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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

Dedans Paris : Notre-Dame, sentinelle spirituelle.

Dedans Paris : Notre-Dame, sentinelle spirituelle.

De "Paris vécu", première série, rive droite, pages 266/267 :

"...Notre-Dame de Paris, sentinelle spirituelle de l'Occident et qui est, à la pierre travaillée et sculptée, ce que saint Thomas est à l'imprimé, Notre-Dame de Paris est liée pour moi à l'enseignement du grand théologien et orateur dominicain, le Révérend Père Janvier.
Des milliers d'hommes faits de ma génération et de jeunes hommes, puis de jeunes gens de la génération suivante ont été soit introduits dans la foi catholique soit affermis dans cette foi par ce moine aux accents incomparables, chez qui la science et la logique égalent le feu.
J'ai entendu bien des prédicateurs dans ma vie, j'ai lu les sermons de Lacordaire, qui tint la chaire de Notre-Dame avec tant de magnificence et d'efficacité.
Je ne parle pas des orateurs, tribuns, avocats de tout poil et de toute éloquence, depuis Gambetta jusqu'à Jaurès, qui ont rempli mes oreilles d'un vacarme vain, sans effleurer même mon esprit.
Je sais ce que vaut la parole. J'ai parlé des centaines de fois depuis vingt ans, dans des réunions, devant des assemblées (Chambre et Haute Cour), devant des tribunaux, à la Cour d'assises, devant des réunions de trente, quarante, soixante mille auditeurs (Strasbourg, Nîmes, Mont des Alouettes).
Je mets en tête et en avant de tous les entraîneurs par le verbe le Révérend Père Janvier des Frères Prêcheurs. Il vous prend et vous enveloppe comme un éllément, comme un coup de mistral.
De sa première retraite de Carême en 1903, où il débutait à Notre-Dame, à sa dernière en 1925, je me suis laissé rouler par ce flot propice d'arguments solides, de raisons groupées, de flamboyants aspects, jusqu'aux pieds étincelants du Calvaire.
Les hommes de mon temps et de ma formation ont suivi la route inverse de celle de Renan, qui passa des Evangiles et de saint Thomas à Kant et à Hegel. J'ai commencé par Kant, Hegel et Cie, qui me procuraient une euphorie métaphysique analogue à celle de l'opium; puis, ayant reconnu l'inanité de ces Germains, l'artificiel et le superficiel du noumène et de l'impératif catégorique, du "devenir" et autres fariboles, véritables champignons et excroissances de la connaissance, greffés sur un orgueil barbare, j'ai fait la route d'Aristote à saint Thomas (meta-odos) avec une remarquable aisance et constaté, avec Tertullien, que l'âme est naturellement chrétienne.
Mais un bon guide était nécessaire, après toute une instruction demi-criticiste, demi-évolutionniste et médicale, poussée à fond.
Le Père Janvier m'a appris à distinguer l'esprit de l'âme, à discerner les ponts entre l'esprit et l'âme, à me méfier à la fois du rationnalisme quantitatif cartésien et de la métaphysique du sensible, du pragmatisme et de l'intuitivisme, et à rejeter cet "inconscient", cet "unbewusst" qui n'est qu'une ignorance des latences de l'entendement.
Par lui j'ai compris que la véritable psychologie était la théologie et que l'éclairage venait, tombait, de haut en bas..."