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Maurras en son actualité

 

Par Axel Tisserand
2293089609.14.jpgCet article comme les précédents publiés hier jeudi est préparatoire à notre colloque Charles Maurras, l'homme de la politique, qui se tiendra à Marseille samedi 21 avril [voir plus loin].   LFAR

 

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Il est toujours l’ennemi numéro 1. C’est qu’« ils » savent ou discernent fort bien qu’il est différent des autres. Qu’un Askolovitch s’en prenne à lui dans Le Nouveau Magazine littéraire avec une telle violence révèle, en fait, le refus d’affronter la force de l’intelligence. C’est une défaite de leur pensée à eux et la revanche de Maurras. Au fond, ils ne font que prouver qu’il est plus actuel que jamais. 

Organisant en 2012 un colloque pour le soixantième anniversaire de sa mort, je soulignais : « L’aversion à l’égard de Maurras est inversement proportionnelle à son éloignement historique. Plus il devient une figure de l’histoire, plus il est honni. Nous sommes passés d’une condamnation de sa doctrine à une damnation de tout ce qu’il représente… ou plutôt de tout ce qu’on lui fait endosser, de ce à quoi on le réduit », en l’occurrence l’antisémitisme. « La pensée de Maurras exprime les ténèbres d’un temps révolu, que les Lumières ont dissipées, mais qui n’attendent qu’une occasion pour recouvrir de nouveau le monde.» (Charles Maurras, soixante ans après, sous la direction d’Axel Tisserand, Questions disputées, Pierre Téqui éditeur, 2013).

Mais pourquoi tant de haine ?

En 2018, la situation ne s’est pas améliorée, elle s’est même dégradée. Si le 150e anniversaire de la naissance de Maurras, né le 20 avril 1868, ne peut pas être tu, il a déjà suscité des polémiques qui ne font pas honneur à l’Intelligence française. Peut-être est-ce un des signes de la déchristianisation de nos sociétés européennes que le besoin renaissant de boucs émissaires, dont la logique, selon René Girard, avait été démystifiée par le sacrifice du Christ. Peut-être, aussi, est-ce là le sens profond, ignoré de son auteur lui-même, de cette « revanche de Dreyfus », formule par laquelle Maurras avait accueilli son verdict fin janvier 1945 devant la Cour de justice de Lyon, et qui lui fut tant reprochée… Maurras condamné comme Dreyfus ? C’est-à-dire, l’un comme l’autre nullement concerné par l’objet du procès : une trahison aussi nécessaire qu’impossible ? Mais, pour que la logique du bouc émissaire fonctionne, sa diabolisation n’est-elle pas une condition nécessaire ? Si le « mannequin » Maurras, campé en 1945 par un faussaire professionnel, Verdenal, inculpé de vols, faux et usage de faux et sorti de prison à cette fin, continue d’être aussi nécessaire, c’est parce que la figure de Maurras, institué ennemi intellectuel n° 1 de la modernité, permet de concentrer en elle tout ce que celle-ci rejette ou refuse d’assumer.

Chaque époque a d’ailleurs les intellectuels qu’elle mérite. En 1952, deux jours seulement après sa mort, André Fontaine écrit dans Le Monde :

« il y a quelque chose d’insultant pour nous dans le fait que cet homme, en qui rien n’était sordide et qui pour lui-même toute sa vie méprisa l’argent, ait passé ses dernières années enfermé au nom de la liberté. […] Devant cette tombe ouverte, devant le corps d’un homme qui, cinquante ans de sa vie, a honoré les lettres et le génie français, ne serait-il plus possible de tenter d’être juste » ?

« Idiot complotiste », « déjà un vieux débris de son vivant » à la « pensée imbécile » et à « la langue prétentieuse », qu’on peut résumer à du « verbiage » et des « mots viciés » : oui, chaque époque a bien les intellectuels et les journalistes qu’elle mérite. Quelle chute vertigineuse, par rapport à novembre 1952, voire à mai 68, quand Le Monde publie une double page centrale pour le centième anniversaire de la naissance de Maurras ! Claude Askolovitch n’aurait pas alors osé écrire le dixième de ses éructations, peut-être déjà parce qu’il n’aurait pas osé les penser. Mais même alors, de peur de se déconsidérer définitivement auprès de ses pairs, il n’aurait pas laissé libre cours à une haine aussi vulgaire, aussi désinhibée, ni à l’encontre de Maurras, ni à l’encontre de Michel Déon, dans un magazine, de plus, à prétention intellectuelle, Le Nouveau Magazine littéraire, et récidivé, quelques jours plus tard, sur lepoint.fr. Un intellectuel, à l’époque, savait encore penser, voire s’empêcher, pour reprendre un mot cher au père d’Albert Camus. Du reste, signant sans vergogne ces propos, plus imbéciles qu’insultants, tout en osant – c’est un comble ! – dénoncer « l’injure et la haine librement répandues » comme « le reflet de ce qu’étaient Maurras et ses soudards du verbe », il avoue lui-même : « En réalité, on se fout de Maurras ! » et peut-être Jean-Christophe Buisson, qui préface chez Bouquins la réédition, prévue en avril, de textes du Martégal réunis par Martin Motte, lui a fait beaucoup d’honneur en lui répondant également sur lepoint.fr. Nous ne le ferons pas.

Une haine révélatrice

Pourquoi ? Parce que ce discours de haine froide revendiquée – « nous osons le haïr », écrit-il à propos de Michel Déon mort – et « librement répandu » dans la presse, en dit plus sur son auteur et tout une f(r)ange de l’intelligence salariée, et serve des tabous imposés par le discours dominant, analysée avec une prescience étonnante par le jeune Maurras de 1905 dans L’Avenir de l’intelligence, que sur Maurras lui-même, qui ne sert plus qu’à incarner, contre les faits, un fascisme qui a perdu en compréhension ce qu’il a gagné en extension, jusqu’à devenir un concept vide. Déjà le quotidien Libération avait servi début février à ses lecteurs le même cocktail de haine et d’amalgame, des universitaires n’hésitant pas à évoquer la mise à l’index républicain des écrivains d’« extrême droite », le « démon » Maurras compris, afin de protéger de leur influence nécessairement brune les intelligences nécessairement fragiles du vulgum pecus. Et avec cela, Askolovitch l’assure, « il n’y a pas d’inquisition démocratique ».

Photo-14-386x600.jpgC’est vrai qu’Askolovitch ne demande rien de tel. C’est encore trop intellectuel. Il en reste à l’insulte, confirmant, par sa démesure – Déon aurait dû « passe[r] le reste de son âge à s’excuser, à réparer » le fait d’avoir été le secrétaire de Maurras de 1942 à 1944 à Lyon ! –, que l’hybris rend fou ceux qu’elle saisit, comme le savaient les Grecs. Car Askolovitch, comme Créon, est victime de sa propre haine, dans laquelle la raison ne peut plus avoir d’autre part que celle de tourner à vide – c’est la marque du raisonnement paranoïaque que Créon oppose à Antigone puis à son fils Hémon. Maurras, c’est le mal, Déon, secrétaire de Maurras, a été le secrétaire du Mal. Les haïr n’est pas seulement un droit, cela devient un devoir républicain, surtout pour lutter contre l’islamophobie – ne vous demandez pas ce qu’elle vient faire dans cette galère, Askolovitch l’ignore sans doute lui-même. Un regret ? « que le refus des socialistes parisiens [d’une sépulture à Déon] n’ait pas été exprimé politiquement. Il eût fallu dire qu’un fasciste ne pouvait pas reposer en paix ». Du reste, « ils n’ont aucun titre à notre monde, aucun » – la déshumanisation de l’adversaire est une conséquence de sa diabolisation. Quand on sait les mots admirables de Maurras sur Antigone, Vierge-Mère de l’Ordre, « née pour partager l’amour et non la haine », selon les mots de Sophocle, on se dit que la haine de Créon-Askolovitch et la défaite de la pensée qu’elle traduit sont la revanche de Maurras. Même si le tyran de Thèbes n’avait pas mérité un si pitoyable rejeton.

Au-delà de « la morale », tout simplement le vrai

Tout ancien étudiant de Boutang se rappelle que celui-ci, chaque année, trouvait l’occasion d’enseigner à ses étudiants que rien n’est plus « abject » – c’était son adjectif – que de faire honte à autrui. Avoir honte, soit, mais faire honte, ce n’est pas seulement voir la paille dans l’œil de son prochain pour mieux ignorer la poutre dans le sien : non, c’est s’instituer juge suprême des élégances morales. Notre époque, par son moralisme poisseux, a remplacé la dispute sur le Vrai et le Faux par celle sur le Bien et le Mal. De ce bushisme mental, « abject » au sens boutangien du mot, puisque la honte serait l’« apanage » des maurrassiens, Askolovitch est un vecteur assumé. On hésite dès lors à associer son nom à celui d’Alain Finkielkraut, vrai penseur, à la scrupuleuse honnêteté intellectuelle. Aussi ne le ferons-nous pas. Même si, en affirmant, dans Causeur de mars, que Maurras, « à la différence de Barrès […] est insauvable », au fond, il participe, lui aussi, à la diabolisation de Maurras, en le réduisant à son antisémitisme, c’est-à-dire à 1 % de sa pensée, ce qui évite d’avoir à lire les 99 % restants – ceux qui intéressaient Bainville, par exemple, qui ne fut jamais antisémite et déclarait tout devoir à Maurras, fors la vie, notamment son rejet radical du racisme. Maurras n’a d’ailleurs pas attendu le revirement de Barrès pour rendre hommage, en 14-18, dans les colonnes de L’Action Française aux morts juifs pour la France, comme le grand rabbin de Lyon, Abraham Bloch, tué à la bataille de la Marne, ou le ligueur d’AF Pierre David, « héros juif d’Action française » mort pour la France le 1er août 1918. Ni pour accueillir comme ligueurs des Juifs auxquels il ne demandait pas de certificat de baptême. Cela ne justifie en rien l’antisémitisme persistant de Maurras. Cela, en revanche, donne à penser qu’on ne décide pas de « sauver », ou non, un penseur au nom d’une lecture partielle, voire partiale, et d’un manichéisme réducteur.

Maurras n’est pas « le repoussoir providentiel du progressisme mondialisé », dont Askolovitch est d’ailleurs un porte-parole, ou plutôt il ne le paraît qu’en raison de cette défaite de la pensée dont les polémiques de cet hiver sont une illustration particulièrement frappante. Les Français pourront bientôt de nouveau le lire. Et juger par eux-mêmes. Il faudra que « le camp du Bien » s’y fasse !   

Illustration ci-dessus (dans le texte) : 1936 – Jubilé littéraire de Charles Maurras. 

Axel Tisserand

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