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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

Le "Louis XVI" jamais écrit....

Le "Louis XVI" jamais écrit....

Mais poursuivons les confidences de Frédéric Delebécque, à qui Bainville, qui l'a institué correcteur de son "Nap." (son "bouquin", son "monstre"...) propose de l'aider à écrire ce Louis XVI, qui ne verra, hélas jamais le jour... :

"...Que diriez-vous d'un Louis XVI conçu de la même façon ? Oh ! c'est bien plus difficile, 1° parce que Louis XVI a peu parlé; 2° parce qu'il est moins absurde de se mettre dans la peau de Bonaparte qui a été au collège comme vous et moi que de se mettre dans la peau d'un roi de France."
Sans reprendre haleine, Bainville commence les immenses lectures nécessaires à une telle oeuvre....
En juin 1932, Bainville m'annonce une halte dans sa "lente exploration de Louis XVI". Le roi d'Egypte lui a fait demander, pour un précis de l'histoire de son royaume, un récit de l'expédition de Bonaparte. Nouvelles lectures, nouveau travail qui dure jusqu'à la fin de l'année...
A peine ce travail terminé, il se remet à Louis XVI, qu'il n'a d'ailleurs jamais entièrement quitté... Mais Louis XVI est bien déconcertant avec ses hauts et ses bas d'autorité et de volonté. J'aurai bien du mal à me faire une idée de cet animal-là." - "Je crois, en effet, que l'absence d'intérêt de Louis XVI pour le militaire (sauf pour la marine) est à signaler." - Dans l'été de 1933, il m'écrit : "Depuis que nous sommes rentrés de notre petit voyage... j'ai travaillé à Louis XVI par des lectures et des réflexions. Je crois que je commence à tenir mon homme, à en avoir au moins une idée."
Mais, à la fin de 1933, nouvel arrêt : "Louis XVI languit un peu par l'étendue des choses à lire : autant que pour Napoléon, et c'est bien moins distinct. Alors, pour me distraire, et sans abandonner le sujet, j'ai eu l'idée d'écrire non une histoire, mais une sorte de vue de la troisième République, en trois cents pages environ."
Et voilà un nouvel ouvrage sur le chantier. Jusqu'en juillet 1934, il avance lentement : "Ce vol d'oiseau est bien plus compliqué que je ne pensais. Je voudrais pourtant finir ce petit bouqin pour la fin de l'automne. Je vais essayer de mieux travailler cet été."
....Le livre paraît peu de temps après l'élection de l'auteur à l'Académie française, en mars 1935. Va-t-il pouvoir reprendre ce Louis XVI sur lequel je le pressais si souvent ? Hélas ! Il faut préparer pendant l'été le discours de réception, et puis... c'est la maladie qui commence, la terrible maladie contre laquelle, pendant une année, il va lutter avec une énergie surhumaine, sans cesser un instant le labeur écrasant du journaliste, jusqu'alors mené de front avec l'immense travail de l'historien. Le Louis XVI ne devait jamais voir le jour. Après celui-là, de combien d'autres chefs-d'oeuvre la mort ne nous a-t-elle pas encore privés !...."

Henry Bordeaux et Marie de Roux aussi ont parlé de ce projet d'un "Louis XVI" que la mort ne permettra pas à Bainville de mener à bien :

1. D'Henry Bordeaux :
"Son oeuvre hsitorique n'était pas achevée, de même que ses leçons quotidiennes de politique étrangère vont manquer aux générations nouvelles. Souvent il m'avait parlé d'un Louis XVI qu'il désirerait d'écrire avec sympathie, avec pitié, avec justice aussi, car justice n'a pas été rendue au seul souverain qui, dans une lutte de deux siècles, ait mis en échec la Grande-Bretagne avec la mission Rochambeau dans la guerre d'indépendance aux Etats-Unis, - mais la justice exigeait aussi une plus rude défense de la cause monarchique devant la Révolution. Il y pensait tellement qu'à sa dernière séance à l'Académie, il alla jusqu'à notre bibliothèque s'approvisionner dans ce but..."

2. De Marie de Roux :
"...Jacques Bainville venait de constater combien tout le génie de Napoléon avait été impuissant à rompre les fatalités qu'il avait trouvées dans l'héritage diplomatique de la Révolution; il rêvait d'écrire l'histoire des premières années de cette Révolution, en se mettant jour par jour et heure par heure, à la place du souverain de bonne volonté et de faible volonté que surprit la tourmente et qui, le premier de sa race depuis huit cents ans de dynastie capétienne, fut dépassé par le destin. Souverain médiocre, non pas. Imaginez-le mort en 1788, ne survivant pas plus à Vergennes que Louis XIII à Richelieu, son règne apparaîtrait comme un des plus grands et heureux de notre histoire : l'unité anglo-saxonne défaite l'auréolerait d'une gloire sans ombre. Mais parfaitement instruit de son métier de roi, devant les difficultés que ses prédécessueurs avaient l'habitude de résoudre, il n'était pas seulement démuni devant l'attaque et peut-être la contagion des idées nouvelles; la longue paix royale qui, depuis la fin de la Fronde, avait épargné à la France toute guerre civile l'avait laissé infiniment ignorant de la tactique de lutte contre les factieux.
Jacques Bainville se plaisait à citer comme un parfait symbole l'histoire du pont de Suresnes : il avait été construit en bois et c'était un pont tournant qui pouvait être instantanément détruit si quelques mal intentionnés marchaient sur Versailles : aux journées d'octobre, personne ne savait plus comme il était facile à couper !..."