 1701 : grande date de l'histoire prussienne. Comme devait l'écrire plus tard son petit-fils dans les Mémoires de Brandebourg ! « C'était une amorce que Frédéric jetait à toute sa postérité et par laquelle il semblait lui dire : Je vous ai acquis un titre, rendez-vous-en digne ; j'ai jeté les fondements de votre grandeur ; c'est à vous d'achever l'ouvrage. » À partir de ce moment, selon le mot de Stuart Mill, l'Allemagne devenait une « possibilité permanente d'annexion pour la Prusse ». Au cent soixante-dizième anniversaire du couronnement de Kœnigsberg, le 18 janvier 1871, un Hohenzollern devait être, en effet, proclamé Empereur allemand à Versailles, dans le propre palais des rois de France..."

Illustration : couverture du livre de Henry Bogdan, consacré aux Hohenzollern : "...L'histoire des Hohenzollern se confond avec celle de la Prusse. Après une lente ascension au cours du Moyen Age, cette modeste famille de propriétaires terriens fait l'acquisition du duché de Prusse au début du XVIIème siècle. Les règnes du Grand Electeur, de son petit-fils Frédéric-Guillaume 1er et de son arrière-petit-fils, Frédéric II, le font entrer dans l'ère moderne. A la mort de ce dernier en 1786, il ne restera plus à la Prusse qu'à s'affirmer comme une puissance européenne majeure. C'est chose faite avec Guillaume 1er, qui défait l'Autriche puis la France pour fonder le Deuxième Reich. Le nouvel Empire atteint son apogée avec Guillaume II, avant de disparaître en 1918..."