La fin sans gloire du premier Cartel des Gauches..
Après la Guerre, la République tira officiellement un grand avantage moral de la victoire : le Pays légal oubliait alors que le gouvernement de la République avait du s'effacer, d'abord devant la "dictature" de Joffre, puis devant celle de Clémenceau.
Dans l'euphorie de la Victoire, ce fut la Chambre bleue horizon qui fut élue, faisant espérer, ou croire, qu'avec une "bonne Chambre", l'on allait enfin jouir de la "bonne république" : Barrès faisait voter la loi instituant la Fête nationale de Jeanne d'Arc...
Léon Daudet fut même élu à la Chambre (de 1919 à 1924), et donna toutes satisfaction, tant à ses électeurs qu'au personnel de la Chambre lui-même : il partait pour être réeéu. Mais c'était compter sans les tripatouillages du Pays légal : "on" décida tout simplement d'augmenter, à Paris, le quotient nécessaire pour être élu ! Daudet raconte, dans son livre "Député de Paris", comment un député de gauche, Antériou, tout content de la "manoeuvre", allait répétant partout : "Il faudrait à Daudet le triple du quotient pour être élu !..."
Et, de fait, Daudet - député du XVIème arrondissement de Paris - ne fut pas réélu, pas plus que la Chambre Bleu horizon, vaincue par le Cartel des Gauches, c'est-à-dire les "vrais républicains".
Deux des temps forts de l'action de cette Chambre furent la reprise de la guerre contre l'Eglise catholique, interrompue par l'Union sacrée, et l'occupation de la Rhur par Poincaré, soutenu par l'Action française....
Bainville, dans sa "Troisième république", a brossé un vivant tableau de la fin du Cartel :
"...Il fut facile à la majorité nouvelle de tenir sa principale promesse et d'évacuer la Rhur sous prétexte de réconcilier la France et l'Allemagne. Là, si les conséquences devaient être pénibles, elles ne devaient se faire sentir que plus tard. Sept ou huit ans passeraient encore avant qu'on ne s'aperçut qu'on n'avait que trop aidé au relèvement de l'Allemagne. Dans un autre domaine, c'est d'un pied plus rapide que les sanctions allaient venir.
...Cent-vingt-cinq ans d'une confiance dans la solidité du franc égale à la confiance des hommes dans la régularité du soleil avaient longtemps caché la dégradation de la monnaie. Peu à peu le mal était devenu sensible et l'on commençait à en comprendre les causes. On avait dépensé sans compter. La conduite des dépenses publiques devenait périlleuse, la moindre imprudence pouvait être fatale. Le Cartel menaçait l'argent et l'argent prit peur. Le socialisme effrayait l'épargne qui répondit par la fuite. Il fallut en faire beaucoup pour ébranler la foi des Français dans la signature de la Banque de France. En deux ans, cette religion séculaire s'évanouit. Au mois de juillet 1926 on eut le spectacle extraordinaire d'un ministre des Finances révélant à la tribune que le Trésor public n'avait plus de quoi subvenir aux dépenses de la journée suivante et que l'unique ressource résidait dans l'artifice d'une nouvelle fabrication de papier monnaie. Ce jour-là, un franc d'autrefois ne valait plus que dix centimes et menaçait de tomber encore plus bas. La panique fut partout.
La révolte n'était pas loin. Tout s'en allait avec les rentes, les économies, le pain des vieux jours, ce que le pays de l'épargne et de la propriété avait cru indestructible au point qu'il ne lui avait pas semblé dangereux de frôler le socialisme. Maintenant, devant l'abîme entr'ouvert, les esprits changeaient et il n'était plus de Cartel qui tînt. Comme aux mauvais jours, tandis que les ministres haletants disaient leurs alarmes, une foule irritée commençait à se rassembler devant la Chambre. On entendait les premiers grondements..."
(La Troisième République, Les Grandes Etudes Historiques, Fayard 1935, page 305).