NOTRE FEUILLETON ESTIVAL : UN ETE AVEC JACQUES BAINVILLE...
A partir du vendredi 19 juillet, et jusqu'à la fin du mois d'août, nous vous proposerons de découvrir, ou de mieux connaître, mais aussi de faire découvrir à d'autres (par le jeu des partages) l'immense Jacques Bainville, par le biais d'une photo quotidienne tirée de notre "Album Jacques Bainville" (lafautearousseau vous propose également un "Album Léon Daudet" et un "Album Charles Maurras").
Aujourd'hui : 18. Bainville critique frontalement Keynes et ses "Conséquences économiques de la paix" (I/II)
1920 : Les conséquences politiques de la paix" (1)
En 1919, John Maynard Keynes écrit un livre retentissant, dans lequel il compare le Traité de Versailles à une "paix carthaginoise", c'est-à-dire à un diktat - par définition, excessif et trop dur, infligé par les Alliés vainqueurs à l'Allemagne vaincue.
Bainville réagit immédiatement à cet ouvrage "scandaleux" au sens premier du terme. Et il le fait en recopiant volontairement, à un mot près, le titre même de Keynes : au lieu de parler des conséquences "économiques", Bainville va étudier "Les conséquences politiques de la paix".
Il ne s'agit donc pas, pour Bainville, de critiquer Keynes en tant que tel, tout Keynes, et toutes ses théories économiques, bien connues par ailleurs. Bainville n'écrit pas un livre d'économiste, proposant une alternative aux thèses d'un autre économiste : Bainville écrit un livre de géo-politique et de géo-stratégie, de diplomatie, traitant de la grande affaire que constitue l'antagonisme récurrent franco-allemand, là où Keynes, représentant la grande finance internationale - et surtout les intérêts économiques des anglo-saxons... - ne voyait que l'aspect purement économique des choses; l'aspect mercantile, matérialiste, en somme...
Pour Keynes, il importait que, sitôt la guerre achevée, "les affaires" reprennent; et comme, selon lui, l'Allemagne était un partenaire majeur de l'économie européenne, il importait de la punir pour la guerre qu'elle avait déclarée, mais pas trop; et il ne fallait pas la charger d'un fardeau tel ("L'Allemagne paiera", disaient certains Français, qui voulaient se rassurer à bon compte...) que cela l'empêche de réintégrer au plus vite le cercle des nations qui faisaient "tourner" l'économie mondiale. Lui imposer "la démocratie" suffisait pour que, d'un coup de baguette magique, ses vieux démons disparaissent, et qu'elle redevienne fréquentable. Cette sorte de pensée "magique", cette idée folle qu'il suffisait de prononcer le mot ("démocratie") pour avoir la chose (une Allemagne pacifique), c'est ce qui guidait les hommes tels que Keynes ou, plus grave, le président Wilson.
Bainville est aux antipodes de ces "nuées" : c'est un réaliste, qui ne se paye pas de mots, et qui sait que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Il demande que l'on démembre l'Allemagne, afin que plus jamais elle ne puisse recommencer ce qu'elle vient de faire : mettre l'Europe à feu et à sang.
Et, contre le Keynes des "Conséquences économiques de la paix", il écrit (page 179 des "Conséquence politiques de la paix" :
"...La propagande allemande est très habile à lancer dans le monde des formules qui servent ses intérêts. Pendant la guerre, c'était "une paix sans annexion ni indemnités", maintenant c'est "une Allemagne organisatrice de l'Est" et "la collaboration économique des vainqueurs et des vaincus". Nous savons qu'un groupe important en Angleterre, dont M. Keynes est le porte-parole, a déjà été complètement acquis par le programme allemand; si ces idées devaient être acceptées par la diplomatie alliée, l'Allemagne serait rétablie dans sa situation d'avant-guerre..."
Alors que, comme l'écrit au même moment Léon Daudet dans le même journal que Bainville - L'Action française - le démembrement de l'Allemagne aurait "assuré la paix pour les 150 ans qui viennent..."
Et, bien sûr, Bainville demande des garanties pour la France, qui a si chèrement payé sa victoire, en perdant ce qu'elle avait de plus précieux : la plus grande part de sa jeunesse. Bainville demande que, dans ce démembrement de l'Allemagne, les régions Rhénanes - où les habitants sont rhénans, et non Prussiens... - deviennent indépendantes, séparées du joug prussien, et qu'ainsi la France trouve, sinon sa frontière directe, du moins la protection assurée qu'offrait la "rive gauche du Rhin". Bainville et l'Action française voulaient, en somme, reprendre la grande tradition de la diplomatie française, dont le chef d'oeuvre absolu furent les Traités de Westphalie...
Mais nos excellent alliés anglo-saxons n'ont pas voulu cela. Anglais et Etats-Uniens se sont payés tout de suite :
1. Les Anglais, en saisissant la totalité de la flotte allemande, ce qui, par la disparition immédiate d'un adversaire militaire et d'un concurrent économique, renforçait leur préeminence maritime mondiale.
2. Les Etas-Uniens en voyant leur situation considérablement renforcée à la suite de l'effroyable guerre civile européenne, laissant l'Europe exsangue.
La France, elle, fut le dindon tragique de la farce : elle avait subi le plus gros des destructions, par une présence ennemie de quatre années sur une quinzaine de ses départements, mais elle se voyait interdire par ses alliés anglo-saxons de se payer - comme eux l'avaient fait - en s'assurant la garantie de la rive gauche du Rhin, et des Républiques Rhénanes indépendantes, ouvertes à son influence. D'ailleurs Clemenceau l'a reconnu : "Nous n'avons pas obtenu tout ce que nous aurions pu et du obtenir..."
Voilà donc, brossée à grands traits, la vision magistrale que l'on trouve dans cet ouvrage de Bainville : elle n'est pas vulgairement mercantile et matérialiste, elle est de haute diplomatie, elle est visionnaire en termes de géo stratégie et de géo politique, car elle pointe l'erreur initiale de ce mauvais Traité de Versailles - qui est de laisser l'Allemagne unifiée, au lieu de la démembrer - et elle annonce les conséquences inéluctables de cette paix perdue : un désir éperdu de revanche chez les Allemands, malgré tout humiliés, mais non dépossédés de leur force. C'est une nouvelle guerre pour dans vingt ans, dit Bainville : il ne se trompait que d'un an...
La République, qui n'avait pas su éviter la guerre, allait perdre la paix, gagnée par une France héroïque au prix d'une "pluie de sang", comme le disait Léon Daudet, qui a choisi cette formule comme titre pour l'un des tomes de ses "Mémoires".
Mais laissons parler Jacques Bainville...
Illustration : John Maynard Keynes avait acquis une notoriété internationale par la publication de son livre "The economic consequences of the peace", en 1919, à propos du Traité de Versailles.
Ce livre fut très mal reçu en France par les politiques, intellectuels et économistes, car Keynes fut perçu comme prenant le parti de l'Allemagne contre la France.
Il prétendait prendre une position d'économiste, considérant que le retour au passé d'avant 1870 - le démantèlement de la puissance allemande construite depuis 1850, ce que voulait Clemenceau au nom des intérêts de la France - ne pouvait conduire qu'à la "souffrance" (!) des peuples d'Europe centrale et à la poursuite des conflits, c'est-à-dire de la "guerre civile" en Europe.
Bianville défend la thèse exactement contraire : en réalité, c'est le non-démembrement de l'Allemagne qui apportera une nouvelle guerre, "pour dans vingt ans", dit-il.
"On" a suivi Keynes, pas Bainville. "On" n'a pas démembré l'Allemagne... et on a eu Hitler, et les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, encore bien pire que la première.
Qui a eu raison ?...