Provençal, provençalisant, mais de Paris (III)
De Paris Vécu, 1ème Série, Rive droite, pages 31/32 :
"...Et maintenant redédringolons la rue Montmartre, le quartier des Halles, et le cours des années, et revenons au Marais, à la Place des Vosges, demeurée un des joyaux de Paris.
Nous l'avons habitée, au n° 18, pendant plusieurs années. Actuellement, le numéro a changé, mais l'immeuble est demeuré tel quel. Il est le premier à gauche, sur la place, quand on arrive par la rue des Francs-Bourgeois; il y a un jardin dans le fond.
C'est là que mon premier maître Gustave Rivet, qui fut depuis questeur du Sénat, m'a enseigné les rudiments du français et du latin, avec un art et une méthode dont je n'ai jamais cessé de lui être reconnaissant.
Dans l'instruction, tout dépend des débuts. Rivet m'apprit à tenir mes cahiers; à comprendre le sens général d'un thème ou d'une version, avant d'en venir à la traduction littérale; à ne jamais franchir une difficulté de syntaxe sans la résoudre.
S'il eût fait carrière dans l'enseignement, il eût été un maître incomparable. Républicain du milieu Hugo, il n'avait certes rien d'un sectaire et se cantonnait dans le programme de la septième d'alors, où j'entrai, au Lycée Charlemagne, à l'âge de douze ans.
Le professeur s'appelait M. Lagaisse. Dès la première composition - en rédaction française - je fus classé premier et je conservai mon rang dans toutes les facultés pendant toute l'année, puis l'année suivante en sixième, toujours à Charlemagne, avec M. Devin, puis pendant toutes mes études à Louis le Grand.
Cette régularité et application dans le travail m'a accompagné pendant ma vie et je la dois, outre un certain acharnement naturel pour ce que j'entreprends, à mon père, à ma mère et à Rivet.
C'est ainsi que n'aimant pas les mathématiques, je n'en potassai pas moins ces arides matières de façon à passer mon baccalauréat ès-sciences complet, avec mention "bien", en même temps que mon baccalauréat de réthorique avec mention "très bien".
Je donne ces détails non par une vanterie qui serait ridicule, mais parce que le meilleur présent qu'on puisse faire à un jeune enfant, c'est de lui enseigner l'application.
Chaque matin, mon père, levé de bonne heure, m'accompagnait au lycée. Nous prenions un bout de la rue des Francs-Bourgeois, la rue Turenne, nous traversions la rue de Rivoli. L'étroite rue Saint-Paul et la rue Charlemagne nous mettaient au petit lycée, où me quittait Alphonse Daudet. En chemin nous parlions de mes leçons, de mes devoirs, des mots latins, des étymologies françaises et de cent choses amusantes de cet ordre.
Le soir (j'étais demi-pensionnaire), c'était ma mère qui venait me chercher, et nous montions chez ma grand'mère Navoit, qui habitait dans un immeuble démoli depuis, pendant la grand'guerre, par une torpille de Gotha. Ma grand'mère Navoit, bonne comme le pain et fine Tourangelle, était très pieuse..."
Illustration : le lycée Charlemagne...