UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

De la Révolution et des Révolutions (II/II)

De la Révolution et des Révolutions (II/II)

C'est une chose qui paraît si mystérieuse, qui choque tellement l'esprit que, pour l'expliquer, on a fait intervenir l'action des sociétés secrètes. De Barruel au livre tout récent de M. Bernard Fay, la franc-maçonnerie a été désignée comme le moteur de la Révolution. Un des moteurs peut-être. Les "sociétés de pensée" étudiées par Augustin Cochin n'ont pas été indifférentes. Comment leur imputer le fait extraordinaire que les Français aient subi ce qu'ils ne voulaient pas jusqu'à ce qu'ils aient obtenu à peu près ce qu'ils voulaient ? La raison s'y refuse. La persistance et la renaissance du catholicisme, avec lequel compta Robespierre lui-même, sont là pour donner raison à la raison.

En suivant les traces de "la contre-révolution sous la révolution", M. Louis Madelin apporte des explications naturelles. Que s'est-il donc passé entre 1789 et 1799, comme entre le 18 brumaire et la restauration des Bourbons ? Rien que de très simple. Les gouvernements qui se succédaient exerçaient tour à tour attraction et répulsion sur la masse dont les dispositions générales ne changeaient pas. Elle était contre la Révolution chaque fois que la Révolution attentait à ses habitudes anciennes. La loi du maximum et l'interdiction de recevoir en paiement une autre monnaie que les assignats étaient la cause d'un mécontentement violent. Parallèlement, la crainte d'une revendication des propriétaires dépossédés rejetait du côté de la Révolution la foule des acquéreurs des biens nationaux, lesquels savaient bien en outre qu'ils s'étaient acquittés en monnaie dépréciée et qu'ils avaient fait par là une trop bonne affaire. Nous avions déjà montré dans notre Histoire de France ces curieuses influences en sens contraires de l'assignat.

Ce n'est qu'un aspect des choses. Sainte Beuve dit quelque part, et fort bien, qu'aucun changement ne s'accomplit dans un état sans qu'on ait trouvé le point de rencontre des sentiments et des intérêts. Le livre de M. Louis Madelin montre avec plus de précision qu'on ne l'avait fait jusqu'à lui qu'à plusieurs reprises on se crut près d'un rétablissement de la monarchie avant que la solution du consulat intervînt. Sans doute les jacobins menacés se défendirent énergiquement. Ils eurent recours à la force en vendémiaire et en fructidor. Alors la contre-révolution fut brisée. Elle avait été contrariée ou paralysée par elle-même en d'autres circonstances. Il est superflu de rappeler le mal que la politique des émigrés avait fait à Louis XVI et les services qu'elle avait rendus au jacobinisme au point que l'on a des raisons de penser que le manifeste de Brunswick était l'oeuvre d'un véritable agent provocateur. Menacer Paris d'anéantissement et la France d'un châtiment était un moyen sûr de ruiner la cause royaliste. Hors même l'effet immanquable du factum prussien, le patriotisme en produisit un autre. L'esprit guerrier de la nation avait certes des hauts et des bas, comme il arrive toujours chez nous. Quand on était las de la guerre, on aspirait au retour des Bourbons. Mais le retour des Bourbons c'était l'abandon des conquêtes, des frontières nouvelles, de la Belgique, et les choses n'étaient pas encore assez mûres pour qu'on y renonçât. Un des meilleurs éléments du succès de Bonaparte, au 18 brumaire, fut que l'on crut dans l'homme de Campo-Formio pour assurer la paix tout en gardant les territoires conquis. Pour que la France se résigne, il faudra 1814 et l'invasion, et encore plus Waterloo, le retour de l'île d'Elbe ayant ce sens général qu'après quelques mois de dépression les Français refusaient encore de croire que la partie pour laquelle on s'était battu pendant vingt ans fût définitivement perdue. Et l'on sait qu'en 1830 les insurgés réclamaient encore la Belgique et la rive gauche du Rhin.

Pour savoir comment on compromet et comment on prépare une restauration, il serait intéressant d'étudier, mieux qu'à notre connaissance on ne l'a encore fait, l' "évolution" des idées de Louis XVIII. M. Louis Madelin, dont ce n'était pas strictement le sujet, s'est contenté à cet égard de quelques indications. Ne parlons pas du Comte de Provence avant 1789 lorsque son attitude était celle d'un opposant. Devenu "régent" après le 21 janvier, puis prétendant après la mort de Louis XVII, il lui fallut un certain temps pour qu'il commençât à donner des preuves de cette intelligence politique si brillante qu'il devait montrer un jour. L'exil y fut bien pour quelque chose et aussi l'horreur légitime que le terrorisme devait lui inspirer. Mais, au début de sa prétendance, Louis XVIII voyait fort peu clair. C'est ainsi que, dans un de ses premiers manifestes, il s'engageait à rétablir les anciennes cours souveraines abolies par l'Assemblée constituante, c'est-à-dire ces Parlements qui avaient causé des embarras inextricables à la monarchie. En 1814, il restait encore de vieux parlementaires qui pressaient le roi de tenir sa promesse. Il avait réfléchi, il s'était instruit. Il refusa de faire renaître cette puissance judiciiare qui avait tenu la royauté en échec et perdu l'ancien régime en l'empêchant de se réformer.

Pour être historiques, ces considérations ne sont pas de pure curiosité. Elles ne sont pas oiseuses. Elles servent à apprendre comment se font ou ne se font pas, comment réussissent ou échouent les "révolutions", en d'autres termes les changements des États. Le succès d'un coup d'Etat n'est pas seulement, comme on l'a dit, une affaire de technique. C'est aussi une affaire de discernement. Ni Lénine ni Mussolini ne s'étaient contentés de "donner un coup de poing à un paralytique". Ils ne s'étaient pas trompés sur l'essentiel. Ils s'étaient placés juste au point de rencontre des sentiments et des inétrêts. Et ce ne sera pas moins nécessaire, ce le sera probablement encore plus pour qui voudra faire quelque chose avec les Français.

(Illustration : Louis XVIII : "...il lui fallut un certain temps pour qu'il commençât à donner des preuves de cette intelligence politique si brillante qu'il devait montrer un jour..."

"...Sainte Beuve dit quelque part, et fort bien, qu'aucun changement ne s'accomplit dans un état sans qu'on ait trouvé le point de rencontre des sentiments et des intérêts... Et ce ne sera pas moins nécessaire, ce le sera probablement encore plus pour qui voudra faire quelque chose avec les Français.)