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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

Pourquoi cet attrait pour l'Allemagne ?

Pourquoi cet attrait pour l'Allemagne ?

Illustration : le Deuxième Reich allemand, après sa victoire sur la France en 1870...

(Le souvenir de Jacques Bainville, Plon, 1936 - Jacques Bainville et l'Allemagne, par Pierre Lafue, pages 89 à 95) :

"Dès le début, l'Allemagne fut au centre des préoccupations de Jacques Bainville. Il se promit de la connaître et il tint parole....
...Jeune historien qu'exaltait le passé de son pays, il avait été frappé par la persistance de cette sourde menace, dont au cours des siècles il avait toujours senti l'ombre passer sur la France. Et il était parvenu à cette certitude que "lorsqu'on étudie les rapports de la France avec le reste de l'Europe, on s'aperçoit que la plus grande tâche du peuple français lui a été imposée par le voisinage du peuple germanique."
Dès lors, son parti était pris. Puisque notre vie nationale "ne cesse pas d'être affectée par ce qui se passe chez les Germains et presque dans les mysères de leur sang", il importait essentiellement de connaître ces Germains avec leurs diversités et leurs bizarreries. Cette étude pouvait bien n'être pas un plaisir. Elle devenait, au premier chef, un "service public", auquel il était indispensable qu'un certain nombre de jeunes français dévouassent leur existence...
...Il avait voulu, afin d'interpréter plus correctement cette histoire, connaître aussi l'homme allemand, son art, sa littérature, sa philosophie, et jusqu'à sa musique, dont il avait si bien vu qu'avec Wagner, elle était devenue un instrument d'exaltation nationale. En méditant sur le cas de Louis II de Bavière, qu'on a pu appeler en un sens le plus allemand de tous les allemands, il avait reconnu tout ce qu'il y a de démesuré, de monstrueux, de morbide et de théâtral, dans l'âme germanique. Dans cette terre légendaire des elfes et des kobolds, il avait distingué la terre par excellence du romantisme et de cette espèce de romantisme que Goethe a nommé précisément une maladie. Les contradictions qui déroutent si souvent les Français, il avait su en trouver la clef. Si l'Allemand éternel est à la fois idéaliste et réaliste, amoureux de son foyer et tourmenté par de grands désirs d'évasion, s'il oscille entre la cruauté et la bonhommie, entre l'anarchisme et le goût de la discipline, entre l'apaisement facile et l'inassouvissement absolu, bref entre Faust et Méphisto, si par conséquent le nombre des choix possibles est plus grand outre-Rhin qu'ailleurs, c'est que les antinomies s'y résolvent souvent en identités, c'est qu'un mot, au dire de Nietzsche, y appelle invinciblement son contraire, c'est que la personnalité n'y est pas d'un dessin défintif, mais plastique comme la vie.
Si Bainville s'est attardé à résoudre ces énigmes, c'est que de leur solutiuon dépendait en grande partie l'attitude que la France se devait d'adopter en face du sphinx germanique.
Son étude de l'Allemagne n'était pas pour lui un jeu de l'esprit. Elle était une préface nécessaire à sa politque allemande. Que l'histoire ait une vertu politique nul ne l'a jamais cru autant que lui. Le propre de sa pensée, ce fut de passser, avec une souplesse et une exactitude admirables, des connaissances historiques et psychologiques aux conséquences politiques qu'elles impliquent, ou plutôt, qu'elles devraient naturellement impliquer. S'il avait étudié, avec tant de précision et par le détail, "les créations de l'esprit allemand autant que les agitations de la vie publique dans le Reich", c'est, avant tout, parce qu'il lui importait de savoir comment on peut manier cette masse aux réactions bizarres mais néanmoins prévisibles, c'est, avant tout, parce qu'il s'était demandé, si, étant donné les constantes spirituelles et morales de la réalité germanique, la France pourrait encore, "selon les règles immuables de son ancienne politique, déterminer l'évolution allemande".....
.....Le trésor de Bainville était à la disposition de nos hommes d'Etat responsables. S'ils l'avaient consulté, ils auraient su que si, tous les quarante-quatre ans, le Reich se rue sur la France, la fatalité n'est pour rien dans ce désastre périodique, pas plus que l'inocuité du peuple allemand, durant trois siècles, n'a été le produit d'une sorte de miracle. Ils auraient compris que l'inquiétude d'aujourd'hui, tout comme la tranquillité d'autrefois, ne s'expliquent que par des raisons d'ordre politique.
C'est sous les premiers Capétiens, en effet, que le problème de l'Est s'est posé à nous pour la première fois. Si, pendant longtemps, il fut résolu à notre avantage, c'est que la monarchie française n'a jamais cessé d'intervenir dans les affaires allemandes : dès le début, en nouant alliance avec l'Eglise de Rome, de sorte que Bouvines fut tout ensemble une victoire du pape et du roi de France; plus tard, en exploitant les tendances naturelles des races teutoniques à l'anarchie et au particularisme, et en empêchant ainsi, à nos frontières, la formation d'une grande nation; en allant jusqu'à favoriser outre-Rhin le régime parlementaire et les "libertés germaniques", afin d'éviter l'avènement d'une monarchie héréditaire qui eût accompli l'unité du pays.
A écouter Bainville nos diplomates de 1918 auraient d'ailleurs appris autre chose de non moins utile, à savoir qu'un jour cette politique expérimentale cessa d'être pratiquée, que, de ce jour seulement, le peuple voisin a commencé à devenir dangereux pour nous et qu'après avoir, durant tant d'années, créé la faiblesse de l'Allemagne, la France s'est mise à créer sa force. Dès le dix-huitième siècle, en effet, c'est Mably qui a lancé le principe des nationalités où nos futurs désastres se trouvaient en germe. Puis, c'est la Révolution qui voulut revenir à la lutte contre la Maison d'Autriche et qui refusa de voir que le renversement des alliances avait été imposé par les circonstances nouvelles et par la connaissance véritable que nos rois avaient du milieu germanique.
Puis ce fut l'idéologie, la passion et le sentiment qui s'introduisirent dans le domaine politique. En définitive, ces ont les Français qui ont fourni au germanisme les doctrines qu'il ne possédait pas. C'est Rousseau qui a révélé à Herder que ce qu'il y a de précieux et de sacré chez tous les peuples, c'est l'âme de la race, et que, plus un peuple est jeune et neuf, meilleur il est ! Belles merveilles qui grisèrent tout aussitôt les têtes allemandes..."