Le Canal de Panama
C'est en 1879, lors du congrès de géographie réuni à la Société de géographie à Paris, que Lesseps, alors agés de 74 ans, devenu président du comité français pour le percement d'un canal interocéanique en Amérique centrale, accepta la charge de percer le Canal de Panama.
La tâche devait se révéler moins glorieuse que celle du percement du canal de Suez, et se termina sur un échec temporaire, dans un climat de passion politique et de scandale.
Les fondations creusées par Lesseps au Panama furent cependant suffisamment solides pour permettre aux Etats-Unis, au début du 20ème siècle, de reprendre les travaux et de les mener à bien.
Quelques chiffres :
* Longueur : 79,6 km;
* Largeur : 152 mètres (moyenne);
*Profondeur : 13 mètres;
* Dénivellation : 26 mètres (six écluses);
* Début des travaux : 1881;
* Fin des travaux : 1914;
* Nombre de m3 dégagés : 259 millions;
*Durée du transit :8 à 10 heures;
* Bateaux en transit : 14 000 par an...
En dehors du Canal lui-même, qui est et demeure une véritable prouesse technique, la réalisation du percement de l'isthme de Panama a été l'occasion d'un gigantesque scandale politico-économique en France.
Michel Mourre en donne une relation longue et détaillée dans son Dictionnaire encyclopédique d'Histoire.
Le site Herodote.net en propose une version plus courte, mais bien complète :
"Le scandale de Panama se solde le 20 mars 1893 par la condamnation à 5 ans de prison d'un ancien ministre des travaux publics, Baïhaut, qui a eu seul la naïveté d'avouer son implication dans cette gigantesque escroquerie. Parmi les autres inculpés, Ferdinand de Lesseps et Gustave Eiffel échappent de justesse à la prison grâce à une prescription bienvenue.
1. Un projet insensé
Auréolé par la réussite du canal de Suez, Ferdinand de Lesseps s'était proposé de récidiver dix ans après, en 1879, avec le percement de l'isthme de Panama, entre l'océan Pacifique et l'océan Atlantique. L'isthme faisait alors partie de la Colombie.
Le 15 mai 1879, un Congrès international d'études du tunnel transocéanique se réunit à Paris sous la présidence de Lesseps, déjà âgé de 73 ans. Il examine divers projets plus ou moins farfelus (tunnel, chemin de fer pour bateaux, canal à 120 écluses....).
C'est finalement... Lesseps qui l'emporte avec le projet d'un canal de 75 km de long, sans écluses comme celui de Suez. La construction est prévue pour durer douze ans et coûter 600 millions de francs.
Comme pour Suez, Lesseps crée le 20 octobre 1880 une société anonyme en vue de collecter les fonds et conduire le projet, la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama. Les travaux débutent l'année suivante.
Mais l'isthme américain est traversé par une cordillère montagneuse très élevée et les premiers travaux se soldent par d'immenses difficultés. On fait venir d'abord des ouvriers chinois puis des Noirs de la Jamaïque. C'est bientôt l'hécatombe : épidémie de fièvre jaune, accidents de terrain, etc... font 20.000 victimes parmi les ouvriers. L'absurdité du projet fait reculer les banques.
Ferdinand de Lesseps lance alors plusieurs souscriptions auprès du public français. Mais il utilise les premiers fonds pour «arroser» la presse afin de cacher la réalité. En 1887, il a déjà englouti 1400 millions de francs en ayant seulement déblayé la moitié du terrain (il prévoyait au départ une dépense totale de 600 millions).
Dans l'impasse, il fait appel à l'ingénieur Gustave Eiffel, célèbre en raison de sa tour qui sera inaugurée à la faveur de l'Exposition universelle de 1889. Celui-ci n'hésite pas à engager son prestige au service du vieil entrepreneur et remet à plat le projet en prévoyant notamment des écluses.
Il faut encore trouver de l'argent...
2. Le scandale du siècle
Or la France entre dans une longue période de dépression économique et les épargnants sont peu enclins à se laisser séduire par l'aventure.
Ferdinand de Lesseps arrose donc la presse selon une pratique courante à l'époque dont témoigne Émile Zola dans son roman L'Argent. Émile de Girardin, député et journaliste réputé, fondateur de La Presse, a d'abord attaqué avec violence le projet avant de s'y rallier, et pour cause : il entre au conseil d'administration de la Compagnie !
Ferdinand de Lesseps corrompt aussi une centaine de ministres et de parlementaires, les «chéquards», pour obtenir des lois sur mesure et notamment le droit d'émettre un emprunt à lots. Quatre millions de francs sont distribués aux uns et aux autres.
Il est servi dans son entreprise de corruption par un affairiste d'origine juive, Cornélius Herz, et un intermédiaire lui aussi israélite, un certain Jacques Reinach, qui s'affuble d'une particule abusive et porte haut le titre de baron attribué à sa famille au siècle précédent par le roi de Prusse. Son cousin Théopraste Reinach, conservateur du musée du Louvre, est à l'origine d'une escroquerie à la tiare de Saitapharnès.
Malgré l'autorisation officielle d'émettre un emprunt à lots, le 9 juin 1888, la déconfiture de la Compagnie s'avère inéluctable dès l'année suivante. Le tribunal de la Seine prononce sa mise en liquidation judiciaire le 4 février 1889. Elle va entraîner la ruine de 85.000 souscripteurs.
3. Répercussions
Ferdinand de Lesseps sombre dans la sénilité. Il s'éteint tristement en 1895.
En 1892, Édouard Drumont, auteur du pamphlet antisémite La France juive (1886), dénonce le scandale de Panama dans son journal, La libre parole. Il souligne l'implication de plusieurs financiers israélites et relance de ce fait l'antisémitisme en France. L'affaire Dreyfus éclatera trois ans plus tard.
Désabusés, les épargnants français vont désormais renoncer aux investissements industriels et leur préfèreront les placements de «père de famille» (comme les emprunts russes qui se solderont en définitive par une déconfiture aussi retentissante !).
Il appartiendra finalement aux Américains de percer l'isthme.
Le canal de Panama - avec d'énormes écluses comme il se doit - sera inauguré le 3 août 1914... le jour même de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France."