...et de son fils, Henri II.
Vues sur une carte, les acquisitions d’Henri II semblent peu de choses : et pourtant…
1. Calais reprise, c’est la France définitivement fermée aux Anglais, et la Guerre de Cent Ans totalement achevée.
2. Quant aux "Trois Evêchés" réunis, c’est le point de départ, la condition indispensable de la matche vers l’Est, vers le Rhin, qui sera poursuivie par l’acquisition de la Franche-Comté, puis de l’Alsace (par Louis XIV), puis de la Lorraine (par Louis XV)…
De Jacques Bainville (Histoire de France, Chapitre VIII : François Ier et Henri II : la France échappe à l’hégémonie de l’empire germanique) :
"...Ce qui s’est élaboré, construit, à cette date de 1547 où Henri II devient roi, c’est une politique. Décidément, les affaires d’Allemagne sont les plus importantes. Nos frontières de l’est aussi. L’Italie n’est qu’un théâtre secondaire. Contre qui porte l’effort de la France ? Contre l’Empire germanique. C’est donc là qu’il faut agir, c’est cet Empire qu’il faut dissocier, s’il se peut. Quant aux résultats de l’inévitable guerre, où seront-ils cueillis ? Sur la ligne qui sépare l’Empire de la France, dans cette Lotharingie d’où le partage des Carolingiens nous a écartés depuis cinq cents ans. La lutte contre la maison d’Autriche, c’est-à-dire la lutte contre l’Allemagne, conduit la France à reprendre ses frontières du côté du Rhin. L’achèvement de notre unité sur les points où elle était encore le plus imparfaite devient un dessein tout à fait net sous Henri II.
Au début du nouveau règne, les nouvelles d’Allemagne étaient mauvaises pour nous. Charles Quint tentait ce que les rois de Prusse n’obtiendront que quatre siècles plus tard : devenir le maître dans une Allemagne unifiée, transformer l’Empire électif en monarchie héréditaire. L’Allemagne était alors une mosaïque de principautés et de villes libres. Sa constitution, définie par la Bulle d’Or, était à la fois aristocratique et républicaine. Charles Quint commença par priver les villes de leur indépendance, puis il passa aux princes. L’année même de l’avènement de Henri II, l’électeur de Saxe fut battu à Muhlberg. Sans un secours du dehors, les princes allemands succombaient, la maison d’Autriche centralisait et gouvernait l’Allemagne. Alors Charles Quint eût été bien près de réaliser son rêve, de dominer l’Europe. Il fallait se hâter pour prévenir ce péril. Auprès des Turcs, auprès du pape, auprès de la République de Venise, auprès des princes italiens et des princes allemands, partout où elle put trouver des adversaires de l’Empereur, la diplomatie française fut à l’œuvre.
Une circonstance favorable pour nous, c’était que la Réforme n’avait pas encore sérieusement troublé la France, tandis que l’Allemagne et l’Angleterre étaient déchirées par le conflit des religions. Par là, l’Angleterre fut empêchée d’intervenir dans les affaires continentales. Tandis que la politique française liait partie avec les protestants d’Allemagne, elle soutenait les catholiques anglais. Une sœur des Guise, de la maison de Lorraine, cette famille déjà influente et qui va jouer un si grand rôle chez nous, avait épousé le roi d'Écosse. Sa fille, Marie Stuart, était demandée par Édouard VI. Conduite en France, elle épousait le dauphin. De même Philippe II épousait Marie Tudor : la France et l’Espagne cherchent également à agir par le catholicisme sur l’Angleterre divisée à son tour par la religion. Pour nous, l’avantage de ces luttes religieuses et politiques, c’est que les Anglais ne seront plus à craindre. Boulogne, perdue à la fin du dernier règne, fut reprise en attendant que Calais le fût.
Henri II avait eu raison d’ajourner la reprise des hostilités avec l’Empereur. Le grand dessein politique de Charles Quint rencontrait des obstacles. La branche allemande de sa famille ne voulait pas que l’Empire passât à son fils Philippe II, roi d’Espagne. Les protestants d’Allemagne et leurs princes, malgré leur défaite, résistaient. Bien travaillés par nos agents, ils conclurent le traité secret de Chambord qui les rendait nos alliés. Henri II prit le titre de défenseur des libertés germaniques et Marillac avait donné la formule de cette politique : « Tenir sous main les affaires d’Allemagne en aussi grande difficulté qu’il se pourra », ce qu’Henri II traduisait d’un mot plus énergique : « le grabuge ». De leur côté, les princes protestants avaient reconnu les droits du roi sur Cambrai, Metz,Toul et Verdun. Tout était prêt pour la guerre que chacun sentait inévitable (1552).
Le roi de France y préluda par un manifeste en français et en allemand que décorait un bonnet phrygien entre deux poignards avec cette devise : « Liberté. » La monarchie française faisait en Allemagne de la propagande républicaine. Toul ouvrit ses portes, Metz et Verdun furent pris, et l’armée française parut jusqu’au Rhin où burent ses chevaux. Cependant, Charles Quint, battu par l’électeur de Saxe, avait failli tomber entre ses mains. L’Allemagne était sur le point de lui échapper. Il se hâta de signer avec les protestants la transaction de Passau par laquelle il reconnaissait les libertés germaniques. Puis, croyant l’Allemagne pacifiée, il voulut reprendre Metz. Le duc de Guise courut s’y enfermer, mit la ville en état de défense et, après deux mois de siège, contraignit Charles Quint à se retirer (1553). Ce fut un triomphe personnel pour François de Guise, un triomphe qu’il achèvera bientôt, quand il enlèvera Calais par un coup de main audacieux. La popularité de Guise sera immense. Un soldat de génie était apparu et ce grand capitaine deviendra le chef d’un parti, une puissance politique. Il sera un moment plus puissant que le roi lui-même. Et c’est la gloire militaire qui lui donnera, ainsi qu’à son fils, une sorte de dictature lorsque viendront l’affaiblissement du pouvoir et la démagogie.
La guerre s’était prolongée cinq ans en Italie et dans le nord de la France sans que l’Empereur pût obtenir un résultat. Rien ne lui réussissait plus. En Allemagne, les protestants s’enhardissaient et lui imposaient des conditions nouvelles. La souveraineté de chaque État allemand en matière religieuse étant reconnue, l’unité devenait chimérique. C’est alors que Charles Quint, découragé, obligé de renoncer à son rêve, n’ayant même pu transmettre à son fils la couronne impériale, résolut d’abdiquer (1556). Par cette retraite volontaire, dont le roi de France se réjouit silencieusement, il avouait son échec. Sans doute son fils Philippe II possède les Pays-Bas et l’Espagne. En guise de consolation pour la perte de l’Empire, il a épousé Marie Tudor. Il reprendra les plans de son père, il tentera comme lui de dominer l’Europe, mais dans des conditions encore moins bonnes. La première partie de la lutte contre la maison d’Autriche tournait à l’avantage de la France..."