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Ceux qui nous fracturent. Au-delà de l'islamisme, ces séparatismes qui nous mènent à la guerre civile, par Natacha Polony.

Identitaires de droite et de gauche, féministes qui détestent les hommes, gauchistes totalitaires... Les tenants de l’islam politique ne sont pas les seuls à fracturer la société française. Les mesures annoncées par le chef de l’État sont salutaires, mais il reste tant à faire pour préserver notre héritage commun issu des Lumières.

2.jpgCertains diront qu’il était temps. Les conseillers et les visiteurs du soir promettaient depuis trois ans le grand discours fondateur. Sur la laïcité d’abord, puis sur le communautarisme. Ce fut sur le « séparatisme ». L’essentiel n’est finalement pas là. Qu’Emmanuel Macron l’ait fait contraint et forcé par les événements – cet attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, comme un rappel des 250 morts depuis 2015 – ou mû par des arrière-pensées électoralistes – aller sur le « régalien » pour fracturer encore un peu la droite – la lucidité, l’honnêteté intellectuelle, doivent seules guider le jugement sur ce discours du vendredi 2 octobre.

Le président de la République s’est dépouillé ce jour-là de son lyrisme excessif, de ses effets de manches habituels. Il a nommé l’ennemi sans ambages : cet islamisme qui tend à constituer une contre-société en utilisant chaque parcelle de notre État de droit pour retourner contre nous nos principes. Il a annoncé des mesures précises, d’une ampleur incontestable. Beaucoup étaient dans l’air du temps depuis des années ? Certes ! Mais il n’en est que plus appréciable que la puissance publique se décide enfin à les mettre en œuvre.

La clarification entre associations culturelles et associations cultuelles est fondamentale pour éviter le contournement de nos institutions à des fins d’endoctrinement. Quant à la suppression des ELCO (dispositifs « enseignement langue et culture d’origine »), dont on sait depuis trente ans qu’ils sont la négation même de tout projet d’intégration puisque, sous prétexte de permettre à des enfants d’immigrés de conserver un lien avec la culture de leurs parents, ils les maintiennent dans leur statut d’immigrés en les confiant à des professeurs choisis sans aucun contrôle par les pays d’origine, elle met fin à une aberration.

Piège communautariste

Le discours d’Emmanuel Macron a pointé le problème sans excès, sans quoi que ce soit qui puisse objectivement constituer un de ces « amalgames » que traquent certains. Cela n’a pas empêché les vrais communautaristes de sortir du bois. Le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), d’abord, dans un magnifique exercice de rhétorique utilisant les droits individuels pour se faire le défenseur d’une idéologie qui les nie. En se payant le luxe, même, d’accuser la France de dérive autoritaire et liberticide. C’est bien le piège dans lequel sont enfermées toutes les sociétés qui se calquent, pour organiser la démocratie, sur le modèle communautariste et multiculturel anglo-saxon plutôt que sur ce qui fut le modèle républicain français. Des communautés dont l’objet même est de nier toute liberté individuelle, en premier lieu celle de s’en extraire, peuvent revendiquer, au même titre que les individus, de faire valoir leurs droits et le « respect » de leur « différence ». La République, elle, ne reconnaît que des individus, des citoyens autonomes partageant des valeurs communes, dont certaines, comme l’égalité hommes-femmes et la mixité de l’espace public, ne sont pas négociables.

Il faut comparer ce texte tout en syllogismes du CCIF avec la tribune publiée le 1er octobre dans le Monde par Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris. « Le premier amalgame à éviter, ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle, consiste à ne pas laisser croire que les partisans de l’obscurantisme et de la haine de l’autre valent les adeptes des Lumières et du respect de l’altérité. […] Certains représentants de l’islam de France – comme certains responsables politiques d’ailleurs – sont très souvent dans le déni. Par calcul, par cynisme, par facilité, probablement parfois par lâcheté, un certain nombre d’acteurs représentatifs, d’élus locaux se sont refusé à voir la situation à laquelle nous faisons face aujourd’hui. »

Alors que le CCIF fait semblant de ne pas comprendre ce que désigne l’islamisme, et pratique le pire des amalgames puisqu’il explique que ce mot ne ferait que stigmatiser les pratiques courantes de l’ensemble des musulmans, le recteur de la Grande Mosquée est on ne peut plus clair : « Le “séparatisme” est une attitude qui amène certains milieux extrémistes, tantôt partisans d’un islam sectaire, tantôt militants pour un islam politique, à refuser les lois de la République et à leur substituer leurs “interprétations” religieuses, voire des “lois coutumières”. Ceux qui ont agi ou agissent de la sorte, il est nécessaire de le souligner, l’ont fait parce qu’ils ont pu le faire, parce qu’on leur a permis de le faire ou parce qu’on a, trop longtemps, fermé les yeux, au nom de la “politique de l’excuse”, d’une attitude infantilisante qui promeut un discours victimaire, par ailleurs très méprisant à l’égard des musulmans qu’on voit trop souvent comme des musulmans seulement, au lieu de les voir comme des citoyens avec des droits et des devoirs. »

"Guerre de religion" ?

Au moins, les choses sont claires et l’on sait qui considère les musulmans comme faisant partie intégrante de la République et qui veut les jeter dans les bras des intégristes. Et l’engagement du recteur de la Grande Mosquée d’être aux côtés du président si celui-ci accompagne ses mesures d’une lutte sincère contre la ghettoïsation qui fait le lit du séparatisme est aussi nécessaire que le reste. Il ne s’agit pas seulement de lancer la énième – et coûteuse – rénovation urbaine. Ce qui manque dans les banlieues comme dans les campagnes, c’est la présence concrète de l’État à travers les services publics, les fonctionnaires, les infrastructures. Les mauvaises langues diront qu’Emmanuel Macron devrait rappeler Jean-Louis Borloo… À tout le moins faudrait-il être aussi concret sur ce volet que sur celui de la lutte contre l’islamisme.

On adressera une mention spéciale à Jean-Luc Mélenchon, qui a dénoncé dans le discours d’Emmanuel Macron une « guerre de religion ». Deux jours plus tard, il s’insurgeait contre une perquisition à la mosquée Omar, dans le XIe arrondissement de Paris, parlant de policiers « armés jusqu’aux dents » surgissant « au catéchisme de la mosquée ». Le chef des Insoumis oubliait de préciser que cette sympathique mosquée de la rue Jean-Pierre-Timbaud est depuis quinze ans un haut lieu de diffusion du salafisme, de contrôle de l’espace public et de la tenue des femmes, et de mise en relation de candidats au djihad. Bref, la quintessence de ce « séparatisme » contre lequel, enfin, la puissance publique a décidé d’agir. « Honteuse incitation à la haine de l’État » ajoutait Jean-Luc Mélenchon, au cas où l’on n’aurait pas bien compris qu’il invitait à la cultiver.

Ces fractures qui nous menacent

C’est bien tout le problème : les différents avatars du salafisme ne sont pas les seuls à fracturer la société française. La violence de ce qu’on n’ose plus appeler débat public nous le raconte : la rencontre entre l’individualisme promu par le modèle néolibéral et la puissance du spectacle médiatique favorise ce mélange de victimisation et de fabrication d’un ennemi emblématique qui sature aujourd’hui les médias. Le texte du CCIF prouve à quel point c’est l’importation du modèle anglo-saxon des droits individuels, sous l’effet de la globalisation culturelle, qui offre une arme aux islamistes. Or cette même vision du monde s’impose désormais par l’hypertrophie des questions identitaires, relues à travers le prisme unique des rapports de domination. Qu’un ancien champion du monde de football devenu militant antiraciste en soit à conceptualiser une supposée « pensée blanche »  a quelque chose d’effarant. Pendant ce temps, de provocations en flatteries adressées à son public, Éric Zemmour continue à radicaliser la parole publique en obligeant quiconque à se situer par rapport à ses outrances.

Succès garanti puisque, en face, on ne vit que de la dénonciation d’une « zemmourisation » des esprits. « Des parties de ping-pong ou des matches de boxe se jouent désormais au quotidien entre deux camps antinomiques, analyse ainsi le philosophe et sociologue Jean-Pierre Le Goff. Une gauche culturelle dans le déni des problèmes et une droite extrême décomplexée désireuse de lâcher les coups. Rien de bien original au fond. Mais ces conflits, supposément libérateurs de la parole, finissent par ne plus traiter le problème en profondeur. Par exemple, le sujet sensible de la délinquance des mineurs isolés mute sous l’effet de la polémique. Il se transforme en un simple et stérile conflit Zemmour-SOS Racisme où plus rien ne s’entend vraiment, où les deux parties font du surf sur du chaos. » Il eût été pourtant essentiel de pouvoir débattre de la politique d’accueil des mineurs isolés, dont tout le monde peut constater qu’elle aboutit à un détournement de la loi, une inefficacité dommageable à ceux qui ont réellement besoin d’aide, et un risque pour l’ordre public et la sécurité des citoyens. Raté. On se contentera de commenter les saillies volontairement outrancières et racistes de la star de CNews.

Des caricatures, encore et encore...

Mais le danger qui nous guette à travers la mise en avant systématique, par les réseaux sociaux mais aussi les médias traditionnels, auxquels ces mêmes réseaux dictent désormais leur mode de fonctionnement et leurs urgences, des opinions les plus caricaturales est le renforcement de ceux qui rêvent de guerre civile, que ce soit pour guérir leur frustration ou pour embrigader leurs troupes potentielles. En cela, les Insoumis rendent un fier service au CCIF quand ils font croire que lutter contre l’influence malsaine d’une mosquée salafiste reviendrait à mener une guerre contre « les musulmans ». Ils participent d’un mouvement de morcellement de la société et d’enfermement des individus dans des identités figées, à rebours de l’idéal des Lumières qui constitue notre héritage commun.

La réponse ? La reconstitution d’une communauté politique constituée de citoyens autonomes et responsables, réservant leurs appartenances et attaches identitaires à l’espace privé, et d’un État garant du bien commun, armé pour accomplir ses missions, dont la première est d’offrir à tous les citoyens les infrastructures et services publics sans lesquels il n’est pas d’égalité réelle, donc pas de liberté véritable.

Fauteurs de guerre civile ? « Au lieu de guerre civile, s’interroge Jean-Pierre Le Goff, ne faudrait-il pas plutôt parler de délitement républicain ? Ce terreau culturel, composé de valeurs communes transmises par l’école et de récits nationaux à travers des manuels comme Lagarde et Michard, s’appauvrit depuis une quarantaine d’années. Et la France se présente comme morcelée culturellement en bute à l’explosion des rancœurs entre “tribus” repliées. Mais, il ne faut pas désespérer, il existe encore des réserves d’humanité. Les élites et les classes populaires peuvent encore trouver un terrain d’entente. » Morcellement, archipellisation… ces thématiques ont imprégné le débat ces dernières années, en contradiction apparente avec le retour de la question sociale et de la lutte des classes, devenu patent avec les « gilets jaunes ».

Les logiques qui nous minent

Plutôt que d’une contradiction, il s’agit d’un mouvement dialectique au cœur duquel se trouve la puissance de déstructuration du néolibéralisme. La logique de dérégulation, de détricotage de l’État comme émanation de la volonté des citoyens, de contournement de la démocratie par des instances permettant d’imposer le libre-échange au profit de multinationales déterritorialisées, a fragilisé l’idée même de communauté politique. Souvenons-nous de la profession de foi de Margaret Thatcher : « La société, ça n’existe pas. Il n’y a que des individus, hommes et femmes, et des familles. »

En cela, le néolibéralisme, au contraire du libéralisme comment pensée économique et politique, est un processus révolutionnaire au bout duquel se trouve potentiellement la guerre civile. Les États-Unis en sont l’illustration. Mais les limites – et l’échec patent – de ce système, qui aboutit à la destruction des classes moyennes et populaires des pays occidentaux, font renaître une problématique sociale jusque-là ringardisée.

Reste à éviter que cette problématique sociale ne s’abîme en une rhétorique populiste, c’est-à-dire de confrontation entre un peuple mythifié et des élites repoussoirs, ce à quoi s’emploient aussi bien une extrême droite opportuniste qu’une extrême gauche nostalgique de la violence révolutionnaire. La réponse ? La reconstitution d’une communauté politique constituée de citoyens autonomes et responsables, réservant leurs appartenances et attaches identitaires à l’espace privé, et d’un État garant du bien commun, armé pour accomplir ses missions, dont la première est d’offrir à tous les citoyens les infrastructures et services publics sans lesquels il n’est pas d’égalité réelle, donc pas de liberté véritable. C’est là que se rejoignent les choix économiques d’un gouvernement et son traitement des sujets dits « régaliens ». Il y faut plus que des discours : de la cohérence.

Source : https://www.marianne.net/

Commentaires

  • "La reconstitution d’une communauté politique constituée de citoyens autonomes et responsables, réservant leurs appartenances et attaches identitaires à l’espace privé," C'est tout ce que nous détestons, si nous sommes maurrassiens. Le braquage à gauche de Natacha Polony est perceptible dans chacun de ses écrits.

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