"..les châteaux sont semés comme des reposoirs..."
Le long du coteau courbe et des nobles vallées
Les chateaux sont semés comme des reposoirs,
Et dans la majesté des matins et des soirs
La Loire et ses vassaux s'en vont pas ces allées.
Cent vingt chateaux lui font une suite courtoise,
Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais.
Ils ont nom Valencay, Saint-Aignan et Langeais,
Chenonceaux et Chambord, Azay, le Lude, Amboise.
Et moi j'en connais un dans les chateaux de Loire
Qui s'élève plus haut que le chateau de Blois,
Plus haut que la terrasse où les derniers Valois
Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire.
La moulure est plus fine et l'arceau plus léger.
La dentelle de pierre est plus dure et plus grave.
La décence et l'honneur et la mort qui s'y grave
Ont inscrit leur histoire au coeur de ce verger.
Et c'est le souvenir qu'a laissé sur ces bords
Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve.
Son ame était récente et sa cotte était neuve.
Innocente elle allait vers le plus grand des sorts.
Car celle qui venait du pays tourangeau,
C'etait la même enfant qui quelques jours plus tard,
Gouvernant d'un seul mot le rustre et le soudard,
Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau.
Charles PEGUY,
dans L'Opinion, 25 novembre 1912.