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Feuilleton : Son "érudition intelligente" fait "des lecteurs reconnaissants" : Jacques Bainville... (15)

 

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 (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Illustration : portrait de Jacques Bainville par Marie-Lucas Robiquet; couverture du "Jacques Bainville, La Monarchie des Lettres, Histoire, Politique et Littérature", Édition établie et présentée par Christophe Dickès, Bouquins, Robert Laffont (1.149 pages).

Aujourd'hui : Tranches de vie (V) : l'article quotidien; Tranches de vie (VI) : dans la voiture d'Alary...

 

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Tranches de vie (V) : l'article quotidien....

Tranches de vie (V) : l'article quotidien...

Illustration : la "Une" du premier numéro quotidien, le 21 mars 1908...
C'est de cette "Une" que Proust écrivait :

"Mais dans quel autre journal le portique est-il décoré à fresque par Saint-Simon lui-même, j'entends par Léon Daudet ?
Plus loin, verticale, unique en son cristal infrangible, me conduit infailliblement à travers le désert de la politique extérieure, la colonne lumineuse de Bainville. Que Maurras, qui semble détenir aujourd'hui le record de la hauteur, donne sur Lamartine une indication géniale, et c'est pour nous mieux qu'un voyage en avion, une cure d'altitude mentale...."

 

Tiré de "Maurras et notre temps", d'Henri Massis (Tome II, pages 9 et 10) cet extrait montre bien, et d'une façon savoureuse, le contraste saisissant entre les deux tempéraments de Bainville et de Daudet, et leurs façons différentes de faire et "d'être" : l'eau et le feu autour de la même table, pourtant réunis dans une amitié indéfectible, que seule la mort viendra interrompre...:

"...Presque tous les soirs, vers six heures, j'allais du boulevard Saint-Germain ou de la rue du Dragon à la rue de Rome ou à la rue du Boccador... J'entrais d'abord dans ce bureau où Daudet et Bainville étaient assis à la même table, cette "table magique" qui les avait suivis partout et dont Bainville disait un jour : "Je crois que si on voulait la scier elle résisterait comme du granit, bien qu'elle ne soit que de bois blanc."
Cette table avait la solidité de leur amitié. À cette heure-là, Léon Daudet, lui, ne "travaillait" pas, je veux dire que, dès le matin, Daudet avait écrit son article d'un jet, de cette plume de feu qui ne connaissait point de repentirs. Après avoir regardé les journaux du soir, il se levait, allait respirer l'air de la maison, la remplir de sa voix éclatante, la secouer de son rire, et, rien qu'en passant, animer tout et tous de sa vie prodigieuse !...
Bainville, lui, avait d'abord jeté les yeux sur la dernière heure du Temps et les informations de la presse anglaise, discernant l'essentiel d'un clin d'oeil, car nul ne débrouillait les faits avec plus de rapidité. Il semblait lire dans le présent, comme dans les lignes de la main, les traits de l'avenir. Ce dépouillement achevé (qu'il avait fait les jambes allongées, le dos appuyé à son fauteuil) Bainville se redressait, se tournait vers sa table, posait sa montre à côté de l'encrier et, d'un geste impatient, tirait du classeur deux ou trois petits feuillets de papier vert : puis il saisissait sa plume sur laquelle son index se recourbait d'une prise tenace; la tête baissée sur son papier, il le couvrait de son écriture menue, aux lignes serrées, sans jamais s'interrompre. Il ne lui fallait guère plus d'un quart d'heure pour écrire de la sorte un de ces courts chefs d'oeuvre qui, chaque jour, apportaient à l'ignorance et à l'incertitude les avertissements de la clairvoyance... Bainville relisait alors avec soin son "papier", les yeux près de son texte, précisant certaines lettres, corrigeant un mot ici ou là quand il en trouvait un autre qui fût plus simple encore, se frottant parfois les lèvres sur les doigts de sa main gauche. Puis il signait : c'était fini... L'instant était venu où il se détendait, l'instant des anecdotes, celui où, sans avoir l'air de rien il savait, si Daudet était là, jeter des brindilles de bon sens à travers leurs propos. Le lendemain, dans son article, le cher Léon en faisait une flambée étonnante : Bainville avait été l'étincelle...


Tranches de vie (VI) : dans la voiture d'Alary...

Tranches de vie (VI) : dans la voiture d'Alary...

Le siège de l'Action française, 1 rue du Boccador, que quittent ce soir-là Bainville, Daudet et Massis, ramenés chez eux par Alary, dans sa voiture : Bainville habite alors rue du Bac et Daudet rue Saint-Guillaume...



De "Maurras et notre temps", d'Henri Massis, Tome II, pages 36/37/38 :

"...Pujo, là-dessus, arrive avec sa "copie" : c 'est l'heure où Maurras et lui vont s'entretenir du prochain numéro, celle où Daudet et Bainville rentrent dîner, car ils sont de vie régulière. Nous regagnons leur bureau. Bainville range ses journaux, remonte sa montre, et tandis que j'aide Léon à mettre sa pelisse, il lui raconte encore une histoire :
"Savez-vous, cher ami, que c'est Georges V qui veut garder Macdonald ! Il l'adore, il ne peut se passer de sa compagnie ! Par contre, il déteste Baldwin, le chef des conservateurs, il ne peut pas le voir en peinture ! L'autre le ravit avec sa pipe, son air cordial, bon enfant, une sorte d'Herriot dans un moule écossais. Et voilà pourquoi l'Angleterre est livrée aux travaillistes !" Léon rit en entendant Bainville railler les rois; la chose lui arrive, mais non pas de moquer la monarchie.
Nous descendons le grand escalier du Boccador : les "camelots" nous ouvrent la porte, la voiture d'Alary est là, qui nous attend. Nous y montons tous les trois... C'est l'heure charmante, celle où nous nous raccompagnons et nous déposons les uns chez les autres.... La conversation continue... Léon parle de Naples où se passe son prochain roman, il en parle avec ivresse. Bainville, qui visita Naples à son retour de Grèce, dit combien il fut déçu de n'y trouver qu'un décor d'opéra, et de louer la beauté du paysage grec aux lignes d'une pureté sans seconde qui s'épousent et s'emmêlent dans une lumière divine !
"Que nul peintre ne pourra jamais rendre, ajoute-t-il.
- Il y faudrait de la musique, fait Léon.
- Oui, dit Bainville. D'ailleurs, architecture, musique, c'est tout un !"
Nous voilà devant les Tuileries, où l'exposition Degas vient de s'ouvrir. "Degas m'embête, dit Léon; ses danseuses, ses blanchisseuses, ses sujets m'assomment... Je suis allé les voir. Quel ennui !
- Il ne faut jamais voir tout l'oeuvre d'un artiste, reprend Bainville : c'est comme si l'on était obligé de relire de bout en bout tous les livres d'un écrivain ! Il y a trois ans, j'ai vu la rétrospective de Courbet. "Quel effroyable imbécile ! me disais-je en sortant de là."
Bainville tombe bien ! Il n'était pas là, tout à l'heure, quand Daudet parlait de Courbet avec Maurras. Mais Léon semble ne pas avoir entendu et ne répond rien.... Nous sommes arrivés rue du Bac; Bainville nous dit gentiment "bonsoir"... J'accompagne Daudet jusqu'à la rue Saint-Guillaume, et je l'entends encore me dire, dans la nuit de la voiture, avec bonne humeur :
"Maurras, quelle tête politique ! Mais ses idées littéraires, ah ça, non !".
Et comme j'allais lui répondre que toute la politique de Maurras est sortie de son esthétique, l'auto s'était arrêtée devant le 33 de la rue Saint-Guillaume.
Oui, une soirée pareille à tant d'autres que j'ai vécue déjà... Mais quand tout cela aussi n'existera plus, qui pourra jamais l'imaginer ?..."

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