Sur les Vendéens...
Un paysan vendéen.
"M. du Theil, chargé des affaires de M. le comte d'Artois à Londres, s'était hâté de chercher Fontanes: celui-ci me pria de le conduire chez l'agent des Princes. Nous le trouvâmes environné de tous ces défenseurs du trône et de l'autel qui battaient les pavés de Piccadilly, d'une foule d'espions et de chevaliers d'industrie echappés de Paris sous divers noms et divers déguisements, et d'une nuée d'aventuriers belges, allemands, irlandais, vendeurs de contre-révolution. Dans un coin de cette foule était un homme de trente à trente-deux ans qu'on ne regardait point, et qui ne faisait lui-même attention qu'à une gravure de la mort du général Wolf. Frappé de son air, je m'enquis de sa personne: un de mes voisins me répondit: "Ce n'est rien, c'est un paysan vendéen, porteur d'une lettre de ses chefs".
Cet homme, qui n'était rien, avait vu mourir Cathelineau, premier général de la Vendée et paysan comme lui; Bonchamp, en qui revivait Bayard; Lescure, armé d'un cilice non à l'épreuve de la balle; d'Elbée, fusillé dans un fauteuil, ses blessures ne lui permettant pas d'embrasser la mort debout; La Rochejaquelein, dont les patriotes ordonnèrent de vérifier le cadavre, afin de rassurer la Convention au milieu de ses victoires. Cet homme, qui n'était rien, avait assisté à deux cents priseset reprises de ville, villages et redoutes, à sept cents actions particulières et à dix-sept batailles rangées; il avait combattu trois cent mille hommes de troupes réglées, six à sept cent mille réquisitionniares et gardes nationaux; il avait aidé à enlever cinq cent pièces de canon et cent cinquante mille fusils; il avait traversé les colonnes infernales, compagnies d'incendiaires commandées par des Conventionnels; il s'était trouvé au milieu de l'océan de feu, qui, à trois reprises, roula ses vagues sur les bois de la Vendée; enfin, il avait vu périr trois cent mille Hercules de charrue, compagnons de ses travaux, et se changer en un désert de cendres cent lieues carrées d'un pays fertile.
Les deux Frances se rencontrèrent sur ce sol nivelé par elles. Tout ce qui restait de sang et de souvenirs dans la France des Croisades, lutta contre ce qu'il y avait de nouveau sang et d'espérances dans la France de la Révolution. Le vainqueur sentit la grandeur du vaincu. Thureau, général des républicains déclarait que "les Vendéens seraient placés dans l'histoire au premier rang des peuple soldats". Un autre général écrivait à Merlin de Thionville: "Des troupes qui ont battu de tels français peuvent bien se flatter de battre tous les autres peuples." Les légions de Probus, dans leur chanson, en disaient autant de nos pères. Bonaparte appela les combats de la Vendée "des combats de géants".
Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, tome I, pages 391/392/393.