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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

Vers 1895 : ...et "banquet Goncourt" à Paris !

Vers 1895 : ...et "banquet Goncourt" à Paris !

De "L'entre-Deux-Guerres", page 305 (continuation immédiate du texte précédent) :

"Quatre-vingts heures plus tard, ainsi que dans une pièce de Jules Verne, nous débarquions en habit et rasés de frais au Grand Hôtel, où quatre à cinq cents personnes de la première société, comme on dit à Londres, fêtaient le bon parrain de ma jeune sœur.
Il était bien content, le parrain.
Il riait aux anges, à Ajalbert, à Geffroy, à Rosny, à Mirbeau, à Georges, à Lucien, et notre tour de force en quatre-vingts heures le laissait tout à fait indifférent.
Mon père, au lieu de prononcer un discours, adressa quelques paroles d’une émotion tendre, au "vieux compagnon qui lui avait été bien bon dans des heures douloureuses", et chacun eut la gorge serrée, les yeux humides. L’allocution de Raymond Poincaré fut délicatement nuancée, parfaite en tous points.
Celle de Clemenceau, bien intentionnée, mais trop verbeuse. Renonçant momentanément à la politique, à ses pompes et à ses œuvres, et piochant le plan de "Les plus Forts", Clemenceau avait hâte de montrer à tous qu’il était du bâtiment, qu’il connaissait les bons auteurs, que la composition romanesque et l’art dramatique n’avaient point de secret pour lui. Mais l’important était que Goncourt fût enchanté et il le fut, car il appuya sa joue tremblante contre la pommette dure de Clemenceau.
En sortant de là, comme il faisait grand’soif, je proposai à une demi-douzaine de nos amis une tournée d’un Champagne demi-doux, non glacé, mais frais, qui fut acceptée avec enthousiasme.
Goncourt a raconté depuis qu’il avait forte envie de nous accompagner, mais qu’il avait craint de troubler la fête par la présence d’un vieux monsieur.
Je me reprocherai toujours de n’avoir pas osé l’inviter, car, pas un instant de sa verte vieillesse, il n’eut l’air, ni les manières d’un empêcheur de trinquer en rond..."

Illustration : Portrait d'Edmond de Goncourt (1888) par Jean-François Raffaëlli, musée des Beaux-Arts de Nancy.