Les voies romaines...
Pragmatiques, les Romains évitaient les difficultés : leur viae ne s’enfonçaient jamais dans les forêts (à cause des embuscades), mais les longeaient à bonne distance ; de même elles contournaient marais et tourbières, trop longs et trop coûteux à combler. Quand il le fallait, ils aménageaient des gués, créaient des ponts (de bois, de pierre, de bateaux). Certains sont toujours là. Parfois, dans les Alpes (pour assurer des liaisons rapides avec l’Italie), ils creusaient des tunnels ou des chaussées au flanc des à-pic.
Mais aussi, et surtout - chose que beaucoup ignorent... - ils n’hésitaient pas à utiliser, dans leurs réseaux, les pistes gauloises, nombreuses et d’assez bonne qualité, comme nous le révèle de plus en plus l’archéologie.
Ce vieux réseau gaulois avait une importance implicitement reconnue par César lui-même dans ses "Commentaires de la guerre des Gaules". Il y vante souvent la rapidité de ses légions à se déplacer pour prendre de vitesse leurs adversaires. La célérité implique de bonnes routes. Comme les aimait l’armée romaine.
La Gaule indépendante possédait donc autour des "capitales" de chacun de ses peuples des réseaux en étoile, parfois imparfaits, mais denses. Roger Agache, le promoteur de l’archéologie aérienne, a repéré en Picardie non seulement des pistes mais aussi des chemins creux gaulois. Un détail confirme l’intégration du réseau primitif au réseau gallo-romain : sur celui-ci, les itinéraires étaient mesurés tantôt à l’aide du mille romain (mille passus, de 1481 mètres), tantôt en lieue gauloise d’ailleurs variable selon les régions (leuga, de 2 200 à 2 400 mètres) que Rome voulut normaliser à 2 222 mètres (1,5 mille romain).
Les grandes routes publiques (viae publicae) portent souvent le nom de celui – empereur, proconsul, gouverneur, censeur... – qui les a fait construire, comme cette via Domitia (la plus ancienne de Gaule), créée par Cneus Domitius Ahenobarbus (littéralement Barbe d’airain, autrement dit Barberousse) qui relie les Alpes (col du Mont-Genèvre) aux Pyrénées.
Ces "autoroutes" de l’Antiquité possédaient de nombreux équipements:
- tous les 5 à 12 milles, un relais (mutatio) où changer de chevaux, et notamment ceux des messagers officiels, véritables "stations-service".
- tous les 30 à 90 kilomètres selon les difficultés du parcours, un gîte d’étape (mansio) comprenant souvent une taverne (taberna) ou un restaurant (caupona), des entrepôts (horrea) où stocker les marchandises.
Ces grandes routes sont toujours réalisées aux frais de l’État, souvent sur la cassette personnelle de l’empereur ou sur le budget des armées (pour les voies stratégiques). Mais à côté des grandes voies publiques existe un réseau secondaire (les viae vicinales, mot latin signifiant "de voisinage") construit et entretenu par les pagi (d’où vient notre mot "pays", dans le sens étroit de pays d’Auge ou de vin de pays), c’est-à-dire les cantons, les districts, comme on dirait aujourd’hui.
Comment, sur ce réseau complexe, le piéton, le cavalier, le roulier (le "routier" d’alors avec son chariot) s’y retrouvaient-ils ?
Outre, bien sûr, les renseignements oraux, le voyageur disposait de divers éléments :
- des hautes bornes, les bornes milliaires, portant entre autres le nom de la voie et des distances ; on en a retrouvé plus de 4000 dans le monde romain, dont 650 en Gaule et en Germanie ;
- des "cartes", telle la fameuse "table de Peutinger", avec ses vignettes type "Guide Michelin", ou encore l’indicateur, discuté, de Macquenoise (Belgique), une dalle de céramique où figure, gravé avant cuisson, l’itinéraire détaillé de Bavay à Marseille ;
- des guides, comme l’itinéraire d’Antonin, qui donne les distances de ville à ville ;
- d’étranges objets, tels les quatre gobelets d’argent de Viccarello, en forme de milliaire, qui portent chacun un itinéraire avec la distance en milles entre chaque gîte d’étape, et étaient destinés à des curistes ibériques se rendant de Gadès (l’actuelle Cadix) à la station thermale de Viccarello, près de Rome.