1er août 1914 : l'accident de La Roche...
De "La pluie de sang", page 11 et pages 17/18 :
1. page 11 :
"...Le 20 juillet de cette année-là, par un temps superbe, nous arrivions, comme tous les ans, chez ma mère, au château de La Roche, près d'Amboise.
Notre petit Philippe, alors âgé de sept ans sautait de joie dans le chemin de fer.
Il adorait la campagne et il n'avait pas plus de trois ans qu'à Barbizon, au printemps, nous le vîmes embrasser un arbre..."
2. pages 17/18 :
"...Les trains étaient bondés, je frêtai un taxi pour retourner à La Roche, en compagnie de mon fils et du mari de ma soeur.
En cours de route, nous fûmes heurtés, aux portes d'Artenay, sur la route d'Orléans, par une voiture venant en sens inverse.
J'occupais, sur le siège, la place à côté du chauffeur, sous une barre de fer portant une bâche.
Je fus projeté contre celle-ci, puis sur le sol.
Je crus bien avoir le crâne fracturé et y portai aussitôt la main, pour voir si de la cervelle se mêlait au sang. Il n'en était rien.
Un médecin d'Artenay, le docteur Naudet, qui se préparait à partir aux armées, sutura l'énorme plaie, rapprochant les lambeaux du scalp et nous pûmes ainsi regagner La Roche, où nous étions attendus avec l'angoisse que l'on devine.
Là, je fus soigné pendant trois mois, avec un dévouement incomparable, par mon ami et condisciple de l'Hôtel-Dieu, le docteur Caillet d'Amboise, aussi grand clinicien qu'ami dévoué et par ma femme bien-aimée qui commençait elle-même une grossesse :
"Un cas sur mille", nous disait Caillet, parlant de ma blessure, signifiant par là que j'avais de la veine.
Etendu sur le dos pendant des jours et des jours, ne recevant de Paris que de rares nouvelles et des journaux plus rares encore, que la censure, heureusement, privait de vérité - c'était le règne du bienfaisant bobard sur toute la ligne - j'avais le temps de réfléchir et de me faire du tourment.
La Patrie, nos amis, le journal, qu'allaient devenir les uns et les autres ?
Je sus bientôt que Lucien Moreau, grâce à des tours de force budgétaires, et en réduisant les appointements, répondait de la survie de l'Action française.
Il devait promptement partir aux armées, ce cher ami, en dépit d'une santé déjà chancelante, que dominait son âme d'acier.
De Vesins, Frédéric Delebecque, Georges Larpent, de Boisfleury, comités directeurs de l'Action française, avaient repris leurs uniformes, ainsi que le président de la Ligue Léon de Montesquiou.
Maurras, Pujo, Bainville, Vaugeois, le commandant Biot assuraient la rédaction et la composition du journal, avec cette maîtrise foncière qu'aucun évènement extérieur ne saurait détruire, ni même diminuer.
La collection de notre feuille, pendant ces premiers temps de la guerre, est très intéressante à consulter.
Nous ne paraissions plus, bien entendu, que sur une page, et, dès que je pus tenir ma plume, j'envoyais, de mon lit de douleur, des petits papiers qui ne cassaient rien..."
Non sans humour, Jacques Bainville évoque cet accident d'automobile dans son "Journal inédit 1914", page 96, note du 24 septembre :
"La Roche - Léon Daudet se remet de son grave accident d'automobile survenu exactement le 1er août, le jour où l'ordre de mobilisation était lancé. Il est remis, mais la boîte crânienne est encore à nu sur plusieurs centimètres.
Chose étrange : le jour même de la déclaration de la guerre en 1870, Alphonse Daudet s'était cassé la jambe.
J'ai dit à Philippe Daudet, qui a six ans :
- Le jour de la déclaration de guerre de 1947, tâche de rester bien tranquille chez toi..."