La 2ème DB : de Douala à Berchtesgaden (I/II)...
(Source : Général Philippe DUPLAY, La 2ème DB - de Douala à Berchtesgaden, Espoir n°107, 1996).
12 juillet 1940. Le capitaine de cavalerie Philippe de Hauteclocque, 38 ans, déjà deux fois évadé des mains allemandes, portant encore les traces d'une blessure à la tête reçue au combat, passe en Espagne. Son patriotisme, son honneur, la conception qu'il a de son métier font devoir à ce père de six jeunes enfants de rejoindre celui qui, de Londres, a lancé l'appel à poursuivre la lutte. Devant lui, c'est l'inconnu, l'aventure : il n'a jamais rencontré de Gaulle ; il n'a jamais enfreint les ordres ; la France n'a jamais été si près de sombrer. Les mains vides, seul, il n'a pour lui que sa volonté, son courage et sa valeur professionnelle, éclairés par une foi intense : foi en Dieu, foi en son pays, foi dans les hommes, foi en lui-même.
Un mois plus tard, le 25 août, par une nuit d'encre, sous des trombes d'eau, devenu colonel Leclerc, il arrive en pirogue, avec une poignée d'hommes, à Douala, au Cameroun, en Afrique. Trempé mais vibrant de volonté, parlant au nom du général de Gaulle, il subjugue les Français qu'il rencontre, au premier rang desquels le capitaine Dio qui l'appuie de sa troupe et le ne quittera plus. En quelques journées, la colonie est retournée : un territoire français redresse la tête, refuse la défaite et se remet au travail... pour vaincre cette fois.
Après quelques semaines au cours desquelles l'Afrique française libre s'organise, réunissant le Gabon au Congo, à l'Oubangui, au Tchad et au Cameroun, Leclerc reçoit du général de Gaulle une nouvelle mission : prendre la tête des moyens militaires disponibles au Tchad et faire rentrer, avec eux, l'armée française dans la guerre.
Alors commence l'épopée. Arrivé à Fort-Lamy le 2 décembre 1940, Leclerc parle dès le 3 d'aller attaquer Koufra, redoutable forteresse italienne perdue dans les sables, à quelque 2 000 kilomètres ! Et pour commencer, afin de bien montrer que l'heure est au combat, il saisit l'occasion qui s'offre de joindre quelques Français à un raid que les Britanniques organisent, au nord du Tibesti, contre des postes du Fezzan. Un accrochage se produit à Mourzouk le 11 janvier 1941 : le lieutenant-colonel Colonna d'Ornano, qui avait joué un rôle important dans le ralliement du Tchad à la France libre, est frappé à mort. Cette affaire, ce premier sacrifice prennent figure de symbole : par la radio de Londres, les Français découvrent avec joie que leur armée d'Afrique a repris le combat.
Au Tchad aussi les visages s'éclairent, mais les spécialistes hochent quand même la tête lorsque, le 25 janvier, les premiers éléments d'une colonne s'éloignent vers le nord-est, vers Koufra qui hante Leclerc. En tout, le Colonel n'emmène que deux cent cinquante hommes sur cent mauvais camions et il ne dispose que d'un canon.
Les débuts sont de fait fort difficiles : le climat, le terrain, l'absence de pistes, l'ennemi bien équipé offrent de gros obstacles. Malgré l'échec sanglant, le 30 janvier, de la patrouille britannique qui précédait la colonne, Leclerc maintient ses ordres : le 7 février, avec un élément léger, il va lui-même « tâter » la forteresse ; les 18 et 19, il livre à la Compagnie saharienne mobile italienne qui bat l'estrade sous les remparts un combat décisif et, aussitôt, il met le siège devant la citadelle. Dix jours plus tard, le 1er mars 1941, contre toute attente et contre toute logique, grâce à la fougue, à l'imagination et au talent des hommes et du chef, la garnison ennemie capitule.
C'est le premier succès des armes de la France depuis l'été 1940. Sans attendre, le colonel Leclerc engage l'avenir : Ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. C'est le serment de Koufra, serment que tous ceux qui, désormais, se joindront à Leclerc se sentiront tenus d'accomplir.
Un an s'écoule ensuite, consacré à préparer l'opération qui permettra d'aller rejoindre les Britanniques au bord de la Méditerranée, au bout de 2 200 kilomètres de désert, vers le nord cette fois. Ces mois, bien que fort occupés à ouvrir des pistes, à implanter des dépôts avancés, à recueillir des renseignements, paraissent soudain bien longs lorsque, au début de 1942, l'offensive britannique s'arrête et que les forces allemandes de Rommel contre-attaquent en direction du Caire. Le coup est rude ; autant pour sauver le moral de ses hommes que pour apporter aux Alliés le maximum de secours, Leclerc change ses plans en quelques jours : au lieu de tenter d'aller jusqu'à Tripoli, il va se borner à attaquer les postes italiens du Fezzan par une sorte d'opération commando.
Avant de donner le départ, il se décide à porter les étoiles de général que de Gaulle lui a données six mois plus tôt ; et, en quelques jours, ses unités, pourtant toujours maigrement équipées de camions — les « caisses à savon », ainsi que les surnomment les combattants eux-mêmes —, s'emparent de trois drapeaux, ravagent quatre garnisons ennemies, détruisent trois avions, incendient plusieurs dépôts et ramènent de nombreux prisonniers. Le succès de ces raids, annoncé par la radio de Londres, soutient le moral des Français de métropole à l'heure où partout, les Alliés connaissent de dures épreuves.
Puis, du côté britannique, la situation s'améliore et, dès l'automne 1942, il apparaît que la grande opération vers la mer va devenir possible. Entre-temps, les moyens se sont un peu étoffés : des hommes sont arrivés, venus du monde entier, anxieux de se joindre à ce jeune chef qui sait se battre et gagner ; des armements aussi, fournis par la France libre. Et c'est avec trois mille hommes cette fois, montés sur trois cent cinquante véhicules, non blindés certes mais corrects, appuyés de seize avions, que la colonne Leclerc s'élance vers le nord, peu avant Noël, au départ du Tibesti. Tous les postes italiens du Fezzan tombent les uns après les autres : Umm et Araneb le 4 janvier 1943, Gatroun et Brack le 6, Mourzouk le 8, Sebha (le chef-lieu) le 12, Midza le 22 ; le 24, nos avant-gardes rencontrent, dans Tripoli, celles de la VIIIe Armée de Montgomery : la mer est atteinte, cette Méditerranée qui borde aussi la France !
Commence alors la poursuite de l'ennemi — l'Allemand, cette fois — qui reflue vers la Tunisie. Rapidement recomplétée en hommes, véhicules et équipements de toutes sortes, — Montgomery donnera même à Leclerc un battle-dress dont il avait le plus urgent besoin —, renforcée de quelques-unes des unités françaises qui, depuis l'Egypte, avaient, de leur côté, combattu avec les Britanniques, la colonne Leclerc devient la force L. Elle flanc-garde à l'ouest les gros de la VIIIe Armée, s'illustre en arrêtant le 10 mars, à Ksar Rhilane, une contre-attaque de Panzers, entre la première à Gabès le 29 mars et, le 20 mai, elle participe au défilé de la victoire dans Tunis libéré. Dans cette campagne, son rôle ne fut pas mince ; le général Montgomery, présentant Leclerc au roi George VI, put lui dire : Sire, voici le général Leclerc ; sans lui, je n'aurais pas pris la ligne Mareth.
Dès lors, il apparaît que la prochaine étape sera le continent, peut-être la France, ce que tout le monde espère. Mais, pour atteindre ce rêve, il va falloir que la maigre colonne sortie du désert se multiplie, s'équipe, s'instruise en vue des combats de tout autre dimension qu'elle espère. Et c'est, de l'été 1943 à l'été 1944, une nouvelle bataille que va livrer le général Leclerc : La constitution de la 2e DB fut ma plus belle victoire dira-t-il plus tard. De fait, dans l'ambiance de l'Afrique du Nord de l'époque, il n'était pas facile de rassembler, dans une même unité, des hommes que beaucoup d'événements des mois passés avaient profondément divisés. Il n'était pas facile non plus de transformer l'équipement et l'instruction des petites cohortes, armées à la diable de pièces et de morceaux, pour en constituer des régiments soudés, richement outillés du puissant matériel blindé que les Américains mettaient alors à la disposition de la France.
Cet amalgame, cette transformation, c'est au Maroc d'abord, près de Rabat, dans la forêt de Temara, puis, à partir de Pâques 1944, en Angleterre, dans de nombreux villages du Yorkshire, qu'ils s'accomplirent, vite, efficacement, au prix d'un travail acharné, sans pour autant que ni l'âme ni la foi qui avaient permis les succès antérieurs soient le moins du monde altérés.
Autour des vétérans d'origines déjà fort diverses - marsouins du Tchad, spahis d'Egypte, compagnies de chars reconstituées en Angleterre - se réunirent ainsi des régiments entiers d'Afrique du Nord demeurés jusque-là l'arme au pied, une unité de fusiliers-marins et une nuée de volontaires venus, seuls ou groupés, de tous les points du monde avec l'intense désir de se battre : jeunes gens et cadres de métropole, réchappés des prisons espagnoles ; corps-francs d'Afrique ; jeunes femmes arrivant des Etats-Unis avec leurs ambulances ; anciens guérilleros républicains espagnols, etc.
Si beaucoup de choses pouvaient les séparer, ils avaient en commun d'être volontaires, d'aimer profondément la France, d'être jeunes et d'avoir de fiers caractères ! Pour rassembler ces volontés impatientes, il en fallait une des plus fortes : ce fut celle de Leclerc. Autant par sa poigne que par la séduction de son ardeur et de sa compétence, il fit, en moins d'un an, de la 2e Division blindée une force de près de vingt mille hommes disciplinés, rompus au maniement de leurs armes, s'estimant les uns les autres et prêts aux plus durs combats.
Vint le jour du débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944. La 2e DB était alors en Yorkshire, piaffant d'impatience, mais sûre que, bientôt, elle débarquerait en France avec, bien sûr, Strasbourg comme point de mire. Mise à la disposition de la IIIème Armée américaine du général George S. Patton — quel plus fantastique entraîneur pouvait-elle espérer ? —, la 2e DB franchit la Manche dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944. Débarquant à Utah Beach, au pied du Cotentin, elle est bien vite lancée, par la toute fraîche percée d'Avranches, dans le vaste mouvement qui permet et de couper la retraite aux forces allemandes de Bretagne et de venir frapper sur le flanc sud de celles qui tentent de quitter la Normandie pour gagner la basse Seine. Par Fougères et Château-Gontier, acclamée par une population toute surprise de découvrir des Français sous des combinaisons américaines, la 2e DB atteint Le Mans le 9 août et, dès le matin du 10, elle attaque la 8e Panzer en direction d'Alençon.
Les premiers combats de chars se livrent dans l'enthousiasme sous un ciel éclatant. Malgré de fortes pertes dues à la témérité des nôtres, littéralement enivrés de frapper l'ennemi sur le sol national, la ville est atteinte le 12 août avant l'aurore et, sans désemparer, la Division, poussant vers Argentan qui est son objectif, détruit dans les journées qui suivent, autour et dans la forêt d'Ecouves, ce qui reste de la grande unité ennemie. Ce brillant succès contribue à la libération de tout l'ouest de la France, il est pour tous la preuve que l'outil durement trempé au Maroc et en Angleterre est valable ; mais déjà Leclerc et ses hommes ne pensent plus qu'à Paris, Paris toujours envahi, Paris qui s'est soulevé le 19 août, Paris qu'il faut absolument sauver du désastre auquel, on le sent confusément, Hitler l'a sûrement condamné.
Une fois encore, décuplée par celle qu'il constate chez ses hommes, la volonté de Leclerc l'emporte. Malgré les hésitations, les réticences, les craintes du haut-commandement allié, il arrache l'ordre et, le 23 au matin, la 2e DB quitte Argentan en direction de la capitale. Le soir même, à Rambouillet, dans un brouhaha de veille de fête, Leclerc signe l'ordre d'opérations pour le lendemain : Mission : 1° s'emparer de Paris... De Gaulle, qui l'a rejoint, lui dit simplement : Vous avez de la chance !
Le 24 août, en deux colonnes, la Division s'élance vers Paris. Par la vallée de Chevreuse, Jouy-en-Josas, Clamart, Massy, Wissous, Fresnes, le groupement Billotte fraye leur chemin à coups de canon. Les Allemands, solidement armés, se battent bien ; mais le soir, vers 20 heures, à la Croix-de-Berny, Leclerc sent qu'une occasion se présente : il saisit le capitaine Dronne au passage et il le lance, avec trois chars et trois sections sur half-tracks, vers le coeur de Paris. L'audace est payante : à 21 heures 22, Dronne arrive place de l'Hôtel de Ville, les cloches de la capitale sonnent à toute volée ; les Parisiens frémissent.
Le lendemain 25, c'est le coup de grâce : la 2e DB entre dans la ville, s'empare du gouverneur allemand et réduit au silence tous les centres de résistance. Près d'une centaine des nôtres, souvent des Parisiens d'ailleurs, trouvent la mort dans ces opérations toujours sanglantes ; mais, dans les rues, quelle joie, quel soulagement ! Les groupes de résistance, qui se battaient depuis près de huit jours à un contre dix, soupirent et fêtent ces soldats français providentiels que Paris attendait depuis quatre ans sans trop y croire.
Le 26, la 2e DB se regroupe à l'Etoile, au Rond-Point, à Notre-Dame : elle voit le général de Gaulle descendre à pied les Champs-Elysées sous les acclamations d'une foule en délire. Tandis que la ville est en liesse, que des milliers de jeunes gens se bousculent pour pouvoir se joindre à nos unités et combattre avec elles, une partie de nos moyens se porte vers le nord, Saint-Denis, Montmorency, Gonesse : une division allemande prétend reprendre Paris ! Beaucoup de Parisiens ignoreront les combats qui se livrent alors, les 27 et 28 août, notamment à Pierrefitte et au Bourget ; pourtant, quelques-uns des meilleurs de nos camarades y donneront leur vie pour qu'enfin Paris soit vraiment libéré.
Après dix jours consacrés à remettre en état les quatre mille véhicules, à recompléter les rangs, à prendre un repos et une détente bien mérités aussi, le 8 septembre la Division reprend la route. Pas un homme ne manque au départ : qu'on y songe en pensant à ceux, nombreux, qui, absents depuis deux, trois ou quatre ans, auraient pu estimer pouvoir céder leur place à d'autres... La direction est l'est, bien sûr. La 2e DB retrouve sa place dans le dispositif américain avec le XVe Corps et, dès la Marne franchie, elle aborde l'ennemi, Il faut se battre, sévèrement, à Andelot, puis, entre Meuse et Moselle, à Contrexéville, Vittel, et surtout Dompaire où les sous-groupements Minjonnet et Massu rencontrent une Panzerbrigade toute fraîche, équipée de chars neufs, lancée en contre-attaque. Les combats sont très durs dans la journée du 13 septembre ; mais les efforts conjugués des chars moyens du 12e Chasseurs d'Afrique, des tanks-destroyers du Régiment blindé de fusiliers-marins, des fantassins du Régiment de marche du Tchad, des artilleurs du colonel Crépin et des Thunderbolts de l'aviation alliée infligent aux Allemands des pertes telles — cinquante-neuf chars détruits sur quatre-vingt-dix engagés — qu'ils doivent se replier.
En même temps, plus au nord, le mouvement en avant s'est poursuivi et, dans la matinée du 15, le sous-groupement La Horie franchit la Moselle à Châtel. Nos éléments y subissent une nouvelle contre-attaque, la déjouent de nouveau, s'avancent jusqu'à la Mortagne de Doncières à Moyen, passent la Meurthe de vive force le 22 dans la région de Flin et, finalement, s'arrêtent, sur ordre, dans la forêt de Mondon, au sud de Lunéville. Un répit est nécessaire pour que les Forces alliées se regroupent avant d'aborder les Vosges, pour que les ravitaillements suivent, pour qu'hommes et véhicules se reconstituent après une chevauchée de quinze jours riche en péripéties.
Pendant tout le mois d'octobre, donc, la 2e DB s'immobilise. Si elle cesse d'avancer, elle ne cesse pas de se battre contre un ennemi qui reste actif et qui harcèle nos postes. Nous-mêmes le harcelons afin de mieux le connaître, afin de n'avoir aucune hésitation le jour prochain où nous repartirons vers Strasbourg et sa cathédrale, l'objectif que les anciens de Koufra — dont beaucoup sont encore avec nous — ont juré de rendre à la France.
L'opération commence le 31 octobre par la prise de Baccarat. Minutieusement montée, mettant en oeuvre six sous-groupements dont chaque temps est réglé, l'attaque menée de main de maître réussit au moindre prix : elle sera plus tard comparée à un menuet du Grand Siècle. Puis, derrière le gros du XVe Corps américain qui se heurtent à la ligne de défense que les Allemands ont pu réaliser au pied des Vosges, les escadrons de reconnaissance du 1er Régiment de marche des spahis marocains guettent la première percée : elle se produit les 15 et 16 novembre. Leclerc y engouffre aussitôt ses moyens et, dès lors, la course commence. Au nord, le groupement Dio vise Saverne en franchissant les Vosges, soit par le col de Saverne, soit par la Petite-Pierre. Au sud, le groupement de Langlade, profitant de la chute de Badonviller obtenue le 17 par le sous-groupement du lieutenant-colonel de La Horie — qui y trouve la mort —, passe la crête du Dabo ; le groupement V, du colonel de Guillebon le suivra et, en plaine, tout le monde convergera vers Strasbourg.
Comme une charge, s'accélérant jour après jour, la poussée de la 2e DB s'avère irrésistible : sauf au centre, sur la route de Saverne où, comme on s'y attendait, l'ennemi est le plus fort, les résistances allemandes sont bousculées partout. Les routes sont jonchées de débris, de matériels abandonnés ; les prisonniers ne se comptent plus. Aussi, tandis qu'on se bat encore sur les crêtes du côté de Phalsbourg, les sous-groupements Rouvillois, Massu, Cantarel, Putz et Debray, déjà parvenus en Alsace, se disputent-ils l'honneur, chacun sur son axe, d'arriver le premier à Strasbourg. C'est le lieutenant-colonel Rouvillois, commandant le 12e Régiment de cuirassiers, qui gagne : le 23 novembre, à 16 heures, il atteint le Rhin au pont de Kehl, malheureusement infranchissable. Trois ans et huit mois après Koufra, le serment est ainsi tenu. Retrouvant son vieux compagnon sous les dorures du Kaiserpalast encore soumis aux tirs de l'artillerie allemande, Leclerc peut lui dire : Hein, mon vieux Dio ! On y est, cette fois ! Maintenant, on peut tous crever !
La guerre pourtant n'est pas finie et l'Alsace, pendant plus de deux mois, va demeurer le champ d'action et le souci de la 2e DB. En effet, après la surprise de Strasbourg, le commandement ennemi se ressaisit très vite, envoie des renforts et organise ce qui devient la « poche de Colmar ». L'hiver 1944-1945 est particulièrement rude, nos hommes, nos blindés peinent souvent dans la boue, dans la neige. Entre Noël et le 1er janvier, la contre-offensive allemande des Ardennes oblige le commandement allié à envoyer la 2e DB au nord des Vosges, en Sarre ; pendant ce temps, Strasbourg que nous protégions, se trouve gravement menacé. Lorsque, dans la deuxième quinzaine de janvier, la Division revient en plaine, les belles et riantes bourgades que nous avions libérées en novembre ont été ravagées, défigurées par les durs combats qui viennent de s'y livrer.
Aussi est-ce avec beaucoup de rage que les nôtres, unissant leurs efforts à ceux des unités françaises venant du sud, portent leurs coups aux dernières résistances allemandes qui cernent encore Colmar. De sévères combats se livrent, sous un climat cruel, sur un terrain particulièrement difficile : ils culminent à Grussenheim où, le 28 janvier, s'illustre une fois de plus le 501e Régiment de chars de combat, où tombe aussi le lieutenant-colonel Putz, figure de proue du Régiment de marche du Tchad dont il commandait le 3e Bataillon.
Ces opérations achevées, Colmar libéré, le sol national n'était pourtant pas encore totalement débarrassé de toute présence ennemie. Des garnisons allemandes subsistaient sur nos côtes atlantiques, notamment à La Rochelle et à Royan. Pour les anéantir, le général de Gaulle choisit la 2e DB et, du 15 au 17 avril 1945, donnant la main aux vaillantes unités des Forces françaises de l'Intérieur qui ont tenu ce front depuis l'été 1944, nos chars et notre artillerie se donnent à fond près de l'estuaire de la Gironde.
Il n'est alors que temps de repartir vers l'est pour être présent aux dernières opérations de la guerre en Europe. Poussée une fois de plus par le désir intense de se battre, tirée en avant par un Leclerc plus ardent que jamais, merveilleusement secondé par un état-major et des services qui aplanissent magiquement les difficultés, nos unités traversent en un temps record la France, le Rhin, l'Allemagne de l'Ouest. Les premières colonnes, parties le 23 avril de Royan, franchissent le Danube le 29. Ainsi allons-nous pouvoir jouer notre rôle aux côtés des Alliés ; ainsi, le 4 mai au soir, est-ce l'avant-garde du Groupement V qui pénètre la première dans Berchtesgaden, qui met en fuite les derniers défenseurs de la demeure favorite du Führer, le Berghof. A ce moment, les derniers éléments de la 2e DB n'ont pas encore quitté la France, mais d'un bout à l'autre de la colonne, quelle fierté !