Des lectures pour l’été : Les neiges bleues de Piotr Bednarski, 1994, par Antoine de Lacoste.
Boulevard Voltaire vous propose, cet été encore, des idées de lecture hors des sentiers battus, avec notre contributeur Antoine de Lacoste
En Sibérie, pendant la Seconde Guerre mondiale, une petite ville vit au rythme du goulag, tout proche. Ses habitants sont des Sibériens, mais aussi des relégués, notamment ceux qui ont leur père ou leur mari dans le camp tout proche et qui sont donc des éléments « hostiles ».
Le narrateur est un Polonais de 8 ans. Son père est au goulag et il vit avec sa mère qui est si belle que toute le monde l’appelle Beauté. Par petits chapitres, presque des nouvelles, il nous conte la vie quotidienne des adultes et des enfants de cette ville, sévèrement encadrés par les hommes du NKVD (ancêtre du KGB) qui ont tout de même une faille : ils tombent tous amoureux de Beauté.
Dans cet univers de haine et de dénonciation, il faut survivre sans perdre son âme. Ce n’est pas facile : « Ou tu vas au goulag ou tu dénonces, il n’y a pas d’autre choix » clame Kolia, un des enfants qui ne concède rien. Malgré les coups et les menaces, il refuse de renier ses parents. Le narrateur, pour exorciser sa peur de Staline, grime un buste du guide en clown, provoquant une hilarité générale, mais aussi quelques déportations de plus. Les enfants sont les plus tenaces : ils savent qu’ils sont confrontés au mal absolu et résistent farouchement. La lecture par le narrateur du Sermon sur la montagne (appris par cœur dans une Bible cachée) les fascine.
Le burlesque côtoie le tragique. Beauté essaye de résister aux multiples assauts sentimentaux dont elle est l’objet. Mais plusieurs meurtres seront commis à cause d’elle. Elle succombe parfois, mais pas avec les hommes du système.
Malgré la faim, la peur et les poux, on sourit souvent. Le misérabilisme n’a pas sa place dans ce petit roman, où gravité et dérision font bon ménage.
Sous des apparences légères voire naïves, l’écrivain polonais Piotr Bednarski a écrit un roman très profond, largement autobiographique, qui nous emmène au cœur de l’affrontement terrestre entre le bien et le mal. Même les bourreaux le savent. L’un d’eux va d’ailleurs dire aux enfants qu’il ne supporte plus son rôle et va les aider à construire un cimetière pour rendre leur dignité aux morts. Ce changement de camp lui coûtera cher.
Beauté et la cohorte des enfants qui refusent de se soumettre constituent des personnages très frappants et font de ce livre un roman rare sur le goulag.