Notre-Dame des Victoires, Vendredi Saint 1918...
De Paris Vécu, 1ème Série, Rive droite, pages 143/144 :
"...Dans ce quartier commercial et financier par excellence ("les grands boulevards", ndlr), se dresse un miracle de permanence : l'Eglise Notre-Dame des Victoires.
C'est le sanctuaire, c'est le recueillement, c'est la méditation aux pieds de la Croix, au sein d'une atmosphère toute spirituelle.
Des centaines de cierges brasillants versent une lumière mystique à cette demeure de la Sainte Vierge et de son Agneau sans tâche.
La statue couronnée bénit les pauvres gens que nous sommes tous et leur donne des raisons d'espérer, jusqu'au sein du plus profond désespoir.
Voici un des trois sites de Paris où la prière a vraiment des ailes, les deux autres étant le Sacré-Coeur et la Chapelle des Missions rue du Bac.
Mais Notre-Dame des Victoires, dans cette trinité, a sa couleur, son étoile spéciale, celle de Marie conçue sans péché... sine labe.
Les yeux de la vie se closent; les autres, les vrais, s'ouvrent et conçoivent des formes de félicité toutes nouvelles, d'une inexprimable suavité.
Vous tous qui ne croyez pas à l'Evidence, allez à Notre-Dame des Victoires et demeurez-y à genoux, une demi-heure. Vous vous rendrez compte, vous verrez.
Le vendredi saint de l'an de grâce 1918, j'étais là, sous la statue, agenouillé.
La Patrie était en danger.
Les armées allemandes marchaient de nouveau sur Paris, que bombardait le canon à longue portée de Fère-en-Thardenois.
Ma felle et mes enfants, je les avais envoyés la veille en province, chez des amis.
C'était l'heure de la crucifixion et de la mort du Sauveur... "le voile du Temple se déchira."
Soudain, la commotion formidable d'un éclatement, répercuté par des voûtes sonores, ébranla toute l'église, ses chapelles, la statue.
On eût cru qu'un tremblement de ciel venait de se produire, tout près de là et qu'il allait se propager et nous engloutir.
L'image de la mort, de l'anéantissement, apparut au sommet d'ondes tourbillonnantes, comparables au fracas de cent, de mille tonnerres, suivis de grondements et de roulements affreux.
C'était l'écroulement de la toiture de Saint-Gervais, sous le choc d'un obus allemand.
Le sacrilège était manifeste, l'intersigne patent.
Quand je les connus, quelques minutes après, en arrivant à notre journal, rue de Rome, je remerciai le Ciel avec ferveur.
L'Allemagne venait de se tirer sur ELLE-MÊME et de décider de sa défaite.
C'est dans ce sens que j'écrivis mon article quotidien. avec une émotion mêlée d'espérance - mieux, de certitude - et qui faisait trembler ma plume au bout de mes doigts..."