La marche vers l'Est : la France et le Rhin (I)
I : Court extrait du Discours de réception de Joseph de Pesquidoux à l'Académie fançaise, prononcé le 27 mai 1937.
Elu le 2 juillet 1936 au fauteuil de Jacques Bainville, Joseph de Pesquidoux prononce, comme le veut la tradition, l'éloge de son prédécesseur... :
"...Bainville a mis en lumière la conception qui a guidé la maison de France dans son cheminement parmi les nations. Il la résume dans l'idée du pré carré, dans l'idée de l'unité et de la discipline nationale, et dans celle de l'hérédité.
Le pré carré implique la notion d'un cadre en-deça duquel il ne sera ni assez vaste, ni assez clos et défendu, au-delà duquel il excédera l'étendue utile et deviendra vulnérable. C'est le concept de nos frontières naturelles : deux montagnes, les deux mers, et le Rhin : longue lutte de la monarchie contre les féodalités et contre l'étranger en vue de la possession de ce territoire intérieur, indispensable à la fois pour atteindre et défendre ces frontières. Nos rois en ont gardé la répuattion de rassembleurs de terre. Commines appelait l'un d'eux : "l'universelle aragne", perpétuellemnt occupé à tisser en l'étendant sa toile, ou à la rapiécer. A la mort de Louis XI la Picardie, la Bourgogne, la Provence, le Roussillon, le Maine et l'Anjou, étaient incorporés à la trame. D'autres furent aussi des aragnes. Tâche obstinément mais prudemment poursuivie. "Raison garder", disaient-ils. Quand ils l'oubliaient, par l'apanage ou la guerre de magnificence, ce n'étaient que revers. Les frontières, les bornes naturelles les ramenaient aux projets viables. Ils devaient rester des réalistes, soumis à la politique inscrite sur le sol même..."
II : Deux notes du Tome I du Journal de Jacques Bainville(1901/1918) :
* Note du 18 août 1906 (pages 40/41) :
"Un retour sur nous-mêmes montre que la France a abandonné, presque oublié, l'ambition qui avait gouverné pendant presque mille ans son existence : celle de conquérir ses frontières naturelles. Cette ambition n'avait rien de chimérique, elle était précise, on pouvait en indiquer le dessin sur la carte, elle correspondait à toutes les réalités, à tous les besoins de la France. Pendant des centaines d'années, à travers toute sorte d'obstacles, nos rois l'avaient consciemment servie, et elle habitait obscurément la nation formée par eux : c'est un des plus beaux titre de gloire d'Albert Sorel d'avoir montré que volontiers ou non, poussé par une sorte d'instinct, sinon par l'effet de la vitesse acquise et du coup de barre donné, les conventionnels eux-mêmes reprirent la politique des Capétiens et obéirent au principe des frontières naturelles.
Le principe, que les Bourbons avaient relevé, puisque - c'est un fait acquis - Charles X fut renversé au moment où il allait donner à la France la rive gauche du Rhin, le principe a été abandonné. Nous sommes aujourd'hui un de ces peuples à qui manquent le ressort de la vie : une ambition directrice. Dans le courant de l'existence, les hommes privés de cet élément d'activité d'abord, de fortune et de satisfaction ensuite, se sentent abaissés devant eux-mêmes et d'ailleurs méprisés par leurs prochains. Nous en sommes là. Et l'on ne songe pas sans tristesse, comme à une vie brisée, comme à un bel avenir gâché, à ce qu'aurait pu devenir la France si elle avait servi durant tout le XIXème siècle le vieux programme national : revenir aux limites de l'ancienne Gaule. C'est un conseil d'une sagesse vraiment immédiate et pratique, la maxime même de la sagesse politique que Goethe a fait prononcer aux voix du ciel quand il récompense Faust et le sauve pour avoir "persisté dans un effort constant".
* Note du 1er décembre 1918 (page 219) :
"Aujourd'hui, nos troupes pénètrent en Allemagne, en route vers le Rhin. Grand jour attendu, espéré depuis cent ans. Lorsque l'autre quinzaine, nous sommes rentrés en Alsace, une défaite était rachetée. Nous en revenions à l'état de choses antérieur à 1870. Après Sedan il reste à effacer Waterloo. Les deux désastres napoléoniens seront réparés lorsque nous aurons retrouvé la France telle qu'elle était en 1789, en 1795 : nous serons ainsi en mesure de reprendre ce mouvement vers l'Est, cette action d'influence et d'assimilation qui est la raison d'être et comme la loi de toute l'histoire de France."