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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

Bainville, le sage de la Finance (I/II)...

Bainville, le sage de la Finance (I/II)...

(Le souvenir de Jacques Bainville, Plon, 1936 - Bainville, le sage de la Finance, par Marcel Cheminade, pages 35 à 41).

"Au lendemain immédiat de la guerre, Bainville publiait un petit ouvrage, devenu aujourd'hui introuvable : Comment gérer sa fortune, ouvrage auquel, s'il devait paraître aujourd'hui, il n'y aurait que d'insignifiantes retouches de détails à apporter. D'une admirable clairvoyance, comme tout ce qu'il écrivait, il reste encore foncièrement vrai, alors que, depuis seize ans, la structure économique du monde a subi des bouleversements fantastiques, et que tous les livres de la même espèce, dus à la plume des spécialistes les plus réputés , sont déjà périmés, complètement dépassés par les évènements.
Peu après la mise en vente du livre, il m'advint de rencontrer un financier célèbre, manière d'oracle international, dont le gouvernement devait souvent solliciter les lumières pour l'étude ou le règlement des grands problèmes financiers, tant intérieurs qu'extérieurs. "Avez-vous lu le livre de Bainville ? me demanda-t-il. Je sais que vous professez une vive admiration pour l'auteur. Sans doute est-ce un brillant écrivain politique, un historien attachent, ingénieux, mettons même considérable, mais on devrait lui conseiller charitablement de ne pas s'occuper d'économie politique ou de finance. Il n'y entend rien. D'ailleurs on ne peut pas tout savoir, être universel," ajouta-t-il d'un grand air de supériorité. "Les questions de finance moderne exigeant une pratique constante, approfondie, sont devenues d'une technique extrêmement délicate. Les critères sur lesquels on se fondait jusqu'ici ont perdu toute réalité. Aussi les conseils que Bainville donne pour la constitution d'un portefeuille n'ont-ils plus aucune valeur. Ils s'appliquent à des temsp révolus, définitivement révolus. Bainville ne semble même pas soupçonner que nous sommes déjà entrés dans une ère nouvelle, que les modes de capitalisation et d'épargne ont changé, qu'à l'époque des trusts, des holdings, des grandes concentrations verticales et horizontales, on ne peut plus gérer sa fortune comme autrefois." Et de m'expliquer les beautés des monnaies scripturales, des miracles du crédit, le fonctionnement des compensations internationales, et des super-banques, des trustees, toutes choses qui, à l'entendre, excluaient désormais les traditionnelles opérations de placement pratiquées par nos pères. Acheter un lopin de terre, quand, pour la même somme d'argent, on pouvait acquérir un titre de "fixed trust" qui ne prenait des participations que dans des entreprises ayant au moins un capital d'un million de livres, semblait le comble du ridicule, de l'incompréhension et de la stupidité.
Par la suite, ce grand financier devait recommander l'octroi de larges crédits à l'Allemagne pour lui permettre de payer les réparations : il devait, dès la Conférence internationale de Gênes, condamner l'étalon-or et prôner l'étalon de change-or, de fâcheuse mémoire, et se montrer un admirateur enthousiaste de l'expansion de crédits qui allaient conduire les Etats-Unis au Krach de 1929, croire aux monnaies polyvalentes, à l'efficacité du Farm Board et autres organismes du même acabit, acclamer le plan Young et le plan Dawes et qualifier le papier émis en vertu de ces accords de plus belle valeur du monde. Il fut de ceux qui démontrèrent l'insuffisance de la production aurifère et annoncèrent la saisie de l'or. La création de la Banque des Règlements internationaux lui donna une autre occasion de délirer. N'avait-on pas enfin constitué la banque centrale des Banques centrales, régularisé les fluctuations des changes, forgé l'instrument décisif du Crédit international ? C'était bien une nouvelle phase de l'Histoire qui allait commencer. Aujourd'hui notre homme est un partisan ardent de l'économie dirigée, grand promoteur de plans quinquennauw et décennaux, et la dévaluation ne connaît pas de plus chaud panégyriste. Evidemment Bainville, qui ne croyait pas à toutes ces sornettes, n'était à côté de lui qu'un bien petit esprit.
Cette révolution économique, qu'on l'accusait de ne pas comprendre ou de ne pas voir, Bainville avait été l'un des tout premiers à en proclamer l'avènement. Bien mieux, il n'hésitait pas à proclamer que l'avènement de cette révolution économique devait fatalement entraîner une révolution sociale, à forme silencieuse, ou explosive. Mais, avec cette extraordinaire lucidité qui ne le quittait jamais, il discernait que les prétendus bâtisseurs n'étaient que des démolisseurs, que les pseudo-innovations, perfectionnements et remèdes, auxquels le monde applaudissait, n'étaient que les suprêmes et délirantes efflorescences d'un tronc pourri, quelque chose comme les derniers spasmes d'un organisme épuisé. On ne s'acheminait pas vers un nouveau statut monétaire, on achevait de corrompre la circulation monétaire, on en venait à considérer comme une victoire la généralisation de la fausse monnaie. On ne transformait pas, on ne développait pas, on n'améliorait pas le sytème de crédit, on minait jusqu'à l'effondrement celui qui avait été établi. Les règlements internationaux s'arrêtaient dans le temps même où l'on fondait une banque pour les diriger et les amplifier. Les programmes de "planification" aboutissaient à d'étroites autarchies : l'internationalisme, aussi bien économique et financier que politique, sombrait dans un nationalisme de clocher. On courait au-devant de catastrophes financières qui faisaient que l'orgueilleux "fixed trust", avec un portefeuille uniquement bourré de titres appartenant à de colossales entreprises milliardaires, devenait la spéculation la plus aléatoire, n'avait même pas la valeur d'un billet de loterie, et qu'un bout de terre, une modeste ferme représentaient le seul bien réel, le seul placement solide.
Ainsi qu'en témoignent de nombreux écrits, Bainville avait, dans ses grandes lignes, prévu de longue date cette évolution. Il ne s'occupait guère des phénomènes quotidiens, pareils à des vents qui viennent agiter la surface des mers et sur lesquels tant de ses contemporains, même parmi les plus pénétrants, s'hypnotisaient. Au delà des remous accidentels, il cherchait immédiatement à dégager les lois permanentes. Quand tous les docteurs ès finances ne juraient plus que par les valeurs mobilières, il en soulignait les risques de disparition totale, et il écrivait avec tranquillité :
"La propriété rurale prend aujourd'hui sa revanche. Nous sommes d'avis que, dans notre siècle comme dans toutes les époques agitées, il n'y a pas de fortune solide sans assise terrienne."
Aux annonciateurs du socialisme, et en présence de l'engouement dont bénéficiaient les théories communistes dans toutes les classes de la société, il répondait :
"Assurément la propriété sera éternelle. Depuis que les hommes vivent en société, elle a survécu à tous les bouleversements, et elle survivra encore à celui-ci. Le capital lui-même se reconstituera toujours."
Pour lui, le progressif retour des Soviets à l'orthodoxie monétaire et à la fortune passée n'aura pas été une surprise.
Tous ces mirages, toutes ces doctrines fallacieuses, tous ces nouveaux dogmes qui hallucinaeint et enfiévraient si fort autour de lui économistes, sociologues, banquiers, industriels et commerçants, ne troublaient pas son cerveau le moins du monde. On décrétait la primauté de l'économique, on prêchait l'économie dirigée, et Bainville demandait : "Dirigée par qui ?" On organisait l'inflation contrôlée; il interrogeait : "Comment ?" Et les zélateurs du nouveau culte ne savaient que répondre. Il y avait des années que Bainville démontrait que les dirigeants du Reich conduisaient délibérément leur monnaie vers zéro, et de grands banquiers comme Emile Glüchstadt, le Crésus du Danemark, l'illustre expert international, orientaient toute leur clientèle à la hausse du mark. D'autres financiers expliquaient pourquoi, avec le plan Young et le plan Dawes, les Allemands ne pouvaient plus manquer à leurs engagements, et quand ils vantaient l'excellence des titres Dawes, Bainville déconseillait vigoureusement l'achat de ce mauvais papier. De célèbres économistes, un Irving Fisher, un professeur Cassel, un John Maynard Keynes inventaient de nouvelles monnaies, un dollar-marchandises, une devise Europa, taxaient le métal jaune d'idole barbare. Sir Henri Deterding réclamait le commerce sans or plutôt que l'or sans commerce. De grands industriels niaient les possibilités de saturation des marchés, calculaient combien il restait encore d'individus à pourvoir de chaussures, établissaient par des graphiques dans quel délai chaque famille posséderait une automobile et dans quel autre elle en aurait deux, puis trois. Que sont devenues les créations et les prophéties de toutes ces sommités ? Qui parle encore des billevesées d'un Harry B. Kessler ou d'un Tugwell ? Qui songe encore à exhumer les rapports dans lesquels sont consignées les péremptoires affirmations de la Délégation de l'or du Comité financier de la Société des Nations ?....

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