Éditorial essais de septembre : le monde d’avant n’aura pas lieu, par Rémi Lélian.
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Le monde d’avant n’aura pas lieu, ni celui de demain d’ailleurs ; pour la raison que ni l’un ni l’autre n’existent autrement que dans la représentation fantasmatique que nous en avons et qui nous fait regretter l’un et craindre l’autre. Regretter quoi d’ailleurs ?
On ne sache pas que la vie fût si belle avant, qu’elle fût mieux, enviable, désirable, qu’elle fût la vie quand nous n’en posséderions plus désormais qu’une prétendue contrefaçon. La vie en somme, à quelque époque qu’on la retrouve ici-bas c’est surtout beaucoup de douleurs, de choses ratées, et d’obstination pour rien, et la grâce parfois d’y échapper un peu… par erreur. Car si c’est un truisme philosophique que de dire que le passé n’existe pas ni non plus le futur, qu’il est passé pour toujours et que l’autre, déjeté, n’arrive jamais, le monde, lui, existe vu qu’on s’y cogne.
Et ce monde on ne peut pas dire qu’il soit si digne d’être aimé que ça, qu’il soit notre élément et qu’à condition de nous y conformer on puisse l’habiter sans souffrir. Au contraire, il déraille de partout, s’épuise, gémit et gronde, nous tue pour nous survivre et périra à son tour quand nous ne serons déjà plus là depuis longtemps, mais depuis bien moins longtemps, semble-t-il, que ceux qui nous ont précédés et qui sont déjà morts pour toujours ici-bas. Quant au monde de demain, on a raison de le craindre, mais non parce qu’il nous offrirait un supplément d’apocalypse, parce qu’il sera le monde et qu’on y souffrira avec ou sans QR Code, avec ou sans épidémie, qu’on se fracassera contre ses limites perpétuellement étendues et perpétuellement limitées, et que même convaincus de notre liberté nous n’en demeurerons pas moins ses esclaves.