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Ce que cache la procédure contre les Républicains, par Yves Morel *

 

Récemment, la fédération nationale des élus socialistes, cinq partis politiques et associations (dont le Mouvement républicain et citoyen) et 143 particuliers ont saisi le tribunal des référés de Paris pour obtenir de ce dernier une décision de justice visant à empêcher l’UMP de choisir pour nouvelle dénomination « Les Républicains ». Les juges les ont déboutés au motif de l’absence de preuve d’un préjudice à leur encontre et du caractère légal de ce changement d’appellation. Consternation des (mauvais) perdants qui ont décidé de faire appel. 

Une procédure apparemment ridicule

Pourquoi un tel acharnement de la part de la gauche ? (tous les plaignants se réclament d’elle). Cette dernière n’aurait-elle pas de meilleur cheval de bataille ? Nul, nous disent les plaignants, ne détient le monopole de la ferveur républicaine, et un parti qui revendique l’appellation « Les Républicains » dénie en les autres la réalité ou l’intensité de ce sentiment, les considère donc implicitement comme des républicains de moindre dignité, voire des non-républicains. La République est le patrimoine commun inaliénable, mieux, l’essence éthique de tous les Français (sauf ceux du Front national, naturellement), et nul ne peut s’en réclamer de manière partisane, en s’opposant aux autres.

Ce grief est puéril, ridicule. Il est évident que le choix de l’appellation « Les Républicains » par un parti n’implique nullement que ses adversaires et tous ceux qui n’y adhèrent pas ne le sont pas ; et ceux qui, pour cette raison, ont sollicité la justice le savent. D’ailleurs, lorsqu’en 1977, les Républicains indépendants (giscardiens) décidèrent de s’organiser dans une nouvelle formation appelée parti républicain, nul ne s’en offusqua, et la gauche ne songea pas une seconde à demander à un tribunal l’interdiction de cette nouvelle appellation. Et le parti républicain, composante importante de la droite conservatrice libérale, dura jusqu’en 1997, date à laquelle il devint Démocratie libérale d’Alain Madelin (avant de se fondre dans l’UMP en 2002).

Alors pourquoi cette hargne et cet acharnement dérisoire à l’égard des nouveaux « Républicains » d’aujourd’hui ? 

La République, ultime valeur refuge de la classe politique. Le double échec du socialisme et du conservatisme libéral

Point n’est besoin d’être devin ou grand clerc pour le comprendre. La notion de « république » est devenue l’ultime valeur-refuge de tous les partis dont les projets respectifs ont perdu toute crédibilité aux yeux des électeurs, de moins en moins nombreux, et de tous les Français.

Considérons d’abord les socialistes. A l’évidence, plus personne aujourd’hui ne croit en l’avènement à terme du socialisme, plus personne ne pense qu’il est la fin de l’histoire et que les sociétés s’y acheminent de la même manière que les fleuves vont à la mer.

Le marxisme n’est plus entendu comme l’explication scientifique de l’histoire des sociétés et l’appellation de « socialisme scientifique » qui le désignait naguère prête aujourd’hui à sourire (quand on s’en souvient). D’ailleurs, le socialisme lui-même a perdu toute l’autorité intellectuelle et morale qui l’étayait et le nimbait autrefois. Le communisme a partout échoué et a donné lieu aux dictatures les plus calamiteuses qui aient jamais décimé le genre humain (promis pourtant à incarner l’Internationale suivant le chant du même nom). La sociale-démocratie allemande et scandinave s’est contentée de chevaucher la vague de prospérité occidentale des Trente Glorieuses et est retombée avec elle. L’Etat-providence a disparu en Grande-Bretagne. Enfin, les pays dirigistes à économie planifiée, en lesquels l’État et les collectivités territoriales interviennent constamment et prennent en charge une part importante du social (France, Italie, Portugal, Espagne, Grèce) sont au bout du rouleau, en quasi cessation de paiement, grevés d’une dette incompressible, incapables de satisfaire un peuple de chômeurs et de smicards.

Aussi, nos dirigeants actuels, contraints de s’aligner sur le néolibéralisme considéré comme « la seule politique possible », se voient obligés de substituer à un idéal socialiste totalement invalidé par le principe de réalité, la référence au bon vieil idéal républicain. D’où la manie commémorative que nous connaissons, de l’exaltation de la laïcité à la célébration des idéaux et héros de la Résistance. De nos jours, les dirigeants socialistes n’ont que les mots de « république » et de « républicain » à la bouche, et, paradoxalement, évitent avec un soin extrême, ceux de « socialisme » et de « socialiste », tout au rebours de leur attitude de jadis, lorsqu’ils se faisaient fort de « construire le socialisme », d’édifier une « société socialiste » et de « changer la vie ». Le parti socialiste devrait désormais s’appeler « parti républicain ».

Tout cela ne signifie d’ailleurs pas que les socialistes aient renoncé à bâtir leur meilleur des mondes huxleyo-kafkaïen en plein capitalisme sans frontières (ni politiques ni morales), tout au contraire. Leurs réformes sociétales et scolaires délirantes en donnent la preuve, dont la légitimation morale réside désormais en l’idéal républicain et non plus en celui de la révolution prolétarienne internationale.

La République tient également lieu de bouée de sauvetage pour les représentants de la droite conservatrice et libérale. Pendant assez longtemps, tout particulièrement durant les années gaullo-pompidoliennes, la prospérité, la croissance soutenue et l’élévation constante du niveau de vie, qu’ils imputaient à leur action, palliaient leur absence de projet de société et d’idéal politique. Ils n’avaient pas de grandes idées, mais leur compétence revendiquée de gestionnaires avisés et leur prétendue capacité à gouverner sagement assuraient censément le bonheur des Français, à les en croire. Rien ne va plus depuis le milieu des années 1970, et la situation n’a cessé d’empirer au fil des années et des décennies, avec le retour du chômage et de la pauvreté. Dès lors, comme ses adversaires de gauche, la droite ne trouve d’autre moyen d’atténuer la « morosité » de nos compatriotes et de légitimer son existence que dans l’exaltation des institutions et des « valeurs » de la République. 

Le navire coule. Restent les symboles ( ?)

Droite et gauche rivalisent donc de républicanisme, ayant perdu toute légitimité et tout crédit au sein de la population. Ainsi, on comprend mieux le choix de la première de s’intituler expressément « Les Républicains » et l’acharnement, à première vue ridicule, de la seconde à tenter de le lui interdire. Leur commune impuissance les amène à se masser autour du mât républicain et à s’y accrocher désespérément, chacune bousculant l’autre pour rester seule. Le modèle républicain s’effondre en raison de son obsolescence, de son inadaptation au monde libéral transnational d’aujourd’hui. Le vaisseau prend eau de toutes part, et ses pilotes s’efforcent de resserrer tous les boulons afin d’éviter le naufrage.

Et ils font donner à plein l’orchestre afin de donner du cœur au ventre aux passagers, les uns affolés, les autres résignés, tous désespérés. La fièvre commémorative que nous évoquions plus haut et la comédie du « 11 janvier » sont des symptômes de ce sentiment de perdition qui hante nos compatriotes. Les Français s’arc-boutent désespérément sur un modèle et un idéal républicains qui s’écroulent inexorablement, et ils savent que la droite libérale et la gauche socialiste ne peuvent pas les sauver. C’est ce qui explique le succès du Front national mariniste qui, avec son discours populiste sur l’identité et l’ « État protecteur », apparaît à beaucoup comme le dernier rempart de la République de leur cœur.

Décidément, les symboles sont tout ce qui reste de notre République, et on comprend que les partis qui prétendent la diriger s’efforcent de les capter. 

   Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle

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