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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

1936 : la mort du deuxième "frère"...

1936 : la mort du deuxième "frère"...

Accompagné et soutenu par Maurras lors de l'enterrement de son fils Philippe, assassiné, en 1923, Daudet a ce mot lorsqu'il relate la journée - on l'a vu plus haut - : "..notre frère Maurras..."
Daudet n'a jamais employé ce mot de "frère" pour parler de Jacques Bainville, mais si le mot manque, il est bien clair que "la chose" était réelle : comme en témoigne le discours prononcé par Daudet lors de la mort de celui avec qui il partagea la même table de travail dans les locaux de l'Action française, durant presque trente ans (1).
Ce discours fut prononcé par Léon Daudet, à partir de midi, dans la cour de l'immeuble où mourut Bainville, rue de Bellechasse.
Les obsèques religieuses lui ayant été refusées - l'Action française étant encore frappée par les injustes sanctions vaticanes... - le cercueil de Jacques Bainville fut exposé dans la cour de l'immeuble, où eut lieu la seule "cérémonie" à laquelle Bainville eut droit : l'hommage de la foule immense, et les deux discours de Me Henri Robert, directeur de l'Académie Française et de Léon Daudet :

"C'est comme vis-à-vis quotidien de Jacques Bainville, à notre table commune de travail de l'Action Française depuis vingt-huit ans, que je viens apporter à l'admirable veuve et au fils de notre cher ami, le suprême témoignage de notre douleur et aussi de notre fierté.
Fierté que peuvent partager tous les collaborateurs de ce grand écrivain qui fut aussi un grand patriote.
Eadem velle eadem nolle ea est vera amicitia. Vouloir les mêmes choses, ne pas vouloir les mêmes choses, voici la véritable amitié. La fidélité amicale de Bainville était connexe à la fidélité de ses convictions politiques.
II disait de Charles Maurras qu'il lui devait tout, sauf le jour. Cette formule pourrait être celle de la plupart d'entre nous.
Tant de peines profondes et aussi de joies et de certitudes en commun ont créé entre nous, les maurrassiens, une solidarité que la mort même ne saurait anéantir. S'il est vrai que l'amour est plus fort que la mort, cela n'est pas moins vrai de l'amitié et au-delà des tombeaux quand il s'agit d'écrivains et d'hommes d'action, celle-ci se continue par leurs oeuvres, par leurs actes, par leurs intentions fraternelles.
Amis, nous le fûmes dans la patrie, dans la France, notre mère, dont les dangers, les risques nous apparurent ensemble.
Historien né, objectif et clairvoyant, pressentant les effets dans les causes comme un Thucydide et un Fustel de Coulanges, Bainville était atteint de cette transe des époques troubles : l'angoisse pour le pays. II n'était pas de jour qu'il ne m'en parlât ou n'y fît allusion.
Poète par surcroît et de l'esprit le plus vif, le plus spontané, il voyait, navigateur des âges écoulés, monter à l'horizon les points noirs, annonciateurs de la tempête.
Un article de lui dans la revue d'Action Française du 14 juillet 1914, intitulé "Le Rêve serbe", annonce avec précision et clarté le mécanisme de la guerre européenne qui vient...
Sa plume ne tomba de ses mains qu'à la dernière minute. Jusqu'à ses derniers moments il s'entretint avec nous des sujets les plus divers, de ceux surtout qui lui tenaient au coeur.
Cela nous permettait à nous, les collaborateurs de chaque jour, de lui cacher notre inquiétude.
La veille de sa mort, il s'occupait avec Maurras de La Bruyère et il nous parlait de ses projets.
Une seule plainte : quand pourrai-je reprendre avec vous nos petits dîners d'amis.
Cher Bainville, tendre, délicat, grandiose ami, jusqu'à l'heure d'aller vous rejoindre, quand nous aurions dû vous précéder, nous ne cesserons de penser à vous, de vous pleurer, de prier pour vous."

(1) : Ce discours est repris mot pour mot dans l'Introduction à l'ouvrage collectif "Le Souvenir de Jacques Bainville", consultable dans notre Album Jacques Bainville...