15 octobre 1931 : parution du Napoléon (II/III)
"....Mais son Napoléon devait pleinement montrer ses dons d'historien, un Napoléon très différent de celui des grands historiens de l'Empire, Sorel, Vandal, Houssaye et aujourd'hui Louis Madelin, dans ce sens que l'historien ne prend les faits que pour reconstituer le cerveau. Avec une extraordinaire lucidité politique, Jacques Bainville montre, à travers toute le vie de Napoléon, un enchaînement fatal à l'obligation néfaste créée par la Convention, qui avait fait main basse à la fois sur le Rhin et sur la Belgique.
L'Empereur est condamné à la victoire perpétuelle. Il cherche sans cesse la paix avec l'Angleterre, la défaite ne peut être pour lui que le désastre et toujours il aperçoit cette précarité, non seulement de ses victoires mais de son commandement, de son Empire, de sa dynastie.
Il n'a pas un instant de repos, il ignore le bonheur, sauf celui qui résulte de l'emploi intense de ses facultés. Il s'agite dans l'incertain et son génie incomparable ne peut lui procurer cette stabilité qui est devenue son but et qui toujours lui échappera.
Rien que par l'exposé de ce drame intellectuel, de ce drame intérieur qui recouvre l'immense épopée impériale, cet historien de Napoléon atteint le pathétique. Il ne diminue pas son héros. Au contraire, peut-être lui accorde-t-il, avec une vue exacte des choses qui rarement lui avait été octroyée avec tant de preuves, une faculté de dédoublement, une hauteur philosophique que d'autres historiens n'avaient pas aperçues, trompés par des gestes impulsifs et des contradictions venues de l'examen des faits et non de la nature même de l'esprit. Il le grandit presque, pour le mieux montrer voué au naufrage et le sachant.
Le destin est plus fort que l'homme le plus fort. Il traquera Napoléon jusqu'au départ pour Sainte-Hélène.
Mais, à Sainte-Hélène, Napoléon, à son tour, l'abattra. Sainte-Hélène, c'est la revanche de l'esprit, c'est la légende créée par la poésie du malheur....."
(Henry Bordeaux, de l'Académie française).