Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (196)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : "la Reine de France" aux obsèques de Philippe VIII...
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Ouvrage offert au Prince en 1895. Reliure signée de PETIT, à son chiffre "P" couronné.
Nous sommes en 1926. Le duc d'Orléans, Philippe VIII, vient de mourir, en terre étrangère, "interdit de France" par l'inique loi d'exil.
Celle-ci datait du 26 juin 1886, et ne fut abolie que le 24 juin 1950, sur proposition du député MRP du Morbihan, Paul Hutin-Desgrées.
Cette loi interdisait l’accès et le séjour sur le sol français aux chefs des familles royale (et impériale) ayant régné sur la France, ainsi qu’à leur fils aîné. Elle interdisait également à tous les hommes de ces familles de servir dans l’armée française.
Mais, à la différence des précédentes, cette loi ne concernait que les "prétendants" (Orléans et Bonaparte) ainsi que leurs fils aînés, et pas les autres membres de la famille.
À Notre-Dame de Paris a lieu un service funèbre : Léon Daudet, qui y assiste avec Maurras, raconte...
De "Paris vécu", pages 271 à 273 (fin de l'ouvrage) :
"...Voici maintenant, à Notre-Dame de Paris, le service funèbre pour l'âme de Monseigneur le duc d'Orléans, enlevé brusquement à nos espérances, loin de cette terre de France d'où la barbarie républicaine, depuis 1886, le tenait exilé.
À ce grand Prince qui, s'il eût régné, eût écarté le fléau sanglant de 1914, fils de l'incurie effroyable du régime autant et plus que de la mégalomanie allemande, à ce souverain de Shakespeare, fait pour le pouvoir suprême et dont la vie ne fut qu'un long supplice, succédait, dans le Droit et dans l'Exil, un autre magnanime Héritier : Monseigneur le duc de Guise. Rien de plus beau qu'une telle acceptation, et si simple, d'un si haut devoir.
Mêlées au sentiment d'admiration, de regret, de douleur, de deuil, la ferveur royaliste et la certitude animaient cette foule compacte, serrée, silencieuse, mais brûlante, d'hommes, de femmes, de tout âge et de toute condition, de jeunes gens aux regards fiers, de belles jeunes filles, toutes et tous marqués du signe du dévouement.
Cette foule, cette armée, je la connais bien. Depuis vingt ans, elle s'est rassemblée autour de notre Action Française, rassemblée elle-même autour de Maurras. Nombreux sont les absents morts à la guerre, au premier rang, ou tombés ici dans les luttes politiques sans merci, pour avoir voulu arracher la Patrie à son bourreau, au régime infâme. Mais absents de corps, ils sont présents par l'âme. Marius Plateau, Ernest Berger, mon fils Philippe sont auprès de nous, parmi nous, au-dessus de nous. Je distingue le délicieux sourire de mon petit garçon, son doux visage attentif, un peu penché.
La portail s'ouvre à deux battants... c'est le jour limpide et franc, le jour léger, à peine bleuté de Paris, qui délivre et délie l'angoisse de la grande ville.
Avec lui une forme est entrée, une forme féminine, vêtue de noir; aussi belle et sûre que sculptée par Phidias, glissant avec lenteur plus qu'elle ne marche.
Droite sans rigidité, elle s'avance à travers le respect sans un souffle de ces milliers de figures passionnées, tournées vers Elle.
On distingue maintenant un regard pur et grave, étonnamment jeune, irradiant, évoquant la plus haute poésie et les plus gracieuses héroïnes de notre histoire, suave et comme dessiné par le grand Florentin.
C'est Elle.
C'est la reine de France.
Un frisson d'orgueil et de confiance
impossible à réprimer, rédempteur, a passé à travers la multitude attentive. Cet unanime silence crie et acclame sous les voûtes solennelles, dans l'espace muet et blanc.
Cependant, Madame n'a cessé de progresser, impalpablement, telle une fée, comme si ses pas déliés frôlaient l'eau et la brume, dans la campagne matinale de chez nous.
La nef est parcourue.
La voici au niveau de Maurras. Elle s'arrête un instant, un dixième d'instant, et fixe son regard, diamant irrisé de vert, sur ses yeux et son front de lion.
Déjà, Elle a a franchi notre chef aimé, celui que nous mettons, sachant pourquoi, à quelques centaines de lieues en avant de tous nos meilleurs contemporains.
Je me suis penché vers Maurras et je lui ai dit : "Vous êtes payé."
Cependant que cet évènement, chargé de promesses et de latences incommensurables, s'accomplissait, un Prince auguste et son fils, quintessence de notre race, dans un manoir de la banlieue de Bruxelles, de l'accueillante et douce Bruxelles, sortie des tortures de l'occupation allemande, étaient en communion de pensée avec Celle qu'acclamaient nos coeurs, les coeurs de milliers de Parisiennes et de Parisiens.
Le dur exil un instant se fendait, leur laissant voir, deviner comme un mirage, ce spectacle unique et qui imprimait à tous les assistants ce que les Bretons appellent l'intersigne heureux : une transe, accompagnée d'un présage d'or."
Dans notre Catégorie "Grandes "Une" de L'Action française", voir :