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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

Comment la Hollande renonça à la République

Comment la Hollande renonça à la République

M. le bourgmestre d'Amsterdam est évidemment un ironiste. Comme le cortège présidentiel débarquait dans sa ville, ce magistrat batave s'avança vers M. Fallières et lui tint à peu près ce langage : "Vous arrivez, monsieur, dans un pays qui, après avoir été longtemps en République, a opté finalement pour la monarchie. Nous nous trouvons très bien d'être royalistes. Quant à vous, vous représentez un pays qui, après avoir longtemps possédé la royauté, s'est mis sous le régime républicain. Si vos compatriotes sont satisfaits, c'est leur affaire. Je leur souhaite toutes sortes de prospérités."

Et M. le bourgmestre d'Amsterdam ayant parlé, une foule immense acclama la reine Wilhelmine et la petite princesse Juliana.

La Hollande est, en effet, de tous les pays du monde, celui qui a le plus sérieusement médité sur les avantages de la république et sur les avantages de la monarchie. La Hollande a goûté, elle a comparé, elle a hésité longtemps. Elle est revenue plusieurs fois de l'une à l'autre. Et puis, à la fin, elle s'est fixée. C'était déjà une personne de sens rassis, mûrie par de nombreuses épreuves, lorsqu'elle se décida à rappeler pour de bon sa dynastie.

Les Hollandais étaient pourtant, par tempérament, des républicains assez fiers et assez jaloux de leurs libertés. Ils avaient une réelle aptitude à se gouverner eux-mêmes, et leur petite république fit longtemps bonne figure au milieu de l'Europe. Ayant pu se passer pendant plusieurs années du secours de leur stathouders, les princes de la maison d'Orange, qui les avaient aidés à se délivrer de l'Espagne, les Hollandais décidèrent, en 1677, de proclamer par un acte solennel que le statoudhérat ne serait jamais plus rétabli aux Pays-Bas. Serments imprudents ! Rien n'est plus précaire que les "Édits perpétuels". Cinq ans plus tard, les armées de Louis XIV envahissaient la Hollande. Alors, de tous côtés, on se tourna vers Guillaume d'Orange. L'une après l'autre, les provinces l'élurent capitaine général et amiral à vie. A La Haye, les directeurs de la république, Jean et Cornélis de Witt, ayant entrepris de résister au mouvement qui emportait le peuple vers la monarchie, furent massacrés. Devant le danger couru par la patrie, toute la Hollande, d'instincT, était devenue royaliste.

Guillaume III, proclamé stathouder héréditaire, fut ainsi le premier roi de Hollande. Mais sa royauté était issue du danger public et, le danger disparu, les Pays-Bas eurent quelque regret de la république. On ne savait plus très bien comment c'était. On voulut en essayer de nouveau et, à la mort de Guillaume III, les États Généraux écartèrent son héritier et gouvernèrent seuls avec un président, le grand pensionnaire Heinsius. Cette nouvelle ère républicaine dura quarante-cinq ans. Elle se termina, elle aussi, en 1747, par l'invasion. Cette fois, c'étaient les armées de Louis XV qui menaçaient la Hollande. Aussitôt Guillaume IV fut appelé, nommé d'acclamation stathouder héréditaire des Sept Provinces... Décidément, la Royauté était de salut public.

Et puis, une fois encore, le péril étant passé, la république eut un retour de faveur. En 1787, le parti républicain victorieux força le stathouder à quitter La Haye. Mais qu'arriva-t-il ? C'est que la Hollande, dans le grand tourbillon de la Révolution et de l'Empire, perdit pour tout de bon sa précieuse indépendance. Elle fut envahie une troisème fois et reçut même un roi étranger des mains de Napoléon. C'est alors que le regret des stathouders et de la dynastie nationale assiégea le coeur des Hollandais. Et lorsqu'en 1813 ils se soulevèrent contre Napoléon, ils le firent au vieux cri de vive Orange ! En 1815, un descendant du Taciturne était proclamé roi héréditaire et, depuis, guéris de leur imprudence, les Hollandais sont restés fidèlement attachés à leur monarchie.

Ces fiers républicains d'autrefois ont même un mépris profond pour toute république et particulièrement pour la nôtre. Voici, à ce sujet, un souvenir personnel. Il y a quelques années, je passais l'été dans une station de Suisse lorsque, pour la fête de la reine Wilhelmine, un Hollandais qui se trouvait là donna une fête à l'hôtel. Ce zélé royaliste avait fort bien fait les choses et distribué généreusement les fleurs, la musique, le champagne et les accessoires de cotillon. A un certain moment, sur son ordre, l'orchestre joua la marche royale néerlandaise que tout le monde écouta debout. Puis ce fut l'hymne suisse, en l'honneur du pays qui nous donnait l'hospitalité. Puis le God save the King, à la grande satisfaction des Anglais présents. On joua encore les airs nationaux de plusieurs pays qui avaient, dans cet hôtel cosmopolite, des représentants. Mais les Français, qui étaient nombreux, attendirent vainement la Marseillaise. Le Hollandais royaliste, qui parlait d'ailleurs notre langue comme je souhaite à beaucoup de nos compatriotes de la parler et qui aimait notre pays n'avait pas voulu faire entendre ce chant révolutionnaire.

- Monsieur, dis-je à ce respectable Batave, en le félicitant de sa soirée, je tiens à profiter de l'occasion pour vous apprendre qu'il y a, en France, un nombre croissant de patriotes qui, à l'exemple de vos aïeux, instruits par leur expérience du régime républicain, travaillent à établir chez eux la monarchie nationale et considèrent la Révolution de 1789 comme l'origine de tous leurs maux.

L'Action française, 6 juillet 1911.